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Jungle urbaine
Collision (CRASH), de Paul HAGGIS
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 04/05/2006

"Puisque le monde prend un cours délirant, nous devons prendre sur lui un point de vue délirant"
Voici un de mes premiers coups de cœur 2006 ; Africiné c'est aussi le regard de la critique africaine sur le cinéma du monde.

Dans la course aux Oscars 2006, Collision (Crash en VO) était arrivé avec une certaine discrétion, beaucoup de nominations certes, mais les regards étaient tournés vers Le secret de Brokeback Mountain d'Ang Lee. Le Palmarès finalement est venu consacrer une œuvre qui tire sa force première du cinéma lui-même et non d'une certaine thématique célébrant des valeurs ou mettant en œuvre des idées généreuses. Collision a décroché trois oscars qui célèbrent le cinéma : celui du meilleur film, du meilleur scénario, du meilleur montage. Le premier oscar est la conséquence en quelque sorte des deux autres. C'est quoi un bon film si ce n'est, en effet, un bon scénario au départ porté par un bon montage. Faut-il alors rappeler que le réalisateur de Collision n'est autre que le scénariste qui avait signé deux chefs-d'œuvre : Mystic River et Million Dollar Baby ? Paul Haggis, scénariste confirmé, se met à la réalisation et nous offre un film très ancré dans le cinéma au sens où il mobilise le facteur fondamental dans le langage cinématographique, à savoir le montage ; ce vecteur qui fait du cinéma presque une langue, une rhétorique qui transcende le réel profilmique pour produire un univers qui nous parle alors autrement du monde.

Le film de Haggis s'ouvre sur une collision, un choc banal entre deux voitures, provoqué par un attroupement autour d'un cadavre. On découvre un couple qui nous met d'emblée, par quelque chose qui ressemble à un dialogue (deux monologues parallèles, en fait, chacun étant empêtré dans ses propres représentations) dans le vif du sujet : le rapport à la réalité. Quelle est la perception que nous avons du monde qui nous entoure ? Le rapport à autrui n'est-il pas tributaire du hasard ? Qu'est-ce qui fait que la violence inonde de plus en plus l'univers urbain ? Le film se livre à une véritable radioscopie, méticuleuse, microscopique du factice, du monde des apparences pour aller sonder le choc des rapports.



C'est une ville, extérieur nuit. Los Angeles, la cité des anges vue dans sa réalité comme foyer de démons ; montrée sous un angle inédit, celui qui la présente comme un tissu de mensonge, de violence, de cynisme et d'aveuglement.

Hollywood a forgé deux types de scénarios ; un scénario de personnages et un scénario d'action. Haggis propose un troisième type de scénario que l'on pourrait qualifier provisoirement du "scénario de raccord". Il n'y a pas dans Collision de personnage central que nous suivons du début jusqu'à la fin. Il n'y a pas à proprement parler d'action dont nous suivons les prémisses, l'évolution et l'aboutissement. Sa construction obéit à une dramaturgie éclatée, qui progresse par fragments. C'est un montage (le mot clé est dit) de micro-récits qui se chevauchent dans une macro-séquence qui est celle de la ville comme jungle. L'ensemble étant lié par un point de vue omniscient "le point de vue de Dieu", la caméra n'hésite pas d'ailleurs de temps en temps à prendre son envol et à filmer des scènes d'en haut. Le film avions-nous dit s'ouvre sur une découverte macabre ; il ne vire pas cependant vers le polar classique puisque il n'y a pas d'enquête. Le récit va suivre pendant 24 heures le croisement de destins différents en puisant dans le microcosme californien un patchwork de cultures, de races, de classes, de caractères pour une mise à nu du projet d'altérité. Nous découvrons différents types et comment ils réagissent face à une situation, à une rencontre… comment ils perçoivent l'autre comme indicateur de mal. Car comme dans Mystic River, Collision renvoie à l'Amérique l'image de son angoisse autour de la double notion du mal et de la violence. On comprend que cette Amérique qui s'est donnée pour mission de pourchasser les figures du mal, qu'elle a décrété comme tel, découvre le mal à domicile, chez elle ; y compris au sein de la ville emblème de l'intégration américaine, et de son fameux melting pot.

Nous découvrons au fur et à mesure des Noirs, des Blancs, des pauvres, des riches, des criminels… Nul découpage dramatique, nulle description psychologique mais une succession de scènes raccordées par un jeu d'accessoires (une porte qui se ferme pour clore une scène permet d'aborder une autre scène à partir d'une autre porte et ainsi de suite par le jeu du regard, du bruit, du téléphone…). Le récit épouse une configuration en boucle puisque un personnage renvoie à un autre ; une voiture poursuivie par la police amène vers une autre… une progression par le simple jeu de signifiants, par une économie de la médiation narrative. Le film est quelque part baudrillardien : l'élision des distances, le dialogue des formes, la neutralisation des espaces intermédiaires. "Dans le poème, écrit Jean Baudrillard, on va d'un signe à l'autre sans passer par la référence". Collision est alors un poème iconique, un collage artistique. Pour tout dire un film fort.

par Mohammed BAKRIM

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