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Idrissa Diabaté, réalisateur ivoirien :
"Mon souhait est que les stagiaires maîtrisent le langage cinématographique"
critique
rédigé par Charles Ayetan
publié le 31/10/2006

Cinéaste ivoirien de renom, Idrissa Diabate a déjà réalisé une vingtaine de films documentaires. Ce réalisateur, également formateur en cinématographie, a pris part aux Rencontres du Cinéma et de la Télévision de Lomé (RECITEL 2006), au cours desquelles il a formé des stagiaires en réalisation de film documentaire. Présence Chrétienne a rencontré pour vous, ce maillon important du cinéma africain.

Présence Chrétienne : Monsieur Idrissa Diabaté, vous êtes cinéaste, réalisateur de renom. Pourquoi êtes-vous présent à cette toute première édition des RECITEL ?

Idrissa Diabaté : Je suis là pour animer un atelier sur le cinéma documentaire. J'ai donc un groupe de jeunes béninois, togolais, de la sous-région qui ont été regroupés par les RECITEL pour les initier aux techniques documentaires : la caméra, le son, etc.

P.C. : Quels sont les avantages d'un cinéma documentaire ?

I.D. : Les avantages, c'est que déjà on essaie de montrer ce qu'on est. Le documentaire, c'est le cinéma du réel. Si vous pouvez voir votre maman qui se débat tous les matins pour vous préparer quelque chose, qui va vendre au marché, qui revient vous donner à manger ; c'est un travail laborieux et vous essayez de montrer ça. À travers votre mère, vous pouvez montrer les femmes africaines, indiennes, européennes. Donc à travers votre mère simplement, vous nous interpellez pour regarder votre mère dans son quotidien, c'est ça l'importance. Donc, au moins là, culturellement, les autres peuvent savoir comment cette femme se bat pour faire face au besoin alimentaire de ses enfants.
Deuxième point, c'est que le cinéma, c'est un peu comme la menuiserie. On n'est pas menuisier si on ne fait pas de la menuiserie. Le cinéma s'apprend donc. Aujourd'hui, on a un matériel, qui est léger, qui est facile qu'on appelle le numérique. Avec 700.000 F CFA aujourd'hui, on peut avoir un matériel. Il faudra encourager les jeunes à aller utiliser ce matériel-là pour faire leur vie.
La troisième chose est que nos télévisions sont envahies d'images qui viennent de l'extérieur. Nous n'avons pas nos images sur ces télévisions. Il faut que les jeunes soient libérés de contraintes matérielles, techniques, financières pour faire des films pour occuper l'espace télévisuel de nos télévisions.
Quatrièmement, c'est qu'à la longue, ils finiront par gagner leur vie en faisant le métier qu'ils ont choisi qui est le métier de la réalisation ou de fabrication des images.

P.C. : Quel rôle peut-on assigner aujourd'hui au film documentaire dans le développement de l'Afrique ?

I.D. : Le rôle du film documentaire dans le développement de l'Afrique est primordial. Je le disais tantôt. Si vous prenez la vie d'une enseignant qui est dévoué à enseigner, vous prenez aussi la vie d'une enseignant qui engrosse les jeunes filles, dans un cas comme dans l'autre, moi qui vois ça j'apprends quelque chose. Le cinéma est un miroir. Et ce miroir est un reflet. Je me revois là-dedans. Et pour se voir mieux, c'est qu'il faut que je me montre mieux. Il faut que je maîtrise cet outil qu'on appelle : le support numérique.

P.C. : Quel est votre regard sur le cinéma africain à l'heure où nous sommes ?

I.D. : Le regard est que le cinéma qui se fait aujourd'hui en Afrique n'existe pratiquement plus. Nos télévisions ont été envahies par les images qui viennent d'ailleurs. Et nous-mêmes réalisateurs on s'est mis dans une situation où on veut utiliser la méthode de production hollywoodienne pour produire nos films. C'est irréel. Il faut que nous changions notre méthode de production. Il faut partir des petits moyens qu'on a, et parvenir à une maîtrise parfaite de ces petits moyens, avant de demander des moyens plus sophistiqués. Auquel cas on devient esclave du matériel…

P.C. : Quelle méthode proposez-vous donc à vos étudiants ?

I.D. : Comme méthode, je leur propose ceci : prenez la petite caméra que vous avez, faites vos films. C'est en faisant du cinéma, qu'on apprend à faire du cinéma, qu'on montre à son propre public sa réalité quotidienne fictive, fictionnelle. Tu peux rêver une jeune fille, tu peux faire une mise en scène avec cette jeune fille pour montrer ce qui est beau derrière, ce qui est difficile derrière. Comme je peux prendre une jeune fille dans sa pratique tous les jours. Faire un documentaire, en suivant sa vie quotidienne pour montrer comment elle se débat pour pouvoir subvenir à ses propres besoins. Les jeunes filles peuvent être influencées par ce film-là. On dira : "Ah ! elle ne vend que de l'eau et elle a réussi à construire une maison ? Mais moi, je suis journaliste, je n'ai même pas une maison. Il y a quelque chose qui ne va pas dans mon organisation." Le film va donc l'aider à se réorganiser autrement.

P.C. : Quelle est la finalité poursuivie à travers cette formation ?

I.D. : Notre objectif dans ce stage, c'est de les amener à comprendre ce que c'est que l'image. L'image, ce n'est pas seulement une photo, car elle parle aussi.
Il s'agit en outre de les amener à maîtriser la caméra, l'outil qu'on utilise pour fabriquer les images et à maîtriser ce qu'on appelle le champ, c'est-à-dire comment on utilise un micro dans un reportage, dans un tournage. Nous leur montrons aussi comment on peut monter un film. Après cette découverte ils peuvent se mettre à écrire une histoire à partir de la connaissance qu'ils ont de l'outil. Ce que je souhaite pour mes étudiant est qu'à la fin de ce stage, ils soient parfaitement capables de maîtriser l'appareil cinématographique, comprendre le langage cinématographique et comprendre comment il faut utiliser cet outil pour faire les films.

P.C. : Quel idée avez-vous du cinéma togolais ? Est-ce qu'il existe ?

I.D. : Le cinéma togolais est dans la situation de tous les cinémas africains. Le cinéma togolais n'existe pas, tout comme le cinéma ivoirien, le cinéma béninois… C'est la situation catastrophique à laquelle nous assistons aujourd'hui. On doit donc se demander ce qui se passe en Afrique? Pourquoi cette situation? Le cinéma africain est aujourd'hui entrain de se faire bouffer par le cinéma qui vient d'ailleurs.
Le remède que je propose, c'est qu'il faut que les télévisions africaines mettent en place une politique qui encourage les jeunes à produire. Cette politique d'encouragement, c'est de prendre leurs films et les passer à l'antenne. Que les gens de l'intérieur du Togo voient la jeune fille dont je parlais tout à l'heure. Et une fois qu'on a cet espace sur les antennes, on va encourager la qualité et lorsque la qualité est là, ce film-là la Côte d'Ivoire va le regarder, de même que le Bénin, le Nigéria…
Une politique de diffusion doit donc être mise en place par les télévisions. Et ce n'est pas le président, ce n'est pas le ministre, c'est le directeur de la télévision qui doit décider : "Il me faut deux documentaires réalisés par de jeunes togolais par semaine. Je vais leur payer 100.000 ou 200.000 F CFA. La télévision togolaise a donc à dépenser cette somme d'argent par semaine".

P.C. : M. Idrissa Diabate, vous avez une panoplie de réalisation de films documentaires dont l'un des derniers est Parole sans parole, un titre interpellateur…

I.D. : C'est ce qu'on appelle "le petit est intéressant". J'ai une petite caméra, et non la grande. Je prends cette petite caméra, je vois quelqu'un qui travaille, par exemple un peintre, je le filme et je fais un film de 52 min sur lui. Et quand les gens regardent, ils apprécient. Ça, c'est quelque qui m'encourage. Dans ce film donc, je présente Fada Youro qui est d'origine béninoise, qui travaille à partir de la tradition béninoise, c'est-à-dire le Vodou. Il travaille et le Vodou arrive sur le tableau qui est beau et que l'on retrouve à une exposition, que l'on retrouve à Paris dans les grands salons. Ça veut dire que dans la tradition, il y a le beau, il faut chercher le beau. Le film, c'est ça. Il donne une certaine vision du Vodou, mais aussi une vision de ce qu'on appelle le beau. C'est en même temps montrer qu'un africain est capable de faire un tel travail.

P.C. : À combien de documentaires en êtes-vous aujourd'hui ? Quels sont vos projets ?

I.D. : J'ai actuellement réalisé une vingtaine de documentaires. Quasiment, je fais donc un documentaire tous les ans. Aujourd'hui, j'ai trois documentaires en cours. Un documentaire en tournage s'appelle La femme porte l'Afrique. Ce n'est pas la femme qui a le téléphone, la voiture…mais je veux parler de la petite femme qui ramasse les ordures tous les matins et qui est la deuxième ou la troisième épouse de quelqu'un, la femme qui est livrée à elle-même avec ses enfants, qui se démerde pour les nourrir. Et parmi ses enfants, il va y avoir des policiers, des instituteurs, des ministres. Donc, c'est elle qui porte l'Afrique même si elle est aujourd'hui au four et au moulin.
Le deuxième film qui est déjà monté s'appelle OGM (Organismes génétiquement modifiés) en Afrique. Comment les Africains perçoivent l'arrivée sur leur marché des produits OGM. Et le troisième film, je le fais sur un Anglais qui fait des installations, de grandes installations musicales. Il vit en France, et chaque fois que je vais là-bas, je le filme un peu. À travers ce film, je veux montrer aux Africains que les Européens qui viennent ici, font des films sur nous. Moi je vais là-bas, je fais un film sur eux. C'est une option qu'on qualifierait peut-être de révolutionnaire. Mais moi, j'ai choisi ça. Je ne dis pas ils sont venus nous voler… On se plaint pour rien. Il a fait un film sur moi, j'en fais sur lui. Et je crois que c'est ce que les jeunes doivent se dire.

P.C. : Alors, voulez-vous dire qu'il est temps de dépasser les lamentations ?

I.D. : Les lamentations, il faut les dépasser, il faut les affronter. Les difficultés sont là. Les jeunes ont découvert aujourd'hui, hier, avant-hier, les difficultés. C'est derrière la fabrication d'une bonne image. Quand tu fais un bon film, l'Américain regarde. Vous regardez les films américains ; mais l'Américain ne vient pas vous donner de l'argent, c'est que le film est bon. De la même manière on regarde les films hindous, mais on ne nous donne pas de l'argent pour ça. Nous devons donc nous mettre dans la position de la qualité. Or la qualité on ne peut l'atteindre qu'en faisant la quantité. C'est dans la quantité que la qualité sort. Mais si on est là à se lamenter : "je n'ai pas les moyens, je n'ai pas d'argent..." alors on pleurniche et on n'avance pas.

Propos recueillis par
Charles Ayetan

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