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En quête d'enquête…
Mémoire en détention (Dakira Moatakala), de Jilali FERHATI, Maroc
critique
rédigé par Zouhour Harbaoui
publié le 14/09/2005

Mémoire en détention de Jilali Farhati est un film assez passionnant entraînant les spectateurs d'une quête à une enquête et d'une enquête à une quête. C'est le troisième film marocain traitant "de la mémoire de la répression des militants politiques durant les "années de plomb" après La Chambre noire d'Hassan Benjelloun et Jahwara de Saad Chraïbi. Cependant, et contrairement aux deux autres, Mémoire en détention laisse de côté le terrain de la reconstitution historique pour privilégier une approche véritablement artistique.

Zoubeïr (Mohammed Marouazi) est un jeune délinquant. Il est en prison et s'est pris d'amitié pour Mokhtar (Jilali Farhati), prisonnier politique de longue date, silencieux et aimant jardiner. Le directeur signifie à Mokhtar qu'il doit s'en aller car son temps d'emprisonnement est terminé. Celui-ci refuse de quitter la seule demeure qu'il connaisse. Il prétend qu'il n'a plus de parents, plus d'amis, qu'il ne sait plus qui il est. Amnésie réelle ou volontaire après des années d'incarcération. Non, il est décidé à ne pas quitter la prison. Devant ce cas, le directeur, à la sortie de prison de Zoubeïr, demande à celui-ci – sachant le "vétéran" attaché au jeune homme – de prendre en charge Mokhtar et d'essayer de lui retrouver un parent ou un ami. Commence alors une enquête pour Zoubeïr et une quête pour Mokhtar ; chacun tentant de trouver une bride à l'histoire de ce prisonnier politique.

Peu à peu, Zoubeïr découvre que Mokhtar aurait dénoncé ses amis lors de la grande répression. Et parmi ces amis, le père de… Zoubeïr. Le vieux prisonnier serait-il la cause de la mort du père aimé ? Mokhtar ne sait plus ou ne veut plus savoir. Mais peut-être qu'au fond de lui il a voulu cacher la terrible vérité…

En parallèle, une femme (Fatema Loukili), s'étant exilée à l'étranger pour échapper aux années de plomb, revient au pays. Elle cherche. Elle aussi, elle enquête et quête des renseignements qui pourront la rapprocher de Mokhtar, l'homme qu'elle a et qu'elle aime toujours. Elle aussi, elle veut connaître la vérité, la vraie !

Un drame poignant et attachant

Tout dans le film de Jilali Farhati est attachant. Le spectateur est tenu en haleine par la trame de l'histoire. Il veut connaître la vérité tout comme les personnages de Mémoire en détention. Mokhtar est-il réellement le dénonciateur de ses amis ? On se pose la question jusqu'au moment où la vérité apparaît. Jilali Farhati laisse le spectateur dans le doute, et ce grâce à aux flash-back. Ces derniers, très courts, sont plus symboliques que porteurs d'un éclaircissement à la situation. Le spectateur se dit : "Oui, c'est Mokhtar qui a dénoncé ses camarades parce qu'il a été torturé ! On peut tout avouer sous la torture !" . Et voilà que le spectateur se rétracte quelques instants plus tard par certains détails et il se dit "Non, ça ne peut pas être Mokhtar ! Peut-être est-il bel et bien l'instituteur qu'il prétend être. Un instituteur portant les mêmes prénom et nom que lui et qui était lui aussi incarcéré". Le spectateur va jouer avec son instinct jusqu'au moment fatidique, comme Farhati va se jouer de l'instinct du spectateur.

Mais au-delà de ça, le réalisateur a su mettre en exergue et de manière pudique et poétique non seulement le drame vécu par tout un peuple, mais celui personnel de chacun des protagonistes. Zoubeïr ne sait plus s'il tient l'assassin involontaire de son père. La femme ne sait pas si elle va réussir à retrouver Mokhtar. Ce dernier ne sait pas s'il pourra oublier les sévices endurés et la honte. Mais chacun a un point commun : l'espoir, à différents niveaux, mais l'espoir quand même.

Travail psychologique

Outre la trame, le spectateur est, également, tenu en haleine par le jeu des comédiens qui ont su donner à leurs personnages respectifs toute leur dimension psychologique. Les silences de Mokhtar sont tout à fait compréhensibles. Cet homme a vécu des sévices qui l'ont marqué à vie, mais il détient un secret qui lui fait honte. Nous pensons que son amnésie est volontaire : se réfugier dans l'oubli pour justement oublier réellement. Pendant toutes ses années de prison, il a voulu oublier, se plongeant dans les fleurs et s'attribuant une identité qui n'est pas la sienne. Certaines personnes lorsqu'elles possèdent un lourd secret préfèrent provoquer une amnésie, oublier qui elles sont et ce qu'elles sont et entrent peu à peu dans la folie. Nous pensons que Mokhtar n'a pas réussi à oublier. Ce qui nous pousse à affirmer cela, c'est qu'il refuse de sortir de prison, non pas parce qu'il n'a pas où aller, mais de peur d'affronter les fantômes du passé. C'est, donc, qu'il n'a pas oublié. Il ne veut pas affronter la rumeur, celle qui l'a mis au ban des accusés aux yeux non pas de l'Etat mais de ses concitoyens.


Zouheïr, quant à lui, est quelque part instable, et même plus que Mokhtar. Son désir de venger son père, de connaître son dénonciateur, de connaître la vérité est plus fort que tout, que sa propre vie, son propre avenir. Il ne peut pas avancer et être un homme sans savoir. Il se veut responsable mais n'est pas encore mûr, n'a pas atteint la maturité. Il attend juste une réponse qui lui permettra de franchir le pas. Il redoute la vérité mais il l'attend avec impatience.

Une bonne réalisation pour un bon film

Jilali Farhati a su construire son long métrage de manière juste et habile. La réalisation a été rondement menée –d'ailleurs il a obtenu le prix de la réalisation au FFMO– et l'on se demande si le réalisateur n'y a pas mis de son expérience. Aurait-il vécu, connu, de près ou de loin, une histoire analogue ? Lui seul pourrait nous le dire. Certains ont déclaré que Mémoire en détention était, nous citons, "nul". Nous pensons qu'ils n'ont pas compris la sensibilité du film. Nous, pour notre part, nous l'avons trouvé bon à tous les points de vue et tous les niveaux, car au-delà de l'histoire, de l'interprétation, de la réalisation, il nous a interpellés. Car nous avons tous, au fond de nous, une "mémoire en détention"…

Zouhour HARBAOUI

Mémoire en détention (Dakira Moatakala), Jilali FERHATI, Maroc, 2004, 80 min, 2004, Fiction, 35mm scope, Dolby SR.

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