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LES MILLE COLLINES DE L'HUMANITÉ
Hôtel Rwanda, de Terry GEORGE (USA)
critique
rédigé par Sid-Lamine Salouka
publié le 27/04/2005


Depuis plus d'une année, l'Arpa, (Association des réalisateurs et producteurs africains, que dirige le cinéaste Idrissa Ouédraogo) tient le pari de faire des sorties de films de facture internationale dans les salles du Burkina Faso, presque dans le même temps qu'à Paris, Berlin ou Londres. Le dernier film en date concrétisant cette volonté est Hôtel Rwanda de l'Américain Terry George, actuellement à l'affiche au Ciné Burkina. Quelle lecture peut-on faire de ce film américain qui évoque le drame du Rwanda ?

Dix ans après le génocide, au moment où la justice, à travers le Tribunal pénal international pour le Rwanda et les instances judiciaires nationales (les gacaca) est en oeuvre, le temps de la fiction semble être enfin venu dans le processus de libération de la parole. En effet, après les documentaires et les reportages dont la nécessaire immédiateté est parfois malheureusement teintée du voyeurisme du plus mauvais effet, après le travail de groupes de romanciers qui ont séjourné au Rwanda (on peut citer, entre autres, Koulsi Lamko et Monique Ilboudo), les réalisateurs de fictions semblent à présent porter leur regard sur cette tragédie qui a coûté la vie à environ un million de Rwandais.

Certains parmi les réalisateurs africains qui se sont attaqué au thème du génocide, sans doute trop conscients de la force de leur parole en tant que leaders d'opinion, ont préféré situer les scènes de leurs histoires dans des pays imaginaires, "quelque part en Afrique".

Ainsi, la Burkinabè Fanta Régina Nacro enferme-t-elle les protagonistes de son long métrage, La Nuit de la vérité dans un camp militaire où, en l'espace d'une nuit, ils sont contraints de retrouver les fils conducteurs de l'intercompréhension mutuelle. Les ethnies fictives que sont les Bonandé et les Nayaks, transfigurent en fait les appréhensions du peuple burkinabè dont plus de trois millions de ressortissants sont pris dans la tourmente de la guerre civile ivoirienne. D'autre part, le personnage principal du film (le Colonel Théo) qui finit boucané est une réplique personnelle, l'oncle de Nacro ayant subi le même sort.

Ce jeu de cache-cache avec la réalité se retrouve dans Les Habits neufs du Gouverneur du Congolais Mwenzé Dieudonné Ngangura qui, au demeurant, fait appel aux ressources de la rumba pour apaiser les esprits. Sa comédie musicale, conçu à partir d'un conte danois et empruntant les canons esthétiques du cinéma hindou, prend nécessairement de la distance vis-à-vis des drames quotidiens des populations de son pays, la République Démocratique du Congo et ceux d'une guerre aux implications multiformes.

Dans un cas comme dans l'autre, la réalité de la guerre et celle du génocide paraissent trop cruelles et trop prégnantes pour être clairement dévoilées. En effet, le faire peut être considéré comme une prise de position pour l'une ou l'autre partie de ces conflits cauchemardesques alors que les auteurs, pris dans une sorte de honte pour leur continent, voudraient bien faire disparaître ces horreurs d'un coup de baguette magique. De là les tentatives de solutions proposées par les réalisateurs. Chez Fanta Nacro comme chez Mwenzé N'Gangura, on sent comme une quasi-obligation d'apporter des réponses qui se traduisent par des deus ex machina aussi surprenants les uns que les autres. Loin de relever d'une naïveté que certains leur ont reproché trop vite, ces solutions tirées par les cheveux constituent plutôt le reflet de désarrois profonds doublés d'espoirs forcenés chez ces intellectuels, élites de nations en parturition perpétuelle.

Dans ce contexte et parce qu'il n'est pas Africain, ce qui lui confère une certaine distance par rapport aux enjeux absurdes des conflits identitaires du continent, l'approche du génocide rwandais par Terry George ne manque pas d'intérêt.

D'abord parce qu'Hôtel Rwanda n'est pas à proprement parler une fiction mais la reconstitution de la vie de Paul Rusesabagina, gérant de l'hôtel quatre étoiles des Milles Collines qui réussit par sa ténacité à sauver la vie de plus de mille personnes réfugiées dans son établissement. A ce titre, Paul est une figure du héros de type hollywoodien ; il est de la même trempe que l'industriel de La Liste de Schindler de Spielberg. Personnage transitoire, il fait le lien entre les coopérants blancs que son hôtel reçoit et les gradés corrompus et avides de whisky de l'armée rwandaise. Sans véritable consistance au début du film, Paul redoute d'ouvrir les yeux sur le monde dans lequel il vit. Hutu ayant épousé une Tutsi, il rejette avec une certaine facilité les avertissements de son beau-frère l'informant des assassinats de masse dont la planification est déjà en route.

En choisissant comme héros du film un être "réel", Terry George se situe dans un domaine du témoignage qui est digne du documentaire- fiction. Ce choix, qui entre dans la tradition américaine de l'autobiographie écrite avec l'assistance d'un auteur, donne au film une force documentaire et permet une identification aux personnages que les œuvres de Fanta Nacro et Mwenzé N'Gangura, en dépit de leur force émotionnelle, n'ont pas.

Banal père de famille qui n'a pour credo que le confort de sa famille, Paul sera bientôt confronté à la brutalité d'une guerre civile de la pire espèce. Avec comme seule ressource sa capacité à négocier et manipuler conférée par ses réserves de liqueurs et son carnet d'adresses, Paul parvient à garder sa famille unie et sauve au milieu de la folie ambiante. Le film fait une grande place à sa vie de couple avec Tatiana (incarnée par la superbe Sophie Okenedo). Ce soldat de fortune, héros ordinaire qui parvient à grandir à force de détachement, est typique de la culture américaine où la réussite personnelle et le culte rendu à la famille constituent des piliers de l'intégration sociale. Ce rôle de Paul est brillamment rendu par le jeu sensible mais sans emphase de Don Cheadle.

Au-delà du simple personnage de Paul Rusesabagina, de sa prise de conscience et de son engagement, ce film est un réquisitoire contre l'hypocrisie des puissances européennes et des organisations internationales. Quand Paul dont toute la vie a été consacrée à la satisfaction des menus plaisirs de ses clients étrangers et fortunés, réalise que ceux-ci, plus préoccupés à sauver leur peau et leurs intérêts financiers, n'offriront pas le rempart de leurs corps pour sauver des nègres (pire, "des Africains" selon le mot du Colonel canadien des nations unies qu'incarne Nick Nolte), c'est l'ensemble des constructions pseudo-humanistes de la communauté internationale qui s'effondre. Le scénario met subtilement en lumière les contradictions du discours humanitariste relevés dans les déclarations officielles et les journaux télévisés. De la même manière, les sympathies équivoques des Occidentaux pour les peuples du tiers-monde sont entrevues à travers le comportement d'une équipe de journalistes de la BBC qui, venus couvrir l'"événement", finissent par fuir lâchement en laissant l'espace médiatique à la sinistre Radio Mille Collines. Celle-ci planifiera alors les massacres en vase clos, en dehors tout regard extérieur.

Le génocide est d'ailleurs une expérience difficile à figurer. Les spectateurs ayant toujours en mémoire les images terribles de milliers de corps sans vie, le réalisateur hésite toujours de lui en infliger de nouvelles. Ne pas le faire revient cependant à courir le risque de livrer un témoignage incomplet. Terry George trouve une parade artistique à ce dilemme : si l'Hôtel des Mille Collines est une place forte manquant de tomber à tout instant sous les assauts des milices hutues, une sortie de Paul qui recherche de la nourriture pour ses protégés permet tant au personnage qu'au spectateur de découvrir, dans l'atmosphère d'une aube brumeuse, les cadavres qui hantent les esprits. Traumatisé, Paul s'enfuit tandis que le soleil, dispersant la buée, offre à la caméra l'image des gisants. Elle est là, bien réelle mais soumise à la pudeur et au respect dus à des hommes et des femmes morts, uniquement de la faute d'être nés tutsis. De la même manière, sans les occulter, les scènes poignantes des violences à la machette qui sont évoquées ne participent pas du culte rendu à la violence tellement présente dans le cinéma contemporain.

Ce choix de Terry George tranche avec celui de Fanta Nacro par exemple qui, elle, rejette les atrocités du génocide dans les cauchemars de Théo mais offre pourtant le spectacle d'un homme "braisé" sur un barbecue; la raison est un hommage à l'oncle de la réalisatrice, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Le film de Mwenzé Ngangura, qui donne plus dans le sentimental, évite quant à lui de présenter des scènes de violence crue.

Enfin, l'un des aspects que l'on pourrait contester dans ce film est la sorte de manichéisme qu'il a tendance à établir en donnant le beau rôle à la guérilla de l'actuel président Kagamé qu'il fait apparaître comme une armée de résistants, sauveurs des assiégés. On sait pourtant que certains aspects de sa prise de pouvoir restent à clarifier...

Cependant, en dehors de toute autre glose sur les implications géopolitiques de cette prise de position de Terry George, notre sentiment est que celle-ci relève avant tout du confort en terme d'analyse dont dispose un non-Africain qui peut ainsi prendre partie dans les conflits du genre, avec moins de conséquences que ne le ferait un Africain. De ce point de vue, les contournements adoptés par Fanta Régina Nacro et Mwenzé Dieudonne Ngangura peuvent être mis en parallèle avec les options des écrivains qui choisissent de décrire des lieux imaginaires pour mieux rendre compte de l'Afrique dans sa globalité.

par Sid-Lamine SALOUKA (Burkina Faso)

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