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Une touche hyperbolique et réductrice de la réalité marocaine
Tarfaya (Bab Lebhar), de Daoud Ouled Sayed
critique
rédigé par Bouchta Farqzaid
publié le 29/11/2006

0. En guise de présentation :
Tarfaya (Bab Lebhar) est un long métrage réalisé par Daoud Ouled Sayed.
L'argument du film se résume ainsi : "Miriam, une jeune fille de vingt huit ans, arrive dans un petit village du sud. N'ayant dans sa poche qu'une adresse et un numéro, elle va rester dans ce village dans l'attente du jour où elle va tenter de traverser…".
Nonobstant le jeu époustouflant des trois grands comédiens à savoir Mohamed Bastaoui, Mohamed Khouyi et Mohamed Majd, il n'est pas hasardeux d'avancer que les autres composantes du film sont loin d'être assez convaincantes. Plus, elles sont réductrices, et, de ce fait, elles font violence à l'image du Maroc, en ce que la question de l'émigration n'est point inscrite dans son contexte socio- historique.


I. Un Regard réducteur :

A. Négativité des personnages :
Tout va mal, telle est la devise du film. C'est valable pour tous les personnages, à commencer par Miriam, jusqu'à AL Hadja et passant par Hassan, Riki, Dib, le chef de la gendarmerie. De là, il est possible de comprendre aisément que le regard, que porte le réalisateur sur la réalité marocaine, s'inscrit dans une perspective historique qui a présidé à cela même qui sera par la suite connu par l'orientalisme. Pour s'en convaincre, il faut rappeler, à ce propos, le mode de traitement consacré aux personnages. En effet, ceux-ci sont quelque part négatifs, voire dégoûtants. Ce sont des personnages types en ce qu'ils sont porteurs de qualités, telles :

- L'arnaque : Hassan, Dib, chef de la gendarmerie
- La prostitution : Al Hadja
- La drogue et l'alcool : Hassan et son ami

Certains d'entre eux sont paradoxaux dans la mesure où ils sont caractérisés des contraires inconciliables. Al Hadja, par exemple, ne se met à boire qu'après avoir accompli ses devoirs religieux (après la prière d'Al Îchâ), à en croire les dires de l'une de ses servantes. En outre, elle est musulmane et superstitieuse, voire corrompue, puisqu'elle reçoit un billet de 100 dirhams du chef de la gendarmerie. Maquerelle, son leitmotiv (Allahou Akbar : Dieu est grand) sonne comme une fausse note et se trouve être le signe ostentatoire d'une absurdité excessive. Le chef de la gendarmerie, lui aussi, n'échappe point à cet univers satanique. Marié, il n'hésite pas à abuser de ses pouvoirs pour profiter de la situation des pauvres filles installées dans la région dans l'attente de "brûler".


B. Négativité de l'espace :
L'espace se trouve lui-même contaminé par cette négativité. À vrai dire, les pauses descriptives sont introduites intentionnellement dans les scènes pour donner l'occasion au spectateur de jouir de la beauté des contrées sahariennes : sables dorés, montagnes, mer… Or, cette manière de prendre des lieux en image nous rappelle la vision de certains orientalistes qui se sont efforcés de donner une image exotique du Maroc. Fixité et redondance de certaines images font également référence à cette vision folklorique des cartes postales où les personnages sont réduits à des clichés. Faudrait-il rappeler, en ce sens, cette scène où le minaret d'une mosquée est encadré à travers la porte d'un bar ?



II. Exil ou Royaume ? :

A. Miriam :
À cet égard, il faut affirmer toutefois que le personnage de Miriam est très complexe. Naïve et innocente, elle se plaît à affabuler, faute de mieux. Sa complexité réside en fait dans l'idée si obsessionnelle qu'elle exprime à propos de son voyage pour l'Espagne : c'est d'être LIBRE. Ainsi, tout l'arrière plan est à deviner.
Du coup, le passage si symbolique de la sphère chthonienne (Terre) à l'espace aquatique (Mer) représente un " parcours immobile" en ce qu'il est une traversée qui échoue : elle se clôt sur une nouvelle violence (l'Espagne) et se transforme en une nouvelle errance en pleine mer. Tel un personnage tragique, Miriam semble être condamnée à l'errance éternelle. Et c'est cette circularité – non-dialectique – qui agresse à la fin du film. Sans dépassement aucun, le début rejoint la fin ; d'où le titre Tarfaya (Bab labhar).

B. Nouh :
D'autres personnages laissent entendre qu'ils sont porteurs de véritables, valeurs comme l'attachement à la Terre-Patrie. C'est le cas de Nouh (nom choisi à dessein : antithèse) qui semble rejeter tout projet de voyager à l'Autre Rive. Il va même jusqu'à solliciter la gentillesse de Miriam en lui demandant de communiquer un message à son père – à lui – qui a quitté son pays natal, il y a un bail, et où il l'implore fortement de revenir.

C. Hassan :
Brute, Hassan, quant à lui, témoigne cependant d'une bravoure à l'égard de Miriam, sous l'effet de la passion amoureuse.

D. Le chef de la gendarmerie :
Ce personnage a un côté humain en faisant de Miriam une exception, et décide de brûler les dossiers de son archive. Par cet acte, il s'inscrit dans un renouvellement de son identité.



III. En guise de conclusion :
Tel le Maroc, Tarfaya, Bab Lebhar est à considérer comme un film où sont réunies toutes les contradictions et tous les paradoxes qu'il est temps de mettre en image, d'analyser dans perspective historique et rationnelle où toutes les composantes, si infinitésimales soient-elles , doivent trouver clairement leurs places. Le septième art doit avoir pour mission non seulement d'interpréter mais également de changer le monde en agissant sur le public.

Bouchta FARQZAID

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