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Les rêves de Mohamed El Asli
À Casablanca, les anges ne volent pas (Al Malaika la tuhaliq fi al-dar albayda), de Mohamed EL ASLI (Maroc)
critique
rédigé par Rachid Zaki
publié le 16/06/2005

Premier film de Mohamed El Asli, À Casablanca les anges ne volent pas se fait remarquer dans plusieurs festivals et pas des moindres.

Un Tanit d'or au festival de Carthage, un passage très remarqué par Cannes, qui est déjà une récompense en soi, jalonnent déjà le parcours de ce film.

Faut-il pour autant prendre ces sélections et ces prix comme le garant de la qualité de ce film ? Faut-il les prendre pour argent comptant ? N'est-ce pas là une raison supplémentaire, au risque de jouer les trouble-fête, pour tenter d'analyser les ingrédients d'un tel succès.


Le film d'une vie

Mohamed El Asli est un étrange personnage ! Tour à tour directeur de casting, producteur exécutif, assistant sur les productions étrangères ou encore directeur d'un grand studio et même d'une école de cinéma à Ouarzazate, il réalise enfin son premier long-métrage (trop tard diront certains mais il n'est jamais trop tard pour bien faire) sans passer par l'épreuve fatidique des trois courts-métrages, "épreuve" quasi obligatoire pour passer au grand format au Maroc.

Il faut dire que l'homme (bientôt la soixantaine) n'avait pas besoin de cet exercice encore moins de se bousculer au portillon du fonds d'aide pour boucler le montage financier d'un film réalisé en partie en fonds propres avec une importante contribution des Italiens.

Ce premier opus, Mohamed El Asli y croyait dur comme fer. Il l'a longtemps ruminé depuis qu'il n'était qu'un simple court-métrage racontant une seule histoire (celle de Said, l'homme venu des montagnes travailler à Casablanca). El Asli a pendant tout ce temps affûté ses armes de metteur en scène pour nous offrir en fin de compte un film (ne crions pas au chef d'œuvre) assez consistant, émouvant et surtout admirablement tourné. Un film qui a cette fraîcheur qu'on ne trouve que dans les premiers films et qu'on retrouve rarement après.


Un film manichéen

Mais au delà des points positifs que l'on peut relever dans ce film, arrêtons-nous d'abord sur son titre : À Casablanca les anges ne volent pas.

Mohamed El Asli adopte d'entrée de jeu le style de la négation. Une vérité. Sa vérité. Une prise de position du metteur en scène et bien au delà de l'homme face à la ville. Une sorte de règlement de compte avec Casablanca. Casablanca serait donc cette ogresse dévoreuse d'homme. Une simple désillusion voire une chimère. Tous les anges qui ont essayé de voler dans ses cieux ont laissé des plumes. Parfois même toutes leurs plumes !

Ce postulat de base traverse À Casablanca les anges ne volent pas et emprisonne même le réalisateur-scénariste dans une vision manichéenne des choses.
Résultat des courses : un regard noir domine le film. Et même le choix du tournage d'une partie du film dans des montagnes enneigées peut être lu comme un choix funèbre et macabre. La montagne devient un linceul annonciateur de la mort : la mort physique de la femme de l'un des héros du film et par extrapolation la mort des rêves de tous les personnages.


Trois rêves. Trois échecs

Car dans À Casablanca les anges ne volent pas il s'agit de plusieurs rêves qui échouent sur un rocher nommé Casablanca : Said n'a pratiquement pas de rêve si ce n'est subvenir aux besoins de sa famille restée dans la montagne. Ismaïl, quant à lui rêve de chaussures chères et enfin Othmane ne vit que pour son cheval à qui il envoie régulièrement du pain sec et de l'orge.

Les trois amis travaillent avec acharnement dans une gargote casablancaise pour atteindre leurs objectifs respectifs. Seulement voilà aucun rêve ne se réalise au bout du compte.

Lorsque Ismaïl (interprété par Abdessamad Miftah El Kheir) parvient enfin à acheter les chaussures qui l'obsèdent, au prix de plusieurs jours de privation, il est chargé de déposer des plans dans un chantier difficile d'accès. Parcours semé d'embûches dont un clou qui transperce la semelle des chaussures neuves marque le dénouement. À Casablanca, Ismaïl n'arrive pas à avoir chaussures à ses pieds si l'on veut employer la métaphore.

Lorsque Othmane décide de ramener son cheval à Casablanca pour lui éviter d'être réquisitionné par le préfet du coin, une fois en ville, le précieux cheval cavale frénétiquement vers une destination inconnue. Casablanca n'étant pas une ville pour les pur-sang mais juste pour les chevaux bâtards tout juste bons pour les abattoirs (comme ne cesse de le ressasser Othmane tout au long du film).

Enfin lorsque Said se rend à son village au chevet de sa femme malade. En route vers l'hôpital elle rend l'âme. Comme pour dire que Casablanca est à destination unique : Un aller simple.

Pourquoi ces trois rêves se sont-ils soldés par un échec ? Pourquoi dans À Casablanca les anges ne volent pas il n'existe pas un seul cas positif, tout en sachant que dans la réalité beaucoup de gens de la campagne ou de la montagne ont réussi dans cette mégalopole. Voilà probablement LE PLUS GRAND REPROCHE qu'on pourrait adresser au film.

Par moment on en arrive à croire que Mohamed El Asli se venge de ses personnages d'avoir quitté leurs campagnes natales pour venir travailler en ville...

Dans le même sens une autre scène résume la vision noire du réalisateur.
En route vers un hôpital casablancais, la femme de Saïd meurt. Elle reste au bord de la route pendant plusieurs heures, sous le froid, la neige et surtout l'indifférence des automobilistes. Juste pour avoir accepté de se faire soigner à Casablanca, elle qui a toujours haï cette ville, elle a droit aux pires châtiments et rentre au village à dos de mulet. Le film finit sur cette séquence. Et entre le titre et la dernière séquence on trouve tout l'esprit du film.

Entre le fond et la forme, un fossé !

À la vision de À Casablanca les anges ne volent pas on constate le fossé, le décalage énorme entre le fond et la forme.

D'une part le thème du film (ou plutôt son traitement) est plutôt dépassé. Il est d'un archaïsme assommant. D'autres films marocains ont déjà traité le thème de l'exode rural plusieurs décennies auparavant. On citera dans ce sens des films comme Les cendres du clos ou Mirage (Assarab, 1979) de Ahmed Bouanani , ou encore Lyam a lyam de Ahmed El Maânouni. Des films très en avance par rapport à leur temps. Mohamed El Asli n'est pas parvenu à faire mieux.

D'un autre côté le côté technique est d'une grande maîtrise : un montage en dents de scie, saccadé et vif qui a donné beaucoup de rythme au récit. Une photographie bien soignée aussi bien en ville ou dans la campagne, une bande son de toute beauté et enfin un casting formé d'acteurs dont la plupart jouent pour la première fois.

L'utilisation de la langue amazighe a été, en outre, un choix judicieux de la part du réalisateur et a apporté une touche singulière au film.

Pour résumer À Casablanca les anges ne volent pas reste, certainement, l'un des meilleurs films produits ces dernières années. Un film à voir, si ce n'est à revoir.

Rachid Zaki
(Maroc)
secrétaire général adjoint AFLAM,
antenne marocaine d'Africiné

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