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Nostalgie capverdienne
Saudade à Dakar, de Laurence GAVRON
critique
rédigé par Karo Diagne Ndaw
publié le 06/07/2006

Après une avant première à Dakar, l'Institut Léopold Senghor a fait (re) découvrir au public, au cours d'une journée sénégalo-capverdienne, le film documentaire de Laurence Gavron intitulé Saudade à Dakar. A travers la musique appelée "saudade" ou nostalgie, c'est l'histoire de la communauté capverdienne à Dakar que la réalisatrice porte à l'écran.

Rarement un film aura si bien porté son titre. Doublement. Car "Saudade à Dakar", c'est à la fois cette musique si particulière, propre aux habitants des Iles du Cap-Vert, mais aussi cette nostalgie poignante que tout exilé, loin de sa patrie d'origine, ressent parfois douloureusement. D'ailleurs, Laurence Gavron, la réalisatrice, dédie son film "à toutes les diasporas, à tous les exilés". Et "à Dakar", pour compléter le titre, c'est bien sûr la communauté capverdienne vivant dans la capitale qui est dépeinte. A la fois si familière, parce qu'elle fait presque tellement partie du décor, et si peu connue. Au fil des images, le spectateur découvre ces Capverdiens, dont la réalisatrice fait le portrait.
Avec sa caméra, Laurence Gavron nous fait pénétrer dans l'univers de ces hommes et de ces femmes qui ont quitté leur pays d'origine pour s'établir à Dakar. Une destination qui n'était que provisoire car leur véritable destination c'était l'Europe, le Portugal. Les premiers d'entre eux sont venus durant la construction du port de la capitale, dans la seconde moitié du 19ème siècle. Les témoignages des uns et des autres, pour la plupart membres des groupes "Tocatina" et "Diaspora" et parfois de leurs proches, sont autant d'intermèdes en paroles pour illustrer, voire expliquer, la musique, présente tout au long du film. "Coiffeurs le jour et musiciens la nuit", comme dit l'un d'entre eux dans le film. Ils se produisent dans les bars restaurants, où la communauté se retrouve, pour jouer, s'amuser, se souvenir et faire revivre la musique qu'ils ont ramenée de leur pays d'origine. Comme une mélopée, la "saudade" finit par se confondre à un long chant d'amour pour le Cap-Vert qu'ils ont quitté. "Quand je l'écoute jouer, la musique me pénètre et me transporte", confie l'épouse d'un des musiciens.
En faisant pleurer leurs instruments, nom qui fait référence au groupe "Tocatina", c'est peut-être leurs larmes de tristesse et de nostalgie, auxquelles ils s'abandonnent, qu'ils cherchent à masquer. Une manière aussi de pleurer dans leur cœur alors que les visages ne cessent d'afficher un sourire, une joie de vivre et un bonheur d'être ensemble. Alors la "saudade" devient "morna", "funana", ou "coladera", d'autres musiques originaires du Cap-Vert aussi, plus gaies. Heureusement. Sinon, ce serait triste à mourir, comme le souligne si bien un des intervenants du film. Une communauté qui a su s'intégrer dans leur pays d'adoption tout en ayant conservé leur culture qui se perpétue de génération en génération. Cependant, l'un des musiciens, âgé, interrogé aux côtés de son frère, confie son regret de voir qu'aucun de ses enfants ne lui succédera dans la musique.
Mêlant les images des rues de Dakar, quartiers où les Cap-Verdiens ont élu domicile, comme la Médina, certaines rues du Plateau, le jour, et l'atmosphère un peu "surannée" dans ces clubs où ils se retrouvent la nuit, mais aussi quelques images fugitives du Cap-Vert, à la fois si proche et si lointain, le film est parfois empreint d'émotion mais aussi de joie. La musique est très présente et les témoignages équilibrés pour ce moyen métrage de 48 minutes. A la fin, par la magie du film, le spectateur ressent presque lui aussi, la "saudade". Grâce à une certaine empathie sans doute, avec les héros du film, créée par cette musique qui finit aussi par le pénétrer et le transporter.

Coup de foudre
Installée depuis 4 ans au Sénégal et maîtrisant parfaitement le wolof, Laurence Gavron est l'auteur de plusieurs films dont des portraits du musicien Ndiaga Mbaye et du cinéaste Djibril Diop Mambéty. Elle est également journaliste et a publié deux livres "Marabouts d'ficelle" (janvier 2000) et d'un livre sur "John Cassavetes" (éditions rivages 1987). La cinéaste, qui aime à se définir comme une Sénégalaise d'origine française, "puisque le contraire existe" a réalisé Saudade à Dakar suite à un coup de cœur pour cette communauté capverdienne. Après une soirée où elle a découvert ce bar restaurant, "les îles" où elle a également tourné dans le film, elle y retourne plusieurs mois plus tard, après s'être installée au Sénégal. "Je suis tombée complètement amoureuse de ces gens, de cette musique, de cet endroit", souligne la réalisatrice. A travers le coiffeur, Lino, de la rue Joseph Gomis, à qui elle fait part de son projet, elle entre en contact avec d'autres membres de la communauté. Les différents musiciens et la patronne du club, Antoinette, qui rappellent comme d'autres femmes capverdiennes, "ces Cubaines, avec leurs nattes. Des femmes qui portaient déjà toute une histoire sur leurs visages".
Le tournage du film débute ainsi, sans budget. Une histoire dans laquelle la réalisatrice se reconnaît sans doute. D'ailleurs, un de ses proches lui a révélé que c'était le film qui lui ressemblait le plus, indique-t-elle. Et elle-même, comme les intervenants du film, souligne son amour pour le Sénégal. "C'est mon pays, c'est là où j'ai voulu vivre et où je suis venue. Moi je suis juive, et donc je fais partie d'un peuple qui a toujours voyagé, qui a toujours erré, qui est un peuple de diaspora par définition et d'exil", indique Laurence Gavron. Même si elle est née et a grandi à Paris, elle pense que chaque personne est le résultat de son histoire et que les racines comptent.
Des origines et une histoire commune que les Capverdiens ont su conservé tout en étant très intégrée au Sénégal. "Mieux que les Libanais ou les Toubabs", poursuit la cinéaste. "On voit les enfants, tout petits déjà, connaître les paroles des chansons et je trouve ça très émouvant". Pourtant, au début, confie la réalisatrice, le film devait juste porter sur le groupe "Tocatina". Par la suite, le tournage, les rencontres, le montage et la maturité du projet ont fini par en faire Saudade à Dakar. Comme une évidence, le titre s'est imposé. La musique et les images l'ont traduit.

Karo DIAGNE (Sénégal)

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