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Les douleurs muettes d'une Algérienne
Inch Allah Dimanche, de Yamina Benguigui
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 14/09/2006

La caméra de Yamina Benguigui dépeint avec beaucoup d'à-propos le quotidien d'une Algérienne nouvellement débarquée en France. En effet, en 1974, tel que rappelé au début du film, le gouvernement de Jacques Chirac décide du regroupement familial. Zouina, flanquée de sa belle-mère et de trois de ses enfants (une fille et deux garçons) va alors rejoindre son mari parti pour la France dix ans plus tôt, comme travailleur immigré.

Elevée dans la plus pure tradition arabo-algéro-musulmane où l'homme est tout-puissant et la belle-mère outrancièrement dominante, Zouina se révèle en France être un personnage en contradiction avec elle-même. Habitée par sa nostalgie du pays - elle crie le nom de sa mère dès son arrivée en France -, elle est en même temps tendue vers son besoin d'exister. Dans son nouvel univers. N'est-elle pas accrochée à une émission de radio, cet appareil représentant l'objet par excellence d'ouverture sur le monde extérieur ? La réalisatrice nous met là en présence de deux forces d'attraction, qui peuvent être considérées comme forces d'inertie ou de propulsion, selon qu'on les considère du point de vue occidental ou arabo-algérien. Pour mieux étayer son propos, elle met en situation divers personnages. Entre autres, Ahmed, mari distant, complexé et violent, qui redoute par exemple que sa femme sache lire. Après dix ans de séparation, le premier contact véritable avec son épouse n'est-il pas pugilistique ? Soumis à sa mère Aïcha, celle-ci le manipule à sa guise.

Non contente d'humilier constamment sa bru, Aïcha représente la société algérienne. Elle en est le prototype. Celui qui est réfractaire à toute ouverture sur l'extérieur. Dominatrice à souhait, n'apparaît-elle pas comme le véritable chef de famille ?

Du côté français, au moins trois personnages sont mis en rapport avec Zouina. Mme Donze d'abord. Une vieille femme acariâtre et désagréable comme voisine. Elle possède un jardin de fleurs qu'elle protège comme la prunelle de ses yeux. Correctement raciste, elle est le pendant français d'Aïcha, la belle-mère de Zouina.

Il y a ensuite Nicole, qui est le prototype même de la femme revendiquant son émancipation. Mais une émancipation primaire au regard de ses préoccupations tout simplement d'ordre esthétique ou corporel. Du superficiel en somme !

Enfin il y a le chauffeur du bus. Un tantinet voyeur, Yamina Benguigui donne de lui l'impression d'un homme amoureux de Zouina. Mais en réalité, ne voudrait-il pas seulement satisfaire une curiosité sexuelle avec une femme fragile sous divers points, dont le moindre n'est pas l'enfermement dont elle est victime ? Ces personnages, plus que d'autres, exercent une influence certaine sur Zouina, autrement dit, sur le film. Personnage central de Inch Allah Dimanche, Zouina en représente une espèce de point de convergence de la construction de son récit.
Empruntant à plusieurs genres, Inch Allah Dimanche apparaît tantôt tragique, tantôt comique. Malgré son côté parfois burlesque, par ses aspects documentaires, il vient chaque fois nous rappeler que la réalisatrice traite d'un sujet grave : celui de l'immigration. Pas n'importe quelle immigration, celle des femmes, surtout des femmes au foyer. Elle est leur voix. Invisibles dans la société française d'alors, c'est pourtant grâce ou à cause d'elles que l'immigration de travail s'est muée en immigration de peuplement. Du fait de leur fort taux de fécondité. Yamina Benguigui en voulant ainsi leur rendre hommage par le truchement de sa première œuvre fictionnelle, a fini par révéler ses penchants féministes. En déshabillant par exemple Zouina pour sa bagarre avec sa voisine, n'a-t-elle pas seulement voulu dénuder, pour le montrer, un corps toujours couvert des pieds en cap ? Argumentant ainsi comme les féministes des années 70, qui revendiquaient le droit des femmes de disposer de leur corps à leur guise. De plus ne s'est-elle pas inspirée, comme le fait remarquer Dora Carpenter Latiri de l'université de Brighton, du slogan de ces mêmes féministes disant : "Il y a plus exilé que le travailleur immigré : sa femme" ? Dès lors, le film de Benguigui se décline en discours contre les injustices faites aux femmes, aux femmes immigrées, et qui doivent en endurer toutes les souffrances, toutes les violences. Violences morales de la belle-mère, de la voisine raciste, et même d'une compatriote en qui Zouina recherche du réconfort, mais qui la met à la porte. Violences physiques de la part de son mari, etc. Pour exister, pour s'imposer dans cette société, la voie incontournable semble être la… violence du choc culturel. Et ce choc-là est très présent dans Inch Allah Dimanche. Au travers de la conception d'un jardin de fleurs (objet de la bagarre), qui peut être pris pour une simple cour de jeu ; au travers de la symbolique même desdites fleurs, qui ont une signification différente selon qu'on est en Occident ou en Afrique ; au travers de l'utilisation des produits de maquillage, d'usage quotidien ici, mais d'usage exceptionnel là-bas.

Si au final la réalisatrice montre que Zouina réussit à se transformer grâce à son rapprochement vis-à-vis des Français, on ne peut alors s'empêcher de se demander s'il est absolument nécessaire de s'assimiler, pour être intégré dans une société, pour y exister. Répondre par l'affirmative à cette question tel que tend à le suggérer le film de Benguigui peut susciter un malaise.

Heureusement, grâce à son jeu bouleversant, Fejria Deliba pour qui le rôle de Zouina a été écrit, a su tout au long du film provoquer l'émotion. Le spectateur communie, souffre et rit avec elle. A travers un sujet fort et en cinéaste engagée, Yamina Benguigui a su retranscrire avec justesse la réalité de l'immigrée nord-africaine des années 70. Malgré la sobriété artistique de son produit.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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