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Entre résurrection et statu quo, les JCC 2006 !
Edition Spéciale JCC 2006
critique
rédigé par Mohamed Nasser Sardi
publié le 29/11/2006

Malgré toutes les tares qu'on peut énumérer, malgré toutes les critiques virulentes qu'on peut émettre on y change rien ! Les Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) ont été, et restent, un moment de magie. Pendant une dizaine de jours, le temps est suspendu au seul mot "cinéma". Des dizaines et des dizaines de films qu'il est rare de voir en Tunisie, même piratés. Des personnalités du septième art qu'on rencontre à chaque terrasse de café. Un centre ville qui veille jusqu'après minuit pour parler d'œuvres filmées. Des débats à n'en plus finir et sans tabous, sur le vécu et les perspectives du cinéma. Bref, un espace spatio-temporel hors normes, où on laisse exploser une frustration "cinématographique" accumulée durant deux années interminables pour celui qui croit que sans cinéma, la vie est moins expressive, moins torturée et plus "rangée", moins belle aussi.

Durant ses quarante ans d'existence (1966 – 2006), le festival est passé par tous les états : parfois sublime ! parfois laborieux ! D'autres fois, dur à avaler ! Il est même arrivé, au nom d'une soit disant modernisation, à changer totalement de cap et à renier les fondements qui ont fait sa force et sa légitimité historique.
Les JCC 2006, après une vingtième session (2004) qui a voulu "cannesiser" (en rapport avec Cannes) les journées, a le mérite de revenir aux principes qui ont été établies depuis 1968. C'est à dire, montrer les films tunisiens, arabes, africains et des pays du sud ; ainsi qu'un cinéma qui sort des normes standardisées et raconte l'humainb.

Avec ce choix, le festival a su retrouver plusieurs aspects de ses atouts de jeunesse : une accoutumance qui fait courir un public nombreux de salle en salle et de débat en débat, et une atmosphère, "bon enfant" et décontractée, qui le différencie des autres festivals et charme les visiteurs étrangers. Malheureusement, il a (aussi) gardé des traces de sa juvénilité: un travail fait dans l'urgence et une organisation approximative, aggravés par une infrastructure devenue inadaptée.

1- Côté organisation : quelques éclaircis dans la grisaille

Loin de jeter la pierre à une personne ou à un groupe en particulier, puisque les mêmes "erreurs" se répètent de session en session et d'équipe en équipe. Il reste, néanmoins, anormal qu'on commence à préparer un festival de l'envergure des JCC, seulement quelques semaines à l'avance, qu'on édite le catalogue en plein milieu du festival et que jusqu'à la fin du festival, le site Internet affiche à la rubrique "comité d'organisation" : en cours de constitution !

Ceci aurait pu paraître anecdotique si ces problèmes étaient particuliers à ces JCC 2006, ou bien conjoncturels. Pire, ils sont devenus coutumiers, non seulement des JCC, mais aussi, de la majorité des événements culturels en Tunisie.

À vrai dire, il y a une constante dans les activités artistiques locales : l'absence de l'accumulation, d'une génération à une autre, du savoir et du savoir faire. Ceci a trois incidences néfastes :
- l'impossibilité de voir percer un mouvement culturel harmonieux, à cause de l'absence d'une réflexion globale et prolongée dans le temps, seule capable de donner les ébauches de pistes à suivre par la production artistique. Les rares expériences, telles "le Groupe Taht Essour" et "L'Avant-garde" (Attaliâa), n'ont pas abouti. Quant aux cinéastes des années 70 (A. Ben Ammar, Le nouveau Théâtre, Naceur Ktari, Ridha Behi, Brahim Babaï,…), en dehors d'un semblant de rapprochement idéologique, il n'avaient pas une vision culturelle et artistique commune.
- Tout nouvel artiste, parce qu'il ne trouve pas un historique sur lequel il peut s'appuyer, doit refaire le chemin dés le début ; donc, refaire les mêmes erreurs et perdre du temps à re-déboiser de nouveau la route.
- Le secteur "organisation culturelle" n'échappe pas à la règle (contrairement au sport et aux loisirs), puisque chaque nouveau comité d'organisation est obligé de créer sa propre logistique ; d'où l'absence de certitudes et un tâtonnement perpétuel. C'est pour ces raisons que les insuffisances de l'organisation, malgré tous les efforts que peuvent fournir les responsables désignés, donnent l'impression du déjà vu. C'est aussi pour ces raisons qu'il faut commencer à penser à des alternatives viables. Pourquoi pas – vu l'importance vitale de cet événement pour les films nationaux, arabes et africains – ériger les JCC en une institution autonome et impliquer, de nouveau, les associations cinématographiques (elles sont déjà présentent officiellement par le biais de la FTCC qui présente les films et organise les débats, ou en marge du festival, avec les activités qu'organisent l'ATPCC et la FTCA) !
Un point positif à porter au crédit des responsables de cette session : le bon fonctionnement et la disponibilité du bureau de presse. Il a organisé des projections spéciales pour la presse ; ce qui a permis aux journalistes et aux critiques de pouvoir revoir les films et ainsi bien préparer leurs articles à l'avance; sans oublier la mise en place d'une salle de presse équipée et fonctionnelle.

2- Côté cinéma : retour aux sources et absence de découvertes

Peut-on vraiment parler de cinéma en Tunisie sans lancer ce cri d'alarme : où sont les salles ?
Une quinzaine seulement persistent de la centaine qui existaient dans les années soixante-dix. Plus de la moitié dans la seule ville de Tunis. Fauteuils inconfortables, dialogues inaudibles et images déformées ; c'est le lot de pratiquement toutes les salles de projection du festival. La dégradation est arrivée à un tel point, que celui qui ne peut lire le français (sous titrage) risque de ne rien comprendre au film, même parlant en arabe ! C'était tellement mauvais que le président du jury, monsieur Elyas Khoury, s'est senti obligé d'en parler dans son allocution de clôture. Ça résume tout !

Il faut l'admettre une fois pour toute : sans salles, il n'y a ni films, ni cinéma, ni…JCC.
C'est d'autant plus regrettable que le "cru 2006" était, globalement, bien fourni en quantité et en qualité.
On peut juste regretter un peu, l'alourdissement du programme par des films projetés lors de sessions précédentes (Historias Minimas de Carlos Sorin , …), la rareté de nouvelles découvertes et d'œuvres encore méconnues, et l'absence d'un cinéma qui prend de plus en plus de place, le cinéma iranien. Mais ne faisons pas la fine bouche car on a pu voir, entre autre, onze films longs et vingt cinq courts métrages tunisiens (35 mm et vidéo), vingt cinq courts, les rétrospectives de deux cinémas en plein boom, l'argentin et le sud coréen, les plus intéressants des films sub-sahariens, la rétrospective des œuvres de Yousri Nasrallah, et quelques films arabes intéressants.

- Les films tunisiens de la compétition :
Après presque dix ans de disette qualitative et douze ans d'absence sur la plus haute marche des JCC, l'attente des films tunisiens était teintée d'un mélange d'espoir et de scepticisme.
Serait ce l'occasion d'assister au renouveau de ce cinéma qui a été, longtemps, à l'avant-garde du cinéma continental ?
Les films sortis avant le festival (Khochkhach, La télé arrive, Bin el widyane) n'ont pas réussi à clarifier les choses, puisque les avis étaient partagés. Mais la présence de neuf films, dont des "grosses pointures", aux JCC augurait des lendemains meilleurs. L'attente ne fut pas vaine !

Making of de Nouri Bouzid créa l'événement, d'abord en étant sélectionné dans la compétition officielle (des échos le plaçaient en dehors pour des raisons autres que cinématographiques), puis en gagnant la palme d'or face à une concurrence rude. C'est un film, entièrement dans l'univers de N. Bouzid, qui parle de la déchirure de l'homme tunisien qui doit choisir entre deux philosophies de vie qui s'opposent. Avec une liberté de ton qui lui est coutumière, le réalisateur se colle à des questions des plus actuelles, en faisant des allers-retours entre la fiction et le documentaire.

Tendresse du loup de Jilani Saâdi, un autre film qui aborde de plein fouet l'errance et le mal de vivre d'une certaine jeunesse locale, confirme les espoirs déjà décelés dans la première oeuvre de l'auteur, Khorma.

Bab'Aziz de Nacer Khemir, reprend les thèmes cher à son auteur, la quête spirituelle, avec la même virtuosité formelle et esthétique. Juste que dans ce film, le réalisateur donne à cette quête, une résonance pas entièrement métaphysique ; presque terrestre.

J'en ai vu des étoiles de Hichem Ben Ammar est totalement dans la lignée de son précédent documentaire Raïs Lebhar. L'auteur passe des pêcheurs vers les boxeurs, en gardant toujours cette émotion qui accompagne la disparition d'un univers particulier et la fin d'une époque. Avec un amour teinté de nostalgie, H. Ben Ammar est arrivé à capter de purs moments de cinéma à travers les regards et les gestes de ces durs à cuir confrontés à l'échec.

Le seul bémol est la section "courts métrages" où quantité n'a pas rimé avec qualité. Sur les vingt cinq présentés lors du festival, aucun n'est arrivé à se détacher du lot. Tous oscillaient entre l'acceptable et le moins bon.

- Les films marquants :
Deux films, en dehors des films tunisiens, ont marqué ces journées 2006. D'abord Bamako du Mauritanien Abderrahmane Sissako. Un discours contre les effets de la mondialisation et du nouvel ordre mondial, sur l'Afrique. En choisissant ces paroles directes, le réalisateur n'a pas oublié d'étaler son savoir faire cinématographique déjà prouvé dans ses précédents opus, dont Heremakono. Ensuite, il y avait Daratt, saison sèche du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun. En partant de la guerre civile au Tchad, l'auteur nous livre, à travers une œuvre toute en retenue et en épuration formelle, un message universel de tolérance et d'option pour la vie. Un pur régal.
Il y avait aussi L'attente du Palestinien Masharawi. Encore un autre film sur l'errance, où le réalisateur n'a pas cherché à compliquer sa réalisation. Il confirme, s'il en est encore besoin, que le cinéma palestinien est largement en avance sur ceux du reste du monde arabe.

3- La clôture :
Après la pagaille de l'ouverture, l'organisation de la clôture a été plus sobre et mieux maîtrisée. Les allocutions étaient courtes et pertinentes. Le palmarès a confirmé les informations concernant l'entière indépendance du jury et de la commission de la sélection des films tunisiens. Comme d'habitude, on peut toujours débattre de prix alloués suivant les penchants et les préférences de chacun, reste que le palmarès de cette session a honoré les films les plus méritants et les plus audacieux dans leur propos. Ça dénote, au moins, un changement salutaire par rapport aux calculs politico-protocolaires des sessions précédentes.
Et s'il faut ne retenir qu'une chose de ces journées, rien ne vaut cette définition du cinéma donnée par le Président du jury, le libanais Elyas Khoury, à travers son allocution finale : "Le cinéma c'est : une bonne infrastructure, de la créativité, de l'audace et une liberté expression."

Naceur SARDI

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