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Making of à multiples casiers
Making Of, de Nouri Bouzid
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 20/11/2006

À la 21iéme session des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) les films en compétition poursuivent leur course vers les différents Tanit, ces trophées qui récompensent les trois meilleurs films long, court et vidéo ainsi que les interprétations féminine et masculine. La Tunisie est entrée dans la danse avec Making Of le film de Nouri Bouzid projeté mardi 14 novembre 2006.

Nouri Bouzid réalisateur tunisien est incontestablement un maître du cinéma qui sait jouer à " Attrape moi si tu peux" avec le spectateur. Il instaure une sorte de jeu de cache-cache. Son dernier long métrage Making Of, un des trois films qui représentent la Tunisie dans la compétition est un film à tiroirs.
D'abord, film dans un film en train d'être tourné d'où le titre Making Of qui désigne l'envers du décor d'un tournage de film. Et puisqu'il s'agit d'un film en cours d'élaboration, Nouri Bouzid explore la catharsis chez le comédien, ce phénomène que décrivent les psychanalystes comme phénomène de libération à caractère émotionnel résultant de l'extériorisation d'affects refoulés dans le subconscient. De cette catharsis, il s'en sert comme prétexte pour dérouler sa conviction face à l'intégrisme répondant par anticipation aux critiques qui lui seront avancées.
Intrusion du réalisateur dans son propre film mais un réalisateur qui revêt le manteau du père pour consoler, rassurer, mettre en confiance "le fils" qui a la charge de porter le fardeau du film et qui a un fort pressentiment que le film le transformera en monstre d'où sa résistance pour ne pas être dévorer par le personnage qu'il incarne.
Making Of est aussi un film sur le mécanisme d'aliénation, de lavage de cerveau de jeunes Kamikazes que l'on conduit doucement, lentement et inexorablement vers la mort afin qu'ils deviennent des martyrs. Le réalisateur avait retenu en premier lieu le titre "Kamikaze" à forte consonance japonaise et ayant un sens bien précis, il a du renoncer par soucis d'éviter toute caricature qui masquerait le vrai visage de l'intégrisme religieux en islam.

Bahta est un jeune homme qui vit avec son jeune frère, deux de ses sœurs, son papa chauffeur de taxi toujours absent, un grand père sénile qui rêve de convoler avec une vierge et une mère qui assiste impuissante à la métamorphose de son fils qu'elle aime par-dessus tout parce que complice. Bahta éprouve des difficultés à s'extirper de sa chrysalide pour devenir un vrai homme. Il adore le rap et les danses acrobatiques qui l'accompagnent. Sans méchanceté aucune, il traîne ses guêtres à travers les rues de son quartier avec sa bande de tagueurs. Désoeuvré, sans perspective d'avenir, il s'amuse de tout, y compris à jouer au policier avec la tenue de son cousin. Il rêve de partir, de devenir danseur et pourquoi pas se ranger du coté des fondamentalistes qui voient en la chute de Sadam et l'arrivée des Américains en Irak, une offense à l'islam. Le contexte est là, renforcé par le 11 novembre avec la destruction des deux tours. Une image qui défile sur les écrans de télé.

Poursuivi par la police après une succession de sottises, il est repéré par les fondamentalistes comme étant un garçon courageux, téméraire tout autant rebelle. Patiemment, froidement, par doses homéopathiques, le Hadj, marbrier en pierre tombale et façonneur de Kamikaze opère sur lui un lavage de cerveau, choisissant méthodiquement ses lieux de prêche. Le cimetière en est un. Du fait de sa personnalité en formation, Bahta est traversé par des courants contraires : certitude et incertitude ; désir d'adhésion et refoulement. Raison et folie s'entredéchirent dans ses entrailles. Il se cogne la tête contre les murs pour intérieurement se dire que l'islam interdit bien le suicide mais le suicide peut libérer toute personne qui inconsciemment refuse de devenir un monstre. Un terroriste qui emporterait avec lui des vies innocentes.
Le propos de Nouri Bouzid est clair : celui qui joue avec le feu, finira par se brûler.

Making Of est un film intelligemment construit qui plonge la tête du spectateur dans une réelle histoire de film et de temps à autre avec des images vidéo à la limite de la surexposition la sort de l'eau pour la placer dans la double position du témoin qui voit le personnage principal du film péter les plombs. Le spectateur est lui-même pris à témoin par le réalisateur qui défend ses options à savoir que la religion doit se tenir à distance de la politique, que la lutte antiterrorisme doit aussi toucher la culture car : "on ne peut pas lutter contre le terrorisme en méprisant les jeunes victimes qu'on tente d'embrigader. Notre devoir n'est pas de les condamner, mais de les sauver en s'attaquant au mal qui les atteint." a déclaré Nouri Bouzid dans Le Quotidien des JCC, journal du festival.

Baba Diop

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