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3 histoires
Kigali, des images contre un massacre, de Jean-Christophe KLOTZ
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 27/11/2006

D'abord le cinéaste. Jean-Christophe Klotz, journaliste-reporter, son métier étant de prendre des images du quotidien. En 1994, il accompagne une délégation de l'ONU dirigée par Bernard Kouchner afin de prendre le pouls de la crise rwandaise et par la même occasion tenter de trouver un arrangement à l'amiable entre Paul Kagame, leader du FPR (Front Patriotique Rwandais, parti Tutsi) et actuel président du pays et les deux leaders du Hutu Power, Jean Kambanda et Théoneste Bagosora. Période de furie meurtrière où la négation de la beauté faisait corps avec le dénigrement de l'autre, Klotz filmait continuellement les sempiternelles réunions politiques où l'entente cordiale prônée par Kouchner s'éparpillait dans l'atmosphère sanguinaire des huis-clos mal éclairés. Plus l'auteur avançait dans les sombres recoins de ce génocide, plus la question de la représentation de la violence devenait son cheval de bataille. Au beau milieu de ce tournis fratricide, Klotz reçoit une balle dans la hanche et finit alité dans un hôpital de la capitale. Il reviendra en France incapable d'enregistrer personnellement les images de ce génocide. Dix ans plus tard, Kigali, capitale de la douleur, a changé de main. La vie reprend ses droits, le ciel s'est légèrement éclairé et Klotz, rescapé à moitié du génocide, revient pour combattre ses vieux démons.

Dans l'une des premières séquences de son film, l'auteur échange quelques mots avec un chauffeur de taxi. A l'extérieur, la nuit étoilée qui vient plomber une ville fantomatique. L'image est belle, instantanée, errance d'une liberté reprise aux mains d'une folie qui fut dévastatrice. Cette seconde histoire, plus forte, plus libre, est celle d'un solitaire de l'image, qui revient là où l'inimaginable avait monté son camp. Le présent est ressenti étrangement comme une période glaciale, en suspens, comme si les morts d'antan avaient pris place auprès des vivants. 90% des Tutsi se firent massacrer, les oublier serait contraire au devoir de mémoire. Le chemin qu'emprunte Klotz parmi cette jungle broussailleuse, est parsemé d'hésitations, de respirations discrètes et finalement de pleurs épars. Klotz tente vainement de retrouver des anciens témoignages, survivants dispersés qu'il avait dans un moment de grâce, pu filmer il y a dix ans de cela. Ces retrouvailles sont intenses, lourds de sens et symboliquement considérables, la plupart refusant de revoir ces vieilles images, de retrouver des souvenirs enfouis surtout provenant d'un journaliste français. Certains se posent, écoutent librement et finissent par ouvrir leur coeur. Beauté d'un langage, d'une traduction d'un rêve disséqué, malmené et détruit. La justesse de ce travail provient d'un choix de mise en scène qui allie l'importance du travail en mouvement à la démystification de la violence des faits historiques. Cloisonner le pathos grandiloquent, l'apaiser en tirant la réflexion vers la parole est la seule orientation possible pour un sujet de cette ampleur.

Puis la parole cède au traitement de cette parole. Où s'arrête la véracité des faits ? Quels moyens utiliser afin de dérégler le bon fonctionnement historique ? Comment filmer la violence sans sombrer dans un voyeurisme abject ? Intelligence des médias qui se ruent sur cette nouvelle sensation africaine, sur cet énième fardeau du continent noir et sur les aspects latents du colonialisme, véritables troubles ambigus du 20e siècle. Klotz, après avoir retrouvé et interrogé ses anciens acteurs, revient sur la fonction première de son travail, prendre des images du quotidien. Ce troisième scénario, plus dépouillé, présente un travail de fourmi exemplaire car révélateur du malaise légendaire sur le rapport du journaliste face à l'éthique. Klotz pose intelligemment quelques questions savamment présentées par un montage alternant extraits de journaux télévisés et témoignages où l'envers du décor est clairement exposé. A partir de ce moment, le film prend un tournant apocalyptique, guettant chaque oripeau du spectateur et lui assénant finalement une réalité déformée qui durant quelques minutes le rend migraineux. Mensonge des médias français, abandon volontaire du gouvernement français lorsque les massacres pouvaient être encore stoppés net et silence éloquent lorsque les Droits de l'homme alertèrent l'opinion 1 année avant le début du génocide par le biais d'une commission envoyée dans l'urgence.

Kigali, des images contre un massacre, est une œuvre importante réalisée par un reporter qui n'hésite pas à reprendre la définition de son métier, à l'installer dans un climat où pèse une atmosphère trouble, reflet d'interrogations pertinentes car emblématique d'une inconscience internationale. L'image est décortiquée sous toutes ses formes, la rudesse des propos est présentée sans fioritures et Klotz, durant tout le film sait reculer progressivement afin de prendre un élan draconien. Le saut qu'il exécute est royal !

Samir Ardjoum

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