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Un rayon de soleil dans la grisaille
Le Prince, un film de Mohamed ZRAN
critique
rédigé par Abdelfattah Fakhfakh
publié le 08/12/2006

Disons le tout d'emblée : Le Prince de Mohamed Zran est un film "à voir absolument". C'est notre point de vue et c'est la raison pour laquelle nous avons écrit cet article. Cela dit, permettez nous de vous faire un conseil, au cas où vous vous décidez à aller voir ce film, mettez de côté, si possible, vos préjugés –favorables ou défavorables - y compris notre présent article.
Mieux encore, n'attendez pas de ce film des miracles. Prenez seulement le temps de vous laisser "envahir" par lui et en un mot, faites l'effort d'y être "réceptifs".

Une affiche dans la ville, visible, omniprésente

Avec Le Prince le cinéma tunisien donne l'impression de se ressaisir. C'est de bon augure. Mohamed Zran semble, par certains aspects, lancer la balle un peu plus loin que ses collègues, il semble fixer la barre haut, l'air de dire, faisons bien, faisons mieux, faisons, surtout, autrement.
Tenez, un simple détail : regardez cette belle affiche qui s'étale partout dans la ville et qui nous interpelle. Cela fait longtemps qu'un tel bonheur - et honneur dirions nous - ne nous a pas été fait : une aussi belle affiche, visible, à toute heure, à tout moment et un peu partout.
Ca c'est l'emballage. Et après? dirait-on! Nous dirons que pour la sortie d'un film, l'affiche, c'est précisément, là ou presque où tout commence. Une œuvre de qualité cherche tout d'abord à attirer, ensuite à satisfaire et, quelque part, à fidéliser. Leçon de marketing? Oui si on veut. Car si une œuvre cinématographique tient bien de la création, c'est aussi un produit qui est –hélas peut- être – aussi, un produit commercial qui s'achète et qui se vend. Cela nécessite, de ce fait, une commercialisation (le marketing n'est rien d'autre).
Au-delà de l'emballage, un contenu de qualité
Quand on parle "Qualité", on parle de l'effort du cinéaste, de l'artiste, à produire une œuvre qui réponde au mieux aux attentes du spectateur, le spectateur étant pris au sens le plus large. Un effort dans lequel faute d'être relayé, le cinéaste doit s'impliquer, à toutes les étapes, de "A" à "Z" (avant le film, pendant le film, après le film), à tous les niveaux (technique, artistique, direction des acteurs, image, dialogues, son, musique…). Cet effort, Zran semble l'avoir fait.
Nous parlions d'emballage, passons à présent au contenu : Le Prince raconte l'histoire de Adel (Abdelmonem Chouayet), employé chez un fleuriste (Mustapha Adouani) sur l'Avenue Habib Bourguiba à Tunis.
Bon travailleur mais quelque peu rêveur, un œil fixé sur le boulot, l'autre à observer les gens qui déambulent dans la Grande Avenue : fonctionnaires, employés, chômeurs et autres, Adel mène sa petite vie au quotidien, au jour le jour.
Un jour, une jolie femme passe devant lui. Il est littéralement "foudroyé". C'est la femme dont il a toujours rêvé, il en tombe amoureux fou. Le hasard l'amène un jour à entrer en contact avec elle, à l'occasion de la livraison d'un bouquet de fleurs, une commande faite par un client. La femme s'appelle Donia (Sonia Mankaï) et travaille en tant que directrice d'une agence bancaire…
Les deux personnages appartiennent à des mondes tout à fait différents, pourtant Adel n'en démord pas, il va chercher par tous les moyens à atteindre – comme dit le chanteur – l'inaccessible rêve. Nous ne vous en dirons pas plus. Mohamed Zran, s'en chargera mieux que nous.
Voilà pour ce qui est de la trame du film, celui-ci pourrait se prêter à une analyse fine profonde détaillée, l'espace réservé ne le permettant pas, tenons en nous à l'essentiel.
Une atmosphère forte
Disons que se dégage du film une atmosphère forte qu'il s'agisse des scènes restituant le monde coloré et grouillant, des passants de l'Avenue Habib Bourguiba, celui de la "cohue" et du "brouhaha"des cafés et des bars, de la vie de quartier, de la vie professionnelle, ou des scènes plus intimes, des tableaux de la vie familiale, confidences entre amis, scènes de méditation, d'errance…
Les dialogues qui ponctuent le film sont pleins de sensibilité, de poésie, de justesse et d'humour… des dialogues qui semblent couler de source mais qui laissent deviner un travail d'observation, d'écoute, d'empathie, un vrai travail d'orfèvre.
Point fort du film, la formidable "authenticité" des personnages principaux, à commencer par Adel, le fleuriste, son patron, ses copains, ses compagnons de "beuverie", y compris son cousin "artiste" (Ahmed Snoussi), ses collègues de travail, son père (Slim Mahfoudh), sa mère (Salwa Mohamed), sa sœur, mais aussi Donia, la jeune et jolie banquière, son amie…, l'homme d'affaires, pris dans des difficultés d'honorer ses engagements avec la banque..
Le film fonctionne parfaitement dans la logique de l'art–miroir. Il est des scènes hautement – on ne peut mieux - explicites à ce sujet.

À contre courant des stéréotypes : une autre image des banquiers

M. Zran, et, il faut lui savoir lui gré, traite ses personnages avec amour, tolérance, compréhension. Il ne tombe pas dans la caricature stérile et facile, peut être a-t-il seulement forcé la dose du personnage d'un client de la banque, plutôt "escroc". Au point où mine de rien et sans crier gare il prend à contre-pied un des stéréotypes les plus tenaces au cinéma : le personnage de "banquier". Celui-ci est depuis toujours représenté à travers des "personnages négatifs et malfaisants".
Or dans le film, le banquier – c'est en fait une banquière, le ton est ainsi donné !- est une femme jeune, belle, dynamique, intelligente et sensible. Bonne commerçante, elle a le sens de l'écoute et, parallèlement, elle n'a pas froid aux yeux, elle a le sens de la répartie.
Face aux demandes des clients, elle est compréhensive, elle fait l'effort de se mettre à leur place, mais elle est responsable, non émotive, l'argent qu'elle gère n'est pas le sien, elle le dit, mieux encore, elle agit et prend ses décisions partant de ce principe…
Puis, cerise sur le gâteau, notre banquière est une femme, moderne, informée, ouverte sur le monde extérieur, sur le monde culturel. (Que de préjugés volent en éclats et, à l'occasion, disons que si des associations professionnelles devaient récompenser ce film pour la promotion de leur profession, ce serait d'abord l'Association des Fleuristes Tunisiens – si elle existe - et ensuite …l'Association Professionnelle des Banques de Tunisie !)
Il en est de ce personnage comme d'autres, dont Adel, le fleuriste. "Rêveur" et "doux", il est cependant traversé par la vie, par des "fantasmes", une tentation de violence : .il est doux, mais il lui arrive d'être "violent". Il est ouvert mais quand il s'agit de mater sa sœur, il n y va pas par quatre chemins…derrière la rêverie, le "machisme" haut et fort.
La reconnaissance due à nos créateurs méritants
Le Prince est un film accompli, riche, dense. Saisissons cet article pour dire que nos créateurs, nos artistes (rendons leur justice) n'ont pas la voie parsemée de fleurs - ils se battent contre des Goliath, des géants, ils se battent pour eux, certes, mais ils se battent aussi pour nous, pour notre dignité, pour l'image que nous nous faisons constamment de nous-mêmes (mais aussi de l'image que les autres se font de nous), de nos capacités créatives…
Est-ce à dire que le film de Mohamed Zran est parfait? Que nous n'avons aucune réserve sur ce film. Ce serait une erreur. Des reproches lui sont faits, ça et là. Certains sont pleinement justifiés, d'autres relèvent d'une lecture fort probablement hâtive et superficielle.
Il n'en demeure pas moins qu'en ce qui nous concerne, nous avons aimé ce film et encourageons les spectateurs à aller le voir. Reconnaissons nos créateurs quand ils se surpassent. Si cet article devait avoir une seule raison d'être publié, ce serait celle ci.

Abdelfatteh FAKHFAKH

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