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Seule envers et contre tous
Fatma, de Khaled GHORBAL
critique
rédigé par Zouhour Harbaoui
publié le 10/09/2005
Affiche suisse
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Affiche française
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Affiche tunisienne
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DVD du film (Trigon Film)
DVD du film (Trigon Film)
Fatma de Khaled Ghorbal
Fatma de Khaled Ghorbal
Fatma (Awatef Jendoubi)
Fatma (Awatef Jendoubi)
Fatma (Awatef Jendoubi)
Fatma (Awatef Jendoubi)
Khaled Ghorbal
Khaled Ghorbal
Khaled Ghorbal
Khaled Ghorbal

Fatma, Khaled GHORBAL, Tunisie, 2001, 2h04, Fiction.

Fatma, le premier long-métrage de Khaled Ghorbal, n'a pas laissé indifférent lors de sa sortie sur les écrans tunisiens. Fatma a même soulevé des passions contradictoires, certains le trouvant "admirable", d'autres "exécrable". D'autant plus que ce film a participé à un festival israélien de cinéma et Khaled Ghorbal aurait déclaré qu'il était pour la "normalisation". Mais fallait-il pénaliser un film pour le "discours" de son réalisateur, quand on sait que certains longs-métrages tunisiens reçoivent, par des chemins détournés, des subventions de Juifs officiant dans la production cinématographique, alors que ces mêmes personnes cotisent des fonds pour une caisse de soutien à Israël ?
Cela, aussi, est de la "normalisation" mais une "normalisation" intéressée...

Ceci dit, pour notre part, nous avons posé notre regard sur le sujet proposé par Khaled Ghorbal, à savoir (sur)vivre après un viol.

A travers Fatma, le réalisateur nous offre sa vision - personnelle, et nous insistons - de ce drame vécu par une jeune fille de dix-sept ans, et qui la suivra une partie de sa vie, c'est-à-dire jusqu'à la fin du film.

Une histoire pas si bateau

Donc, Fatma (Awatef Jendoubi), au début du long métrage, est une jeune fille de dix-sept ans qui vit avec son père, ses frères et sœurs, et son cousin. Le malheur viendra de ce dernier, qui la violera. Fatma tait ce drame, chassant celui qui a gâché sa vie et décidant, après l'obtention de son bac, de monter à Tunis pour y continuer ses études.

Dans la capitale, où elle demeura trois ans, elle se lie d'amitié avec Samira (Nabila Guider) et Radhia (Amel Safta), deux femmes totalement différentes d'elle, mais qui chacune détient, en son fond, un secret.

Fatma décide de postuler pour être enseignante et sera envoyée dans un petit village où elle rencontrera Aziz (Baghdadi Aoun), un médecin, son futur mari.


Doit-elle lui avouer le viol qu'elle a subi ? Et quelle sera sa réaction ?

Non, elle se fera recoudre l'hymen. Mais au bout de quelque temps, après que son mari ait été nommé dans un hôpital, il lui présente, lors d'une soirée, un de ses collègues, qui n'est autre que le chirurgien qui l'a "sauvée".

Le viol : fil conducteur

Fatma soulève une véritable problématique : la vie après un viol, et montre, par là même, que la société tunisienne, dans ce cas de figure, est intolérante envers les… victimes !
Il faut d'abord comprendre que le viol n'est pas un choix de la femme -alors qu'un rapport sexuel "volontaire" l'est- et dans les deux cas, c'est toujours vers la femme qu'on tendra l'index accusateur.

Et voilà que la femme, pour la société tunisienne, n'est pas victime de viol, mais provocatrice de l'acte. C'est pour cela que Khaled Ghorbal a fait taire son héroïne -enfin, c'est ce que nous pensons -, car Fatma est consciente que si elle parle de ce viol, les regards de ceux qui l'entourent l'accuseront.

Dans la société tunisienne, où la virginité d'une fille fait la fierté de la famille, c'est un drame que d'être souillée avant l'hymen.

Le martèlement des idées conçues, préconçues et reçues ancre la société dans des traditions imposées par l'homme.
La société tunisienne est totalement paradoxale.
D'un côté, elle accepte l'ouverture et la modernité, de l'autre, elle reste ancrée dans cette notion "abstraite" qu'est la virginité.

Fatma et son choix

Dans cette perspective, Fatma a délibérément choisi le silence, car, d'un côté comme de l'autre, elle sait que, pour la société, elle est perdue.

Lorsqu'elle rencontre l'homme de sa vie, elle "oublie" dans un premier temps ce viol, qui ressurgit à l'approche du mariage, date fatidique du passage du statut de jeune fille à celui de femme. Là aussi, quelque part, la société joue un rôle dans cette période charnière entre deux statuts.

En y regardant de plus près, la femme ne devient femme qu'une fois mariée, et peu importe son âge. D'autre part, la mère aura un statut plus élevé que la femme mariée et sans enfant. Ce qui est indiqué, de manière sous-entendue, dans le film : l'épouse du père de Fatma lui a tricoté des chaussons pour bébé, la mère d'Aziz lui fait une réflexion désagréable sur son manque d'empressement à être mère, et son mari, lors de la construction de leur demeure, lui montre le coin des enfants.

Nous pensons que le choix de Fatma, de se taire et de se faire restituer, de manière artificielle, sa "pureté", a été, pour elle, "salvateur". Elle n'a pas caché les choses par honte, mais par peur de perdre l'homme qu'elle aime.

Le rôle des hommes

Aziz semble l'aimer aussi. Nous disons "semble", car Aziz reste, quand même, un personnage ambigu.
D'une part, c'est une personne ouverte, mais de l'autre, n'oublions pas qu'il a été pétri dans, par et pour la société. Aurait-il accepté d'épouser une femme "souillée" ? A cette question, le personnage répond, dans le film, "je ne sais pas". Tout est dans ce "je ne sais pas" ! S'il était vraiment ouvert, il aurait tout simplement répondu par l'affirmative. Ce "je ne sais pas" va, peut-être, réconforter Fatma dans sa position de n'avoir rien dit. Il est aussi un signe que Aziz aurait, certainement, refusé ce mariage. Ambigu aussi dans ses prises de positions laissant sa future épouse boire et fumer, mais refuse, au fond de lui, la non-pureté. Nous sommes sûr qu'il aurait refusé cette union s'il avait su.

Deux autres rôles masculins ont marqué le parcours de Fatma : bien évidemment le violeur, son cousin, et son frère Hichem (Ahmed Hafiane).
Le premier l'a considérée comme une chose.
Pour se faire pardonner - ou pour acheter son silence - il lui offre un collier en or, comme un os à un chien.
Le second, auquel elle est très liée, représente la tolérance et l'écoute. Mais il paraît un peu faible face à Fatma. Cette faiblesse est montrée lorsqu'il l'emmène chez le chirurgien. Il l'a laissée libre de son acte, tout en essayant de la mettre sur la meilleure voie, en lui disant : "Tu vas bâtir ta vie sur un mensonge ! ?". Il faut qu'il y ait un lien très fort entre le frère et la sœur pour que celui-ci accepte. Dans notre société patriarcale, et à la limite du machiste, - et pourtant nous ne sommes pas féministe -, le frère est beaucoup plus "hazzar" (intransigeant) envers sa sœur que le père envers sa fille.

Khaled Ghorbal avait, avant de tourner son film, réalisé une enquête auprès de jeunes hommes en leur demandant si leurs sœurs n'étaient plus vierges avant le mariage accepteraient-ils qu'elles se fassent recoudre l'hymen. La plupart avait répondu oui à cette question.

A chacun son problème

D'autres thèmes sont présents dans ce film, mais moins intensément que la situation de l'après-viol. Lorsque nous prenons le personnage de Samira, jeune fille "frivole", aimant vivre et désireuse de se marier avec l'homme qu'elle aime, la vie lui porte un coup dur : le divorce et "l'emprisonnement" au sein de sa famille.

Bien que courant en Tunisie, le divorce y est encore très mal vu.
Samira est, donc, la "honte" de sa famille et d'un frère autoritaire qui la considère comme une personne incapable, légalement. Elle est obligée de se confiner dans un rôle qui n'est pas le sien, pour sauver son honneur, et celui de sa famille.

Quant à Radhia, elle a choisi de vivre célibataire. Mais cette solitude volontaire l'a remet en question, surtout durant le mariage de Fatma. Radhia lui déclare qu'il n'est pas facile de vivre sans homme et sans enfants. Apparemment, elle regrette son choix de prime jeunesse, c'est-à-dire sa "marginalisation" de la société.

Une autre problématique émerge de ce film : le grand fossé entre une génération et la suivante. Certes, ce conflit de génération a toujours été présent partout, mais nous pensons - et c'est un avis personnel - qu'en Tunisie, il est trop profond.

Les mentalités des jeunes filles tendent vers une libération des attitudes. Leurs mères, ayant subi des contraintes dans leur jeunesse, les reproduisent, consciemment ou non, sur leur progéniture. Cette évolution des mœurs ne s'est pas réalisée lentement et provoque un choc.

Il y a aussi un certain pouvoir de l'ancienne génération en la présence de la mère de Aziz. C'est vers elle que ce dernier se tourne lorsqu'il apprend la "tromperie" de Fatma.


Dans ce cas, la "sagesse" des anciens n'est pas forcément la meilleure chose. Pourquoi Aziz se sent-il obligé de faire intervenir sa mère dans un problème qu'il a avec sa femme ? N'est-ce pas là une réalité que bon nombre de couples connaissent en Tunisie, et qui est "provocatrice" de désaccords ?

Des images chocs

Pour en venir aux images du film, que nous trouvons "acceptable" et maîtrisant le sujet mieux que certains des longs métrages par le passé, quatre scènes nous ont plus marqué que les autres.
La première est celle où l'on voit l'héroïne, sous l'eau de la douche, habillée et essayant de se purifier du viol récent.
La seconde est celle de Fatma se bandant, avec un morceau de drap blanc, la poitrine, refusant ainsi sa féminité et, peut-être aussi, accusant cette partie du corps d'être responsable de son malheur.
La troisième et la quatrième séquences sont reliées. Dans l'une, Fatma, arrivée dans l'école d'un village, désire sortir pour faire des courses, le gardien lui déclare : "Chez nous les femmes ne font pas les courses" (à l'extérieur). Dans l'autre, Fatma est à la fenêtre de sa classe et voit le gardien fermer le portail de l'école. Ceci a, sûrement, une double symbolique : la liberté "bafouée" de la femme et, dans un contexte intime, le non-dévoilement du secret.

Nous entendons d'ici certaines dents crisser (de rage ?) et des griffes sortir à la lecture de notre essai d'analyse, et nous tenons à écrire de nouveau que nous ne sommes pas féministe pour un sou. Mais le film de Khaled Ghorbal méritait, pour son sujet, de passer aux rayons X de notre plume, car il ne laisse pas indifférent.

Zouhour HARBAOUI

Fiche Technique

Tunisie, 2001
35 mm, couleur, 124 min
Réalisation : Khaled Ghorbal
Scénario : Khaled Ghorbal
Image : Jean-Luc Lhuillier
Musique : Foued Ghorbal
Montage : Andrée Davanture
Interprétation : Awatef Jendoubi, Nabila Guider, Bagdadi Aoun, Amel Safta, Huguette Maillard, Maurice Garrel,...
Productrice : Francine JEAN-BAPTISTE

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