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Le fabuleux destin d'un tirailleur
Tasuma (le feu), de Daniel Kollo SANOU (Burkina Faso)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 21/07/2006

Quelles images ! Quel casting ! Tasuma (le feu), deuxième long métrage du Burkinabé Daniel Kollo SANOU, a scotché les spectateurs du cinéma Abbia sur leurs sièges le 1er juin dernier. Aucun ne voulant rater ce qui apparaissait comme le chemin de croix d'un vieillard à la conquête de sa pension.

De façon progressive, le réalisateur organise sa dramaturgie. Se servant à merveille d'une intrigue secondaire (l'achat à crédit d'un moulin) pour faire avancer l'intrigue principale (le paiement d'une pension-retraite), Sanou Kollo a bâti un film aussi agréable à regarder, à entendre qu'à suivre. On eût dit que même la sonorisation souvent défectueuse du cinéma Abbia a tu ses problèmes, pour se prêter au confort d'écoute des cinéphiles. Tellement le son était parfait ! Et la magie du maniement de la caméra alors !

Fixée à l'épaule ou sur une grue pour des séquences filmées régulièrement en plongée (de haut en bas) et quelquefois en contre-plongée (de bas en haut), la caméra de Tasuma a su rendre le paysage ouest-africain dans toute sa beauté. La maîtrise du bruitage ou du son, additionnée à celle de l'image, a été admirablement complétée par un impressionnant jeu des comédiens. Mamadou Zerbo (Sogo Sanon) ne prend-il pas le film à bras le corps - sa carrure s'y prête - au point d'incarner la résistance de ceux dont les rêves se dissipent peu à peu du fait de l'approche inéluctable de la mort ? Et le personnage du fou, interprété de façon si naturelle, ne serait-il pas à rapprocher de celui d'un visionnaire ? La caméra qu'il feint d'utiliser n'est-elle pas en réalité un objet dont la vue porte au loin ?

Qui n'a pas reconnu en Khalil les nombreux commerçants libanais fourbes qui essaimaient nos arrière-pays à un moment donné, bien que Sanou Kollo ait choisi de le montrer ici sous des traits beaucoup plus humains ? Qui n'a pas vu en Sogo Sanon les parfaits anciens combattants, un peu loufoques pour certains, ayant vécu à une certaine époque dans nos contrées ? Leur mise toujours soignée (chaussures bien cirées, port des médailles, etc.) ; leurs mœurs subversives - parce que modernes - contractées au contact de l'Occident (Sanon s'oppose aux mariages forcés et veut qu'on revalorise les femmes) ; leur sens de l'honneur (toujours payer ses dettes), etc…

Qui n'a pas identifié au travers du film de Daniel Sanou Kollo, les multiples calvaires de ces retraités de Yaoundé qui, à une certaine époque, s'alignant des journées entières tous les trois mois devant les guichets de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps), ne percevaient leur modique pension qu'au prix de mille souffrances ? D'où l'actualité de ce film écrit aussi pour les vieux. Le réalisateur n'est-il pas lui-même fils d'ancien combattant ?

La dernière guerre

Si Sogo Sanon dit Tasuma finit par "péter les plombs" et prend en otage le préfet, c'est tout simplement parce qu'il en a marre de ne pas rentrer dans son dû. Comment alors accepter qu'un tirailleur ayant combattu dans l'armée française durant les guerres d'Indochine et d'Algérie doive recourir aux méthodes fortes pour être reconnu par ceux-là mêmes qui l'ont enrôlé de force dans la violence ? Quand on crache en direction du ciel, peut-on s'empêcher de recevoir ces crachats sur la figure ? De plus, n'aurait-il pas été abandonné ou trahi par ses frères d'armes qui ont le courage de fêter, alors que lui il est en peine ? Où est donc la solidarité si chère au combat, enseignée dans toutes les armées, et qui a prévalu dans Camp de Thiaroye de Sembène Ousmane? Finalement, cet acte de bravoure ou de bravade, n'apparaît-il pas comme la dernière guerre du vieux combattant ? À travers cette séquence, le vieux guerrier est montré sous les airs d'une brute. Mais, le fusil vide qu'il utilise n'est simplement qu'une arme pour attirer l'attention sur son combat, et de laquelle rejaillit son côté humain et consciencieux de ce que peut être la violence. D'ailleurs, la chanson du Congolais Zao n'est-elle pas finalement l'hymne à la paix qui symbolise cet état de chose ?

Tasuma, œuvre filmique à connotation historique mais d'actualité, rend hommage à tous ces Africains qui ont fait des guerres ne les concernant en rien et qu'ils ne pouvaient même pas expliquer. Il dénonce l'injustice faite à ces tirailleurs dont beaucoup sont morts, sans avoir perçu le moindre sous vaillant de leur modique pension. Cet hommage est symbolisé par la présence constante de Tasuma à la droite du chef, ou plutôt, à la droite du… père. Avec son moulin, Sogo Sanon n'apparaît-il pas comme le sauveur de sa communauté ? Après tout, comme il est dit dans Le prix du pardon de Mansour Sora Wade, la place d'un homme dans la vie n'est-elle pas celle qu'il prend ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

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