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Une si grande métaphore…
Le Grand voyage, d'Ismael Ferroukhi
critique
rédigé par
publié le 19/06/2005

Bien que non encore distribué au Maroc, le Grand voyage de Ismael Faroukhi a suscité, lors de sa projection au festival international de cinéma à Marrakech (décembre 2004), un intérêt spécial mais mitigé. Cela revient peut-être moins au rythme de la narration propre à ce road-movie qu'aux contraintes de tournage dans plusieurs pays dont certains sont demeurés clos à l'image libre et libératrice.

Il s'agit, de prime abord, d'une odyssée terrestre où le père (joué admirablement par Mohamed Majd Prix d'interprétation masculine au festival de Mar d'el Plata en ragentine) s'engage à reproduire l'acte millénaire de pèlerinage musulman et entraîne son fils, né en terre étrangère, dans cette situation anachronique. La Mecque se mérite ! Car en voiture, d'un pays à l'autre, le pèlerinage est vécu comme une expérience d'acheminement vers le divin. Un voyage initiatique, tel qu'il a été institué dans la tradition soufie, entre maître et disciple, entre l'Un et l'Autre. Aussi constatons-nous que la notion de transmission reléguée aux parents trouve ici son incorporation la plus visualisée et la plus symbolique. Qu'est-il de plus signifiant que cette épopée moderne en quête de nouveaux sens de la religiosité, de l'altérité et de l'humanité de l'être ?

Déraciné, Réda, le fils apprend in situ à se considérer dans son identité et sa différence. Le hiatus, l'incompréhension, ainsi que les malentendus qui empêchaient jadis l'entente du père et du fils se dissipent peu à peu au rythme de ce que les soufis musulmans appellent les maqamà¢t (stades de la Connaissance). La route, image réelle, ou plutôt métaphore de la voie est peut-être le meilleur (mi)lieu pour une telle confrontation, vers un dialogue à fleur de peau. Face à face où il est plus question de reconnaissance que de connaissance, de vision que de vue de contemplation que de tourisme proprement dit.

Ce parcours est aussi celui de la découverte des autres, des paysages de la plénitude et de l'apesanteur de la vie. En effet, au rythme de ce périple de plus de cinq mille kilomètres, la caméra et les personnages vivent l'émotion de la rencontre éphémère ou temporelle, créent le rythme d'un temps régulé par l'espace fuyant. Un parcours qui éloigne la personne de sa naissance et l'approche de sa re-naissance. C'est en effet d'une renaissance qu'il s'agit. Renaître à soi, à travers un parcours de reconnaissance de soi et de l'autre. Les pays et les paysages traversés deviennent ainsi une chaîne métaphorique des étapes de la vie. Comme si, à travers ce parcours, le père et le fils revivent passé et avenir, de l'un et de l'autre. Rythmé par les incidents (maladie du père, problèmes mécaniques de la voiture), les changements de temps (neige, froid, chaleur, désert…), le voyage s'avère doublement symbolique. Il est insertion du jeune beur dans la diversité de sa culture (représentée par la diversité des pèlerins) et accomplissement d'une vie ; celle du père. Le voyage réel se transforme à la fin du film en un Voyage vers son propre destin. Ainsi, le père accomplit ce qui dans l'imaginaire des musulmans est la fin souhaitée : mourir près de la tombe du Prophète et laisser derrière lui une progéniture sensible à sa quête.

Le grand voyage est un film qui met en scène une nouvelle vision des sources et des racines dune génération happée par une modernité forcée et un dépaysement non moins violent. A travers le détour, via la découverte de l'autre, le chemin mène vers l'identité, celle-ci prise dans sa signification la plus sacrée et cependant la plus ouverte. Aussi le spectateur est-il invité à vivre le long du fil le rythme d'une redécouverte mutuelle, d'une reconnaissance de l'appartenance commune à une origine, non la marocaine ou autre, mais celle encore plus originaire : celle de l'islamité, de l'identité religieuse, ouverte, tolérante et sans mystère que celui de la sacralité inhérente à l'existence. Un message sans ambiguïté sur un islam simple, conçu pour tout le monde, à la portée de ceux qui peuvent librement y croire et s'y voir…

Par Farid Zahi
Critique d'art et de cinéma , membre du bureau d'Aflam (trésorier), association des critiques et journalistes de cinéma (Maroc)

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