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Un river movie condescendant
Congo River, de Thierry MICHEL
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 01/10/2006

L'histoire raconte que le roi belge Léopold II cherchant à se créer une zone d'influence en Afrique centrale s'appropria le Congo. Il y construisit routes et forts, organisa la navigation fluviale, et soumit les chefs locaux. Après que la Conférence de Berlin eut reconnu sa souveraineté personnelle sur ce territoire quatre-vingt fois plus grand que la Belgique, il légua sa colonie en 1906 à son pays. Le Congo est indépendant le 30 juin 1960. Le 24 novembre 1965, le coup d'Etat d'un certain Joseph Désiré Mobutu éjecte Patrice Emery Lumumba du pouvoir. La colonisation venait d'accoucher d'un monstre. Commence alors pour le pays une longue période de dictature, de troubles, et surtout de déliquescence. La vie au Congo ne sera plus jamais un long fleuve tranquille.

Après Mobutu, roi du Zaïre dans lequel il dénonce la mégalomanie et les dérives d'un chef d'Etat à la solde du colonisateur d'hier, Thierry Michel revient revisiter cet immense pays, au travers de son fleuve, véritable épine dorsale de son organisation socio-économique. Pour ce faire, il se sert d'un genre qui lui est cher : le documentaire. Et celui-ci vient se greffer à un autre genre, l'équivalent sur l'eau du road movie. Congo River, sous-titré Au-delà des ténèbres, apparaît alors comme une quête, celle du réalisateur, soucieux de comprendre ce pays dont il s'est épris sur les bancs de l'école, où il a rencontré des étudiants congolais. Il va donc remonter l'emblématique fleuve Congo, de son embouchure jusqu'à sa source. Ce river movie est pour lui une occasion de découvertes, de rencontres nouvelles, qu'il relate avec force commentaires, à travers les sinuosités d'un parcours finalement initiatique.

Si les majestueux paysages, les palais en ruine ou abandonnés, les chutes gigantesques du fleuve et autres retiennent l'attention de certains spectateurs en mal d'exotisme, c'est davantage la misère de gens luttant vaille que vaille pour s'accrocher à la vie qui donne sa tonalité au film. Car au-delà des ténèbres, il y a la vie, il y a des gens responsables. Le chef de gare, le médecin, l'évêque et surtout le capitaine du bateau, qui n'a jamais fait d'accident, en sont des exemples patents. Et c'est ici que Congo River apparaît comme l'antithèse de Mobutu, roi du Zaïre. Dans celui-ci, le réalisateur belge s'est attelé à démontrer l'irresponsabilité d'un dirigeant, sorte de roi fainéant, dont la seule ambition était de se servir, et non de servir son pays. Par sa faute, le pays a sombré dans la misère, confinant dans une barge un peuple d'hommes et de femmes courageux qui rament ferme pour avoir leur place au soleil.

Cependant, la barge dont se sert Thierry Michel, avec ses allures d'Arche de Noé, où sont entassés pêle-mêle êtres humains, choses et bêtes, est aussi l'incarnation d'un lieu isolé pour marginaux. Malgré quelques haltes sur des ports de fortune, sa perpétuelle avancée sur l'eau tient davantage de l'errance que du respect d'un trajet programmé et défini à l'avance. Les performances du capitaine du bateau ne sont-elles pas plus dues à son expérience qu'au respect du trajet d'une voie navigable digne de ce nom ? Le code de navigation fluviale dont il se sert ne date-t-il pas de l'époque coloniale ? C'est à partir d'ici que le film de Michel prête à controverse, du fait du regard condescendant qu'il pose sur le Congo d'après l'indépendance.

Certes le pays s'est lentement et implacablement décomposé ! Mais en voulant à tout prix tracer des parallèles entre les bienfaits de la colonisation et le gâchis d'après l'indépendance, Thierry Michel n'a pas réussi à se dépouiller de son complexe d'Occidental soucieux, malgré tout, de préserver une certaine image de son pays. Car bien qu'il reconnaisse la domination outrancière et outrageante du colonisateur, par ses images d'archives, Thierry Michel tente de justifier sa présence au Congo. Il y a apporté le développement, soit ! mais sans jamais se salir les mains. Il a souvent impulsé le mouvement, soit encore ! mais celui qui a toujours véritablement travaillé est le Congolais. Et cela, le film de Thierry Michel ne le relève pas suffisamment. Il se contente de montrer par ces images d'archives de l'époque coloniale que "le continent noir est tiré de son sommeil millénaire". Et celles-ci sont insidieusement suivies d'autres images, sur les mêmes sujets, à l'ère de l'indépendance, et montrant l'immense gâchis. Cette manière de procéder n'est pas innocente. Michel n'aurait-il pas voulu par-là semer les germes d'un débat sur la colonisation ? De toutes les façons, Congo River donne l'impression d'être venu achever le travail commencé dans Mobutu, roi du Zaïre. Michel s'en voulait-il ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun

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