AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 935 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Renouvellement constant et recherche esthétique permanente
Afriques 50 : Singularités d'un cinéma pluriel. (L'Harmattan, 2005)
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 08/01/2007

Aujourd'hui, les débats sur le type de cinéma à faire et l'esthétique à mettre en place, semblent désuets, chaque cinéaste du sud du Sahara ayant trouvé dans le langage cinématographique les outils de son expression et un traitement plastique conforme à sa vision de la chose filmée. Les cinéastes qui, aujourd'hui, vont jusqu'à récuser l'épithète africain, qui les distingue des autres dans leur perception du septième art n'ont plus en mémoire les discussions, les essais de formulation d'un cinéma différent qui s'appellerait "cinéma africain". Si ce qui, par commodité de langage, est désigné sous le vocable de cinéma africain a atteint sa maturité (plusieurs réalisateurs dont Souleymane Cissé, Ousmane Sembéne, Idrissa Ouédraogo ont vu leurs créations figurer dans le palmarès mondial parce que primés à Cannes, Venise, Carthage, Ouaga…), il le doit aux multiples réflexions, discussions, colloques, séminaires et tables rondes qui ont eu cours dans les années cinquante, se sont poursuivis jusque dans les années quatre-vingt. Dans des cénacles, se définissait la place à assigner aux cinéastes, leur rôle, les thématiques et l'esthétique devant caractériser le dit cinéma africain. L'aboutissement de ces réflexions nourrit le cinéma actuel.
C'est en forgeant que l'on devient forgeron dit l'adage. Depuis sa naissance, le cinéma au sud du Sahara n'a eu cesse de forger des outils de narration lui permettant de se différencier des autres cinématographies et à l'image du conteur qui sait attirer le public vers lui, se rapprocher d'avantage des publics auxquels s'adresse ce cinéma.
Ousmane Sembène, lors du festival de Cannes 2005, à l'occasion de la projection de son film Moolade présenté dans la section "Un certain regard", m'avouait dans une interview, s'inspirer beaucoup des statuaires et masques de l'Afrique pour accentuer les sentiments et les traits de caractère de ses personnages, ce qui l'amenait souvent à se servir, jusqu'à en abuser, des gros plans et faire remonter à la surface, les détails. La présence dans La Noire de … du porteur de masque était déjà une indication de cette source d'inspiration. Cheikh Oumar Sissoko se réfère dans Guimba à la tradition du conte avec le griot comme passeur de rêves. Avant lui, l'Ivoirien Fadika Kramo-Lanciné avait exploré ce chemin dans Djeli son premier long-métrage, salué en 1981 par plusieurs prix dont l'Étalon de Yennenga. L'immixtion du théâtre Kotéba dans le cinéma malien est perceptible dans des films comme Taafe Fanga (Pouvoir de pagne) de Adama Drabo où sont présents le rire, la satire, la moquerie, la plaisanterie qui s'accommodent d'une certaine "vulgarité". À l'occasion de la présentation du film de Souleymane Cissé, Den Muso (la fille) au festival des Trois Continents à Nantes en 1982, Charles Tesson dans Les Cahiers du cinéma écrivait que le film "n'a rien à voir avec les clichés attendus qui dénaturent généralement la banalité tragique du fait-divers. Il les décolle en permanence… La "Fille" ne joue pas avec les codes, ou fait semblant de les ignorer, mais les volatilise sous la pression et l'éclat de l'instant… Tout est au présent, dans le jaillissement de la parole, sa constante improvisation, quasi musicale, à partir d'un canevas on ne peut plus schématique (la scène à faire, déjà jouée et rejouée)"
Le cinéma en Afrique a toujours affiché sa volonté de trouver son propre chemin, une sorte de troisième voie qui ne relève ni du cinéma occidental, ni du cinéma hollywoodien mais qui peut aussi procéder par emprunts. Une jonction a été faite un moment durant avec le cinéma Novo brésilien qui a vu Glauber Rocha, l'un de ses représentants venir à Dakar s'entretenir avec de jeunes cinéastes sénégalais. Cette troisième voie n'était pas celle tracée par les cinéastes latino-américains que sont Fernando Solanas et Octavio Getino dans leur manifeste pour un troisième cinéma. Les propos du cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety publiés dans les colonnes de Sud Hebdo en 1992 illustrent bien cette volonté.
Il dit :"J'avais la conviction aussi que le cinéma était à réinventer. J'ai entrepris de le réinventer. J'ai eu le plaisir de casser le mythe, qui consiste à croire que le cinéma n'est pas né ici et qu'il fallait, comme les enfants de "Touki-Bouki", partir de l'autre côté de l'océan en Europe pour faire son stage de civilisation…. L'important est de supprimer le mythe réducteur autour du cinéma. Faire du cinéma, c'est faire aimer envers et contre tous et tout." Moustapha Alassane lui donne raison ; le cinéaste nigérien autodidacte de la pellicule refusait à ses débuts le type de cinéma occidental, pour une liberté d'expression. Il fabriquait son matériel en dessinant directement à la main sur la pellicule. Il avait, avant Aouré son premier film conventionnel tourné en 16 mm couleur, produit deux courts films d'animation : Le piroguier et La pileuse de mil.
Cette troisième voie était une exigence imposée par les conditions de l'époque qui ne favorisaient pas l'émergence d'une réelle cinématographie africaine sous le modèle européen :
"toutes sortes d'obstacles, reconnaît JR Debrix, s'opposent au développement d'un cinéma africain : l'absence de moyens techniques et financiers, le manque de studios, de laboratoires, de techniciens, l'indifférence des pouvoirs publics sollicités par d'autres priorités, enfin un marché cinématographique entièrement monopolisé par deux chaînes de distribution, rendant impossible une rentabilisation normale des productions autochtones". Charles Tesson dans l'article consacré à Den muso mettait au devant le fait que "contrairement à l'Asie, l'Afrique est un continent qui ne possède pas d'industrie du cinéma (trop tôt ou trop tard ?) pour que des cinéastes puissent, soit y investir leurs projets en rusant avec la machine de production, soit pour s'y référer, s'en démarquer tant économiquement qu'esthétiquement… Dans ces conditions… Monter un film est une longue et coûteuse entreprise artisanale qui nécessite à chaque fois de tout réinventer, de partir de zéro." L'absence de moyens contraint le créateur à trouver par lui-même des réponses conformes à sa situation et dans cet exercice, forcément, on réinvente les choses, ou l'on va chercher dans le patrimoine culturel de quoi forger une esthétique nouvelle.
L'apparition du cinéma africain au sud du Sahara coïncide avec le début de la crise coloniale et les mouvements de revendication qui mènent à l'indépendance. Paulin Soumanou Vieyra dans son livre Le cinéma et l'Afrique se souvient qu'
"en 1955, lorsqu'un petit noyau d'Africains et d'Européens discutait de cinéma dans les salles enfumées des cafés d'Europe, on ne leur prêtait guère attention. En voulant d'un cinéma africain et travaillant à son avènement, à l'époque, ils combattaient pour l'indépendance à leur manière ; car il ne faisait aucun doute que seule la souveraineté nationale des pays africains permettrait l'expression cinématographique de la réalité authentiquement africaine."
Né, sur les berges de la Seine, dans un contexte cinématographique où à travers le cinéma exotique, l'Afrique ne servait que de décor et les africains ravalés au rang de simples figurants, habillés "parfois avec des costumes de fibres venues d'Outre-Atlantique" comme le décrit si bien Pierre Pommier dans son livre Cinéma et développement en Afrique noire francophone". Le cinéma naissant se devait de rectifier cette image déformante du continent comme il devait faire face à un cinéma ethnographique à qui Sembène reprochait de jeter un regard d'entomologiste sur les populations africaines.
Dès sa naissance, le cinéma africain du Sud du Sahara était confronté à deux exigences : celle de la représentation d'une réalité sociale et celle de l'esthétique. D'autant que depuis la fin de la dernière guerre mondiale, beaucoup d'Africains étaient partis en Europe, soit pour des études, soit pour y travailler, sans compter les tirailleurs restés après la guerre. Ils ont donc vu des films qui dénonçaient la colonisation même si leur nombre était réduit. Ces films étaient matière à discussion, à réflexion, à critique. Parmi ces films, Afrique 5O, Independance for Ghana, Voyage au Soudan des présidents Senghor et Modibo Keita des films qui témoignaient de l'événement et qui ont joué un rôle dans les changements de mentalité.
Puisque le cinéma exotique, avec des films comme Nagana, (ethnographique), Au pays Dogon (de Marcel Griaule) et enfin le cinéma d'une "Afrique en évolution"- Les Statues meurent aussi de Alain Resnais et Chris Marker, un film qui se présente comme un S.O.S en faveur des arts nègres voués à l'étiolement des musées et à la dégénérescence des bazars-, relèvent tous d'un cinéma d'inspiration africaine, ils ont donné des films dominés par la personnalité ou l'attitude du réalisateur européen qui reste extérieur au continent. Paulin Vieyra qui passe en revue l'état d'esprit de "ceux qui ont pour mission ou non, de parler en notre nom par l'intermédiaire du film" mentionne qu'il y a ceux qui admettent une fois pour toutes que l'Africain est un être inférieur, ceux qui croient plaider la cause de l'Africain mais qui ne se sont jamais départis de préjugés de toutes sortes, ceux de bonne volonté qui veulent du bien de l'Afrique mais défigurent inconsciemment le visage du continent parce qu'idéalistes, rêveurs ou paternalistes, enfin, ceux qui posent les problèmes de façon juste, dans le seul contexte présentement valable : le contexte politique. Dès lors, la question se pose de savoir ce qui doit être représenté et comment ce doit l'être. Dans ce débat qui traverse le septième art africain, se sont vite dégagées deux tendances : celle du "cinéma de pancartes" (dénué de tout sens péjoratif), engagé dans la description et la critique de l'oppression, de la corruption, de l'arrogance de la nouvelle bourgeoisie qui a pris la place des colons, de la bureaucratie de l'oppression des femmes et des droits des enfants, Ousmane Sembène peut valablement être considéré comme le porte-flambeau de ce courant. La seconde tendance s'investit dans l'inépuisable tradition des récits initiatiques, des contes et légendes avec ce côté onirique se servant de superbes paysages, de costumes rutilants et d'éléments visuels puisés dans les arts traditionnels. Souleymane Cissé avec Yeleen ouvre là un grand boulevard dans lequel s'engouffrent Guimba et La Genèse de Cheikh Oumar Sissoko, voire Keita, l'héritage du griot du Burkinabé Dani Kouyaté. Les costumes de Kandioura Coulibaly dans La Genèse sont d'un ravissement à faire oublier le thème du film. Des films qui introduisent aussi dans le débat les notions de plaisir esthétique et de splendeur plastique. Mais il faut bien se l'avouer la tendance actuelle dépasse de loin ce clivage.
Si dans ce débat de la représentation de la réalité, les cinéastes partaient en rangs dispersés, il y eut néanmoins des rencontres et des colloques pour, en commun, tenter de formaliser le devenir du cinéma africain dans le type de cinéma à faire. Les manifestes d'Alger, de Niamey sont des premières tentatives de formalisation. Le séminaire sur Le rôle du cinéaste africain dans l'éveil d'une conscience de civilisation noire organisé par la Société africaine de culture (SAC) du 8 au 13 avril 1974, à Ouagadougou, constitue une pièce maîtresse car il répondait à cette urgence ressentie chez l'un et l'autre, d'assigner au cinéaste africain plus clairement la responsabilité qui lui incombe, dans l'éveil d'une conscience de civilisation noire. L'argumentaire du séminaire disait que :
dans cette perspective, nous pensons que le cinéaste africain doit apprendre plus que jamais à puiser sa force, son authenticité et la beauté de son art dans l'expérience vécue des communautés africaines, elles-mêmes sources toujours vivantes des valeurs de civilisation. Il s'agit donc de promouvoir ou d'aider à la promotion d'un cinéma populaire…. au sens où ce cinéma se mettrait à l'école et au service des peuples d'Afrique sans pour autant enchaîner sa liberté et sa créativité propres. Inspiré par les expériences de la vie de ces peuples, le cours de leur histoire, la profondeur de leur destin, le cinéaste africain ne risquera pas pour autant de perdre la qualité de son langage, l'individualité et la marque qui lui sont propres.
Il était aussi question, au cours de ce séminaire, de tracer les contours d'un langage cinématographique africain original, qui prendrait ses distances d'avec certains modèles, critères et mythes occidentaux. Aux rayons de ces mythes et modèles, on rangeait le héros individualiste, l'argent, la violence, la sexualité débridée et le faux luxe… Dans leurs observations, les participants à cette rencontre établissaient un distinguo entre le langage cinématographique et la technique cinématographique qui est pratiquement la même dans tous les pays. Alors que le langage cinématographique est la résultante de plusieurs éléments qui peuvent différer suivant les pays. Le visuel (expression du visage, décor, mouvement et gestuelle etc.), le sonore (ambiance, musique…) et le rythme (la respiration, la cadence du montage, la courbe dramatique.) tous ces éléments relèvent de la sensibilité de chaque peuple. Le langage cinématographique africain prendrait donc appui sur les traditions picturales, architecturales, gestuelles et dramatiques africaines et utiliserait les langues et les musiques du continent pour définitivement asseoir sa personnalité. Tout cela paraît aujourd'hui d'une évidence relevant de La Palisse.
Les thèmes qui traversent le cinéma africain doivent être nécessairement reliés à la fonction que le cinéaste s'assigne. S'il se fait "gardien de la mémoire", les films historiques, le documentaire avec sa part de conservation du patrimoine matériel ou immatériel, l'attireront forcément ; s'il se veut témoin des changements et bouleversements sociaux, il trouvera au sein de sa société de quoi alimenter sa réflexion ou le devenir de cette même société ou encore anticiper sur son évolution future. Le cinéaste témoin de son temps, donc griot des temps modernes, le parallèle est toujours établi.
Les premiers films africains avaient de toute façon une limite esthétique. La question de sa pauvreté économique en est le résultat. La recherche de l'impression de beauté était évacuée au profit d'un didactisme et comme disaient les tenants du cinéma militant, on ne fait pas d'esthétisme sur la misère et l'oppression des masses. La beauté d'un film comme Borom Sarret ne tient pas à l'harmonie plastique du film, mais au sentiment de fierté qu'éprouve le spectateur en voyant la femme du charretier se ceindre les reins et partir affronter l'adversité. Aujourd'hui plastiquement, les films de l'Afrique au sud du Sahara sont bien faits. L'évolution technologique le permet, la formation des techniciens y contribue.
Il faut retenir dans cette recherche d'une esthétique nouvelle, l'expérience malheureusement avortée du collectif "Œil vert". En 1981, en plein FESPACO, les jeunes cinéastes qu'étaient William Mbaye, Cheikh Ngaido Ba, Idrissa Ouédraogo, Fadika Kramo-Lanciné et d'autres du Ghana, du Niger, de l'Île Maurice qui disaient avoir l'âge d'Afrique sur Seine, le premier film signé par un Africain, Paulin Soumanou Vieyra, en 1955, déclaraient leur désir légitime de s'émanciper. Ils se découvraient une sensibilité commune qu'ils ont tôt fait de baptiser "l'œil vert" à cause du regard neuf que posait leur caméra sur le monde, sur les hommes, sur la vie, la mort, avec un souffle plus poétique que politique. Ils refusaient toute schématisation formelle, tout terrorisme et a priori esthétique ou regard réducteur.Certains d'entre eux prenaient exemple sur le japonais Ozu et sa manière de filmer à ras du sol. Les ambitions étaient affichées d'autant qu'au cours de cette septième édition, Djeli de Kramo Lanciné et Poko de Idrissa Ouedraogo avaient remporté les Étalons du long et court-métrage. Le manifeste esthétique de ce collectif n'est jamais sorti de son landerneau.
Mais on peut conclure que, par la suite, chacun de ces jeunes réalisateurs a essayé dans ses films une approche différente de leurs aînés. Maintenant se dessine une autre vague, celle des vidéastes. Une génération "Rap" qui entend bousculer les habitudes de filmer car ayant une autre conception de l'image et une approche différente des sujets à traiter.

par Baba Diop