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Le cinéma au Togo
Une image en clair-obscur
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 30/10/2006

Se situant encore au stade embryonnaire, le cinéma togolais pourrait connaître des lendemains qui chantent grâce à sa nouvelle génération de cinéastes dont les énergies créatrices ont été canalisées durant les ateliers de formation s'étant déroulés dans le cadre des Rencontres du cinéma et de la télévision de Lomé du 02 au 15 octobre 2006.
Si Kouami, le tout premier film togolais date de 1975 (un court métrage de fiction réalisé par Jacques Do Kokou Métonou, suivi de La Lycéenne, du même auteur, en 1976), le pays compte moins d'une dizaine de films de cinéma, longs et courts métrages, fictions et documentaires confondus. Si bien que les quelques rares salles de cinéma du pays - trois - sont inondées de productions étrangères. Comme l'ensemble du continent, du reste.
Quant aux cinéastes togolais connus et reconnus, ils se comptent à peine sur les doigts d'une seule main. Nous avons rencontré deux d'entre eux, pour faire le tour d'horizon du septième art dans leur pays.
Blaise Abalo Kilizou, 60 ans, considéré - avec Jacques Do Kokou Métonou - comme faisant partie de la première génération, est le réalisateur de Kawilasi, qui signifie "signe avant-coureur", mais dont le titre en français est Sabi, la mort et moi. C'est le premier long métrage de fiction togolais (88 min).
Augustin Talakaena Batita lui, 52 ans, est un cinéaste atypique. Militaire de formation et de carrière, il est cinéaste par conviction et par passion. Il se situe entre la deuxième et la jeune génération.

Comment êtes-vous arrivés au cinéma ?

Augustin Talakaena Batita : En classe de Terminale, j'ai passé le concours de la Marine. Après ma formation au Centre d'instruction naval de Saint Mandrier à Toulon (France), j'avais encore l'envie de poursuivre mes études. Mais, les contraintes militaires, les voyages, etc., m'en ont empêché. J'ai alors commencé à écrire dans les journaux et à préparer un roman. A bord du patrouilleur Mono, j'ai écrit des scénarios et voilà, le tour était joué. Comme mes écrits intéressaient mes chefs, ils m'ont détaché à la Direction de la culture. C'est de là que j'ai préparé le premier feuilleton togolais, Yon'Taba ou Les Rivales, qui a été diffusé sur CFI et repris par toutes les chaînes de télévision francophones. Mon essai intitulé La constitution togolaise ensanglantée m'a suggéré un film, suite aux troubles socio-politiques qu'a connus le pays. Au fur et à mesure que la communauté internationale tapait sur le Togo, celui-ci devenait plus démocratique que ceux qui se croient démocrates. Les gens ne réalisent pas encore que le Togo a changé.

Blaise Abalo Kilizou : Tout petit, je m'intéressais déjà au cinéma. J'allais regarder les films à travers les claustras d'une salle de la région centrale du Togo appartenant à un Alhadji qu'on avait surnommé "Vingt-Vingt". Celui-ci possédait des salles de cinéma dans presque toutes les grandes préfectures.
En janvier 1977, j'ai tourné un film de commande, le premier long métrage documentaire sur la vie du président Eyadéma. Il fut primé à Tachkent. Par la suite, de 1978 à 1981, je suis allé étudier le cinéma à l'INAFEC de l'Université de Ouagadougou. Je suis de la même promotion que Rasmane Ouédraogo. Rentré au Togo, le pays sombrait déjà dans la léthargie cinématographique. Affecté au Village du Bénin - un centre d'étude et de recherche sur les langues - comme professeur de français, j'y suis resté jusqu'en 1995, année où j'ai sorti mon premier long métrage de fiction.

Pouvez-vous nous situer sur le cinéma au Togo aujourd'hui ?

Blaise Abalo Kilizou : Avant tout, je dois dire que dans les années 60, le Togo a fait de petits reportages d'actualité. A cette époque-là, nous avions des cinés-bus qui projetaient des films à l'intérieur du pays. Le gouvernement togolais avait compris très tôt qu'une image valait mille mots. Ces mini-bus qui appartenaient au CINEATO étaient équipés de projecteurs 16 mm et d'un groupe électrogène. Que sont devenus ces mini-bus aujourd'hui ? Je n'en sais rien. Toujours est-il qu'actuellement, la campagne est sevrée d'images. Il faudrait par ailleurs relever qu'entre les années 60 et 70, nous avons connu une profusion de salles de cinéma au Togo, dont une quinzaine à Lomé. Avec les troubles socio-politiques, leur nombre a considérablement diminué. À présent, il n'y a plus que trois salles à Lomé.

Augustin Talakaena Batita : Le cinéma chez nous aujourd'hui est au point mort. Nous les cinéastes ne sommes soutenus ni par les pouvoirs publics, ni par les privés. Pour tourner le feuilleton Yon'Taba (Les Rivales), il a fallu que l'armée m'aide, parce que je suis militaire.
Je constate que les autorités ne connaissent pas les textes qui permettent la recherche des financements du cinéma. Ce qui entraîne par exemple la navigation à vue des jeunes. Et ceux-ci ont du mal à s'orienter. Il nous faut donc des résidences d'écriture. Tant qu'il n'y aura pas de résidence d'écriture, donc de formation, il n'y aura pas de financement. À moins d'être connu ou d'avoir un producteur européen. Et si nous-mêmes nous ne racontons pas notre histoire, d'autres viendront en détourner la réalité.
Concernant les salles, l'État ne gère que le cinéma Le Togo. La coopération française a financé la réfection de salles et l'achat de matériel numérique dans certains pays. Nous pouvons travailler à l'Union des cinéastes togolais pour qu'il en soit de même chez nous. Il n'appartient pas toujours à l'État d'agir. Il faut que les volontés s'organisent parmi les privés pour relancer les salles.

Quel regard portez-vous sur le cinéma africain ?

Blaise Abalo Kilizou : Le cinéma africain a fait beaucoup de progrès. Surtout au niveau des initiatives des jeunes. Ceux-ci font montre d'un engouement certain pour le septième art. De plus, ils aiment voir les films africains ; ils aiment les films à thème, et se détournent peu à peu des films de karaté.
En Afrique aujourd'hui, il existe des structures de production. Il y en a au Bénin, au Burkina, au Togo, etc. Personnellement, j'ai une petite maison de production, "Lidaau Films Production". C'est elle qui a produit Kawilasi (en co-production avec le Burkina Faso et le ministère togolais de la Culture), prix spécial du développement humain durable en 1995 au Fespaco. Actuellement, il nous reste à trouver des sociétés de distribution pour montrer les films africains, car les réalisateurs doivent en vivre. Le cinéma est une industrie. Est-ce que cela se justifie en Afrique ? Est-ce que les autorités s'en préoccupent ?

Les productions nigérianes envahissent l'espace togolais. Comment trouvez-vous leur cinéma ?

Blaise Abalo Kilizou : Le Nigéria fait des efforts. On peut copier son exemple. L'avènement du numérique peut aider l'Afrique à produire et à diffuser ses œuvres. Avec 16 ou même 8 millions de francs CFA, on peut faire un film, si on ne cherche pas à pousser à outrance le professionnalisme. Je ne dis pas qu'il ne faille pas être professionnel. Je voudrais simplement faire remarquer que si on tourne en DV par exemple, s'il faut une qualité supérieure, il faut la HD. N'oublions pas que le Nigéria a commencé par le VHS. Actuellement, nous sommes des consommateurs passifs, alors qu'avec le numérique, on peut produire, faire des documentaires qui sont d'ailleurs très demandés. Certes nous avons besoin de matériel, mais grâce au numérique, nous pouvons amoindrir les coûts d'un film, en se passant de trop d'éclairage par exemple. Avec la 3D, des images de synthèse, on peut créer des décors.

Quels sont vos projets ?

Blaise Abalo Kilizou : J'ai des scénarios qui attendent. Je m'occupe en écrivant, parce qu'il manque de moyens pour tourner. J'ai 14 épisodes prêts de Dikanaku (Maigris et meurs, en langue mina), une série télévisée qui en compte 84.

Augustin Talakaena Batita : Je sors d'une résidence d'écriture à Nomadis Images pour un long métrage, Nid'Buda (Le Saint Homme). Je serai le producteur des documentaires Itchombi de Mlle Assih Gentille, et Autopsie d'une succession de Luc Abaki. En décembre 2006, je tournerai un documentaire sur le port de Lomé. J'ai écrit 14 scénarios, et je suis en train de chercher des financements pour Sa Hirma (Les grêles tombent), mon deuxième feuilleton de 85 épisodes.

Entretien mené à Lomé
par Jean-Marie MOLLO OLINGA,
IIè Vice-Président de la FACC,
Cameroun.

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