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18 mn ! Le bel âge
L'impasse du temps perdu, de Elyes Baccar
critique
rédigé par Mohamed Nasser Sardi
publié le 27/11/2006

En suivant L'impasse du temps perdu, le court métrage d'Elyes Baccar, on se dit que Brel n'est pas si loin. Avec cette perte d'illusions¹, son monde trop petit, ses gestes qui ont "trop de rides", son enfer de souvenirs parce que c'est elle qui reste, et cette "pendule qui ronronne au salon", comment ne pas voir dans le personnage du film, la dame âgée, l'un des "vieux" de la chanson de Jacques Brel !
Dès le début de ce court métrage, on se laisse voguer sur ce plan séquence qui nous entraîne à travers des ruelles mi-sombres, mi- éclairées, pour nous montrer que la vie était longue, pas toujours triste, mais pas toujours gaie non plus. Le son "off", qui l'accompagne, annonce déjà les thèmes qui seront abordés : "un chien hurlant la mort" (décidément, Brel est omniprésent !) et la musique de chants soufis traditionnels. Cette longue balade finit par nous emmener vers cet espace clos, la maison traditionnelle, où la vieille dame, toute seule, se souvient du "verbe d'antan".
Et là, c'est le coup de foudre ! Cette femme (cette dame), avec ses rides, son regard lumineux, ses "gestes graves", et ses souvenirs d'un passé lointain, capte la caméra, la fascine, remplit son cadre et illumine son champ.
À coup de flash-back savamment distillés, de sons évocateurs (une verrerie qui se casse,..) et de musique nostalgique, Elyes Baccar arrive à restaurer l'univers intérieur de cette dame âgée. Univers fait de solitude qui foisonne de souvenirs. Nous saisissons alors qu'elle n'attend rien du présent ; elle n'y vit plus ! Sa vie a été riche en joies, en amertumes et en …adieux ; et elle continue à vivre avec tous ses fantômes enfouis dans sa mémoire. Peut-être même que sa solitude n'est sentie que par…les spectateurs !
Le réalisateur évite le piége d'expliquer, de trop parler. Il laisse son regard s'immiscer dans les profondeurs de son personnage pour en dégager tout le vécu et toute la fraîcheur d'un passé, malgré les rides, encore vivace. Elyes Baccar nous distille tout ça à coup d'une lumière qui n'éclaire pas tout, d'un cadrage qui évite le plus possible les gros plans pour que l'émotion ne vienne pas de la recherche d'une certaine compassion pour le personnage, mais plutôt du rapport qui se tisse entre la femme et son univers. Cet univers a été, il l'est peut être encore pour la vieille dame, le théâtre d'une vie passée qu'elle ne cesse de revivre à travers chaque bouffée de tabac et chaque arome de son café turc.
Pendant environ quinze minutes, nous nous disons que nous sommes devant un des plus beaux courts métrages tunisiens ; et que pour une des rares fois, l'un de nos cinéastes ne nous prend pas pour des apôtres de feuilletons égyptiens et autres, en nous expliquant tout, à coups de longues tirades et de répétitivités incessantes.
Mais l'oeuvre dure…vingt cinq minutes !

Pendant le reste du film, nous retrouvons toutes les approximations de scénario et les incertitudes dans la réalisation du cinéma tunisien actuel. Ses maladresses aussi, même si elles peuvent, parfois, être porteuses d'un certain charme !
Elyes Baccar tombe dès lors dans certains péchés de nos films : en rajouter, expliquer, s'éparpiller et tirer en longueur. Ceci est-il dû à un manque de confiance ?
- Manque de confiance dans la force de l'image!
- Manque de confiance dans l'assimilation de l'image par le spectateur !
Est-ce pour cette raison qu'il fait parler, plutôt interviewer, la femme vers la fin du film pour nous expliquer les propos déjà véhiculés par les images et les sons ?
Est-ce pour cette raison, qu'à la fin du film, il insère cette chanson qui paraphrase des propos déjà exprimés à travers sa camera ?
Dès cet instant, le charme se dissipe. Nous sortons de l'univers intime de cette dame âgée, pour enter de plein pied dans son quotidien. Ses fantômes s'évanouissent dans son présent.
Le film quitte, nous avec, le monde du personnage pour aller chercher d'autres pistes : la transe, la fête traditionnelle… Et alors qu'au début du film, la caméra ne suivait qu'une seule ruelle, celle qui mène à la maison, en ignorant toutes les bifurcations sur sa route ; le montage, vers la fin, nous embarque dans un "tour de piste" d'images, qui nous égare loin du sujet principal : les souvenirs de cette femme !
Bien sur, il y a ces belles images en noir et blanc, de la femme qui rit, et qui auraient pu faire une magnifique clôture du film ; mais il y a eu, aussi, ces diapos si mal introduites !
Ceci n'a plus d'importance ! Comme la vieille dame, nous sommes déjà dans le souvenir ; celui de la première partie du film ; celui de la femme, plus jeune, assise sur son lit, le rire éclatant de malice et de joie de vivre. Elle avait sûrement plus de dix huit ans à cette époque !
Mais pour le film d'Elyes Baccar, 18 minutes auraient été l'âge adéquat.

Naceur Sardi

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