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Choc de civilisations
THE NEW WORLD (Le Nouveau Monde), de Terrence MALICK
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 03/05/2006

THE NEW WORLD (Le Nouveau Monde) - réalisé par / directed by Terrence MALICK - États-Unis d'Amérique - 2005 - 2h16 - couleur - 35 mm - Fiction -

Terrence Malick occupe une position atypique au sein du paysage cinématographique américain. Pour cet ancien professeur de philo, traducteur de Heidegger, le cinéma relève d'une activité conceptuelle. On peut appliquer à son cinéma le concept deleuzien de Cinéma-pensée : penser le monde en pensant le cinéma ou penser le cinéma pour penser le monde. Et généralement chez lui c'est monde perdu. Ses films pensent une rupture originelle et tentent de revenir sur la fracture née d'une rencontre : rencontre de deux cultures ; rencontre entre l'homme et la nature ; la rencontre entre la culture et la nature… son travail est davantage une méditation d'où une rapport particulier au temps. Y compris le temps de la production. Malick n'est pas un cinéaste prolifique. La Balade sauvage (1973) ; Les Moissons du ciel (1978) ; La ligne rouge (1998) ; et son nouveau film actuellement au Septième art de Rabat, Le Nouveau monde (2006), des films météores qui disent un projet cohérent qui pourrait être rappelé dans ce principe : ce sont des films qui ont une ambition non pour eux-mêmes mais pour le cinéma, tout le cinéma.

Le Nouveau monde se présente comme un prolongement du schéma établi dans La ligne rouge ; au cœur du dispositif se trouve une violence ; violence d'abord à l'égard de la nature. Terrence Malick est un romantique invétéré. Lors des terribles combats entre Américains et Japonais autour de l'île de Guadalcanal, Malick élabore un poème où il décrit l'absurdité de certaines situations de pouvoir et surtout "chante" un hymne à la nature, première victime des conflits meurtriers entres les hommes. La situation initiale du Le Nouveau monde convoque ce principe, cette nostalgie de la nature originelle.

Le film s'ouvre en effet sur des images d'eau paisible et pure où se reflète le ciel. Une ouverture sur une symbiose entre les éléments. Ciel et eau ne font qu'un. Une image des origines. La première apparition humaine ne perturbe pas cet équilibre initial ; ce sont des jeunes indiens, on saura plus tard que ce sont Pochahontas et son frère qui nagent, s'amusent "comme des poissons dans l'eau". Pas pour longtemps puisque cette stabilité, cette cohésion sera très vite déstabilisée, radicalement par l'arrivée des hommes blancs ; des colons Anglais qui arrivent. Nous sommes au tout début du 17ème siècle et cela se déroule en Virginie (vierge ?!).

C'est donc le retour sur un mythe fondateur revisité à la lumière de la légende de la Princesse Pochahontas. Cette fois à partir d'un angle précis. D'abord la découverte du Nouveau monde est présentée du point de vue de ceux qui étaient déjà là. Ce n'est plus quelqu'un qui crie à partir d'un bateau "Terre". Non, la caméra de Malick a choisi de filmer l'arrivée des bateaux colonisateurs à partir de la terre. Une rencontre qui ne tardera pas à devenir un choc illustré par la progression du film entre des plans amples avec des travellings venant caresser les vastes champs et des coupes brusques, des cuts visibles qui assurent qu'il n'y a pas de transition fluide entre un monde et un autre.

Au cœur de ce choc apparaît la figure de Pochahontas ; elle sera vecteur de la rencontre et fera le voyage qui en découle ; son parcours sera celui d'un trajet d'acculturation au sens propre du mot qui signifie aller vers l'autre. Et l'autre pour la belle princesse c'est d'abord Smith, soldat anglais, éternel rebelle mais prisonnier du programme initial de son expédition. Tous les deux vivront un amour, une idylle qui nourrira l'illusion que la rencontre peut déboucher sur un nouvel ordre équilibré. Très vite le réflexe communautaire exige un nouveau découpage de l'espace et c'est l'affrontement fatalement inégal puisque il s'agit d'une nouvelle variante du pot de fer contre le pot de terre.

Les Indiens perdront sur deux fronts celui de l'appropriation de l'espace et celui symbolique de la perte de Pocahontas qui quittera les siens et entamera l'apprentissage de la nouvelle culture jusqu'en Angleterre où elle sera perdue définitivement. Ce qui allait être le bateau du retour pour elle, reste ce qu'il est : le bateau de départ pour les nouveaux colons.

par Mohammed BAKRIM

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