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entretien d'ensemble (4/4)
Jillali Ferhati & Hamid Aïdouni
critique
rédigé par Hamid Aïdouni
publié le 09/10/2006

4ème (et dernière) partie de l'entretien mené par Hamid AÏDOUNI avec le cinéaste marocain Jillali Ferhati.

Hamid Aïdouni : Il y a aujourd'hui une présence importante de cinéastes originaires ou travaillant au Nord, il y a une dizaine d'années on avait même avancé la naissance d'une école de Tanger. Quel dénominateur commun peu-il y avoir entre les cinéastes de Tanger et du Nord en général.

Jillali Ferhati : Il y a la lumière, il y a le Nord, il y a la géographie physique. Ce qui est sûr c'est que le cinéaste marocain lutte pour voir cette cinématographie, l'une des cinématographies reconnues. Parler d'une école du nord, c'est un peu prématuré, c'est comme un championnat de foot avec 3 équipes. On ne peut pas d'emblée créer une rivalité ou une équipe dans une cinématographie encore naissante. Si on doit parler du Nord, il y a une luminosité qui, le caractérise, encore faut il pouvoir la déceler…

Hamid Aïdouni : Le Festival National de Tanger a vu l'émergence d'une nouvelle génération de cinéastes marocains venus d'ailleurs. Tu penses – comme tu l'as déclaré dans le cadre du colloque organisé en 1997 par les Amis du Cinéma et le Groupe de recherche sur le Cinéma et l'Audiovisuel de la Faculté des Lettres de Tétouan – que (je te cite) "le cinéma de l'immigration est un cinéma qui semble quelque part altéré par l'Occident, altéré par un système de production qui mène à une sorte de conformisme."

Jillali Ferhati : Ali Zaoua ne répond-il pas à ça ?!

Hamid Aïdouni : Tu continues et tu dis : "les films issus de l'immigration m'ont déçu et m'ont vraiment fait mal parce qu'ils cherchent à répondre à des critères qui ne peuvent être que néfastes, surtout vus de ce côté ci".

Jillali Ferhati : Le cinéma, c'est de l'émotion, c'est ce cinéma là qui me plaît. Le cinéma c'est quelque chose avec qui je peux dialoguer, dialoguer constamment sans déranger le film, ni le spectateur que je suis. Moi j'ai horreur des films que je vois et être appelé à faire des réflexions. Ma nourriture c'est que tu m'apportes une autre vision, différente, automatiquement exotique, étrangère mais une autre vision.

Hamid Aïdouni : Dans quelle mesure, tu te considères comme cinéaste méditerranéen ? Peut-on parler de la méditerranéité de ton cinéma ?

Jillali Ferhati : Dans mes couleurs, c'est indéniable, le bleu est tellement prédominant, je suis tellement proche du bord de la mer. Par contre, du moins c'est une tendance, j'essaie d'être universel dans mon propos. Quand je repense mes films, je crois que je l'ai toujours été, une femme violée n'est pas propre à la Méditerranée …
Mon propos est universalisé, je ne crois pas que je suis en train de faire du local. Ce qui dérange chez les Occidentaux, c'est quand il voit un palmier, un chameau, ils commencent déjà à être déroutés, ils se disent : c'est un film qui vient d'ailleurs, je ne crois pas qu'il le ferait avec Bergman.
C'est cela qui me désole dans la vision de l'Occident, elle marque une scission entre les différentes cinématographies. J'ai hâte à ce qu'on parle un jour de cinéma marocain. Lorsqu'on parle de cinéma suédois, espagnol, français, on parle de spécificités, de données, des empreintes qui sont là, qui ne peuvent être d'ailleurs. Ce n'est pas parce que c'est les couleurs, il y a quelque chose qui différencie. C'est comme pour le marché commun : il y a quinze ou seize pays, il y a tellement de choses qui les relient , mais ils sont tous différents.
Pourquoi ne fait-on pas un effort dans ce sens là concernant le cinéma. En plus, ce qui est assez malheureux dans le domaine de la cinématographie internationale c'est qu'on doit automatiquement mettre au Sud ceux qui n'appartiennent pas à cette terre méditerranéenne, alors que le cinéma est universel…

Hamid Aïdouni : La femme, le viol, la tolérance, semblent être des choix thématiques qu'on retrouve dans tous tes films. Il me semble que chaque fois que tu traites de la violence tu le fais avec une extrême tendresse. On retrouve encore une fois cette thématique du viol et cette constance dans le traitement.

Jillali Ferhati : Je poserai la question à quiconque : qu'est ce qui pourrait être le plus humiliant pour un être ? C'est d'être violé. Je ne parlerai pas des hommes ; c'est le suicide. Violer un homme dans une société surtout comme la nôtre, c'est tuer avant terme.
Une femme qui aspire à être mariée vierge, tu la violes, tu la tues. Il y a le meurtre ; le meurtre commence là. Tu assassines tout, je veux dire le viol physiquement n'a plus d'importance. Là n'est pas le viol. C'est pour cette raison que je ne l'ai pas montré dans le film, parce que le physique ne m'intéresse pas, elle a été violée et bien essayons de voir ce qui se passe à l'intérieur,

Hamid Aïdouni : L'impact sur le spectateur a été plus fort.

Jillali Ferhati : Oui, mais c'est ce qui m'intéresse. Le Palestinien avec son fils, Mohamed Dorra, je l'ai vu mille et une fois à la télévision. Que ce soit la Marocaine, l'Espagnole, l'Anglaise, l'Allemande, je n'ai jamais pu la voir cette image. Je ne peux pas avoir, je n'ai pas accès à la violence. Le seul accès que j'ai, c'est dans l'autre sens. C'est ce que pourrait produire la violence sur moi, je la sens autrement, et je suis beaucoup plus atteint que si je l'avais vu comme ça. Parce que je peux imaginer mille et une choses. C'est pour cette raison que j'ai fait une ellipse sur le viol et j'ai toujours expliqué que le bris de la glace c'est la défloration, c'est l'hymen qui est brisé. Le viol a commencé bien avant, c'est à dire quand le gars a eu l'idée dans sa tête, c'est déjà le viol. Pourquoi le montrer par la suite ?
Donc, tout cela fait que le viol je pourrai l'appeler autrement : agression. Il y a agression, cela me permet de passer outre l'agression et de me fixer sur les conséquences. C'est l'irréparable, et c'est les conséquences qui m'intéressent
Bon, j'aurai fait un film avec le viol, et j'aurai eu des recettes, tu comprends, je l'avais décrit dans mon scénario, il y avait un mouvement et du coup je me suis contenté de cela.

Hamid Aïdouni : Tout est déjà là, concentré.

Jillali Ferhati : Oui, concentré, avec cette main qui caresse et il y a les affiches du père avec tous les slogans. Ce qui est malheureux, c'est que le spectateur n'a pas le temps de voir cela, le spectateur se dit : et alors, quand va t il la déflorer ?! Il y a des choses qui se succèdent dans la tête du spectateur qui ne t'appartiennent pas, qui ne t'ont jamais appartenu, et ce qui est malheureux c'est que tu es seul devant 400.000 entrées. 40.000 entrées, c'est un miracle pour un film marocain et je tire chapeau à mes collègues qui ont pu faire ce score, moi, je les envie. J'avoue, je les envie. Ils ont fait les films qu'ils voulaient et ils sont arrivés là. Moi, j'ai fait le film que je voulais, j'ai raté le coach.

Hamid Aïdouni : Est ce un critère ?

Jillali Ferhati : C'est un critère dans la mesure où on peut enfin dialoguer avec le public.

Hamid Aïdouni

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