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"Moi un Noir" : hommage à Oumarou Ganda (Niger)
Afriques 50 : Singularités d'un cinéma pluriel (L'Harmattan, 2005)
critique
rédigé par
publié le 08/01/2007

"Nous vous montrerons ce que c'est la vie de Treichville, ce que c'est que Treichville en personne". Ces mots sont ceux du commentaire du film "Moi un noir". Celui qui les dit s'appelle Edward G. Robinson. "Non je ne m'appelle par Edward G. Robinson. C'est un surnom que j'ai pris, c'est comme ça que les camarades m'appellent. Ils me surnomment Edward G. Robinson parce que je ressemble à un certain Edward G. Robinson qu'on joue dans le film, au cinéma. Je ne dis pas mon vrai nom parce que je suis étranger à Abidjan. Nous sommes venus du Niger, à 2000 kilomètres d'ici."

Edward G. Robinson n'est autre que Oumarou Ganda, un jeune "ancien soldat", revenu de l'Indochine et immigré en Cote d'Ivoire. Jean Rouch a demandé à des jeunes Nigériens dont faisait partie Ganda, de jouer leur vie. C'était en 1958. Le résultat a donné un film de 70 minutes, Moi un noir qui a reçu le Prix Louis Delluc la même année. Une carrière cinématographique s'ouvrait à Oumarou Ganda.

Qu'est-ce qui prédestinait Oumarou Ganda à faire une carrière cinématographique ? Le rêve, mais surtout une forte envie de réaliser ce rêve. Né en 1935 à Niamey, après des études primaires, Ganda s'engage très jeune dans l'armée française. Il avait 17 ans. Après deux ans de guerre en Indochine il est de retour à la maison. La recherche du mieux être conduit Oumarou Ganda à quitter le pays pour la Côte d'Ivoire. C'est là qu'il rencontre Jean Rouch. Du travail au cinéma, le pas est vite franchi. Ganda travaillant comme enquêteur statisticien, avec Jean Rouch, se voit proposer de jouer un petit rôle dans un film, "Zazouman de Treichville". Après un essai réussi, Ganda tiendra le principal rôle dans Moi un Noir. C'est le début d'une carrière cinématographique.

De retour au Niger, Oumarou Ganda suit une formation puis se lance dans la réalisation. D'abord des films documentaires, puis ce fut l'aventure d'un grand projet en 1968 : Cabascabo.

Film autobiographique d'une durée de 45 minutes, Cabascabo retrace l'histoire d'un ancien combattant d'Indochine qui rentre dans son pays natal. Riche, il est fêté. Il dilapide sa fortune et se retrouve abandonné de tous ses amis. Cabascabo est synonyme de caïd.

Film entièrement tourné en djerma, Cabascabo a été sélectionné au Festival de Cannes en 1969 pour la Semaine de la Critique Internationale.
Le succès était au rendez-vous. Oumarou Ganda disait à ce propos : "le lendemain, j'ai pu lire dans un journal français en gros titre : "Pour la première fois un film en langue djerma au festival de Cannes". C'était vraiment une victoire" (NOTE 1). Des prix sont venus couronner la qualité de Cabascabo. Prix spécial à Moscou en 1969, Tanit de bronze à Carthage en 1969, Prix des Ciné clubs espagnols à Malaga.

Deux ans après Cabascabo, Oumarou Ganda sort en 1970, Le Wazzou polygame. Un croyant musulman prend, en revenant de la Mecque, le titre de "El Hadj". Mais cela ne l'empêche pas de convoiter la jeune Satou, qu'il sait pourtant être destinée à Garba. Celui-ci, furieux, n'a plus qu'à quitter le village. Mais tout se complique : la seconde épouse d'El Hadj n'accepte pas l'intruse et pour empêcher le mariage décide de la tuer la veille des noces. Elle se trompe et tue une demoiselle d'honneur. Elle est arrêtée, tandis que Satou s'enfuit à la ville pour retrouver Garba. Hélas, elle ne le retrouvera pas et sombrera dans la prostitution.
À l'image de son premier film où il s'inspirait de sa propre vie, Oumarou Ganda, en bon observateur de sa société, s'est inspiré d'un fait réel pour écrire le scénario du Wazzou polygame. À travers ce film, Ganda dénonce la polygamie mais aussi ceux qui détiennent ou pensent détenir d'une manière ou d'une autre le pouvoir. Il savait qu'attaquer les El Hadj de front, n'est pas facile.
Mais, le cinéaste n'est-il pas là pour montrer ce que ne va pas ? Il l'a dit lui-même à Guy Hennebelle. "Attaquer de front les El Hadj dans un pays aussi musulman que le Niger, cela ne va pas sans risques. Mais je tenais à dénoncer ces gens-là qui ne sont que des faux jetons, des exploiteurs, des gangsters. Sous prétexte qu'ils sont allés à la Mecque, ils se croient tout permis" (NOTE 2).Le Wazzou polygame a reçu le Grand Prix du FESPACO en 1972 et le prix spécial du jury au festival de Beyrouth.

Le FESPACO, Oumarou Ganda y a associé son nom dès les origines. En effet, il fait partie des pionniers, de ceux-là qui ont senti la nécessité de se retrouver pour donner un peu plus de visibilité au cinéma africain à travers la semaine du cinéma. Un grand honneur pour le Niger et pour Oumarou Ganda, fut le grand prix décerné au film Le Wazzou polygame lors du premier FESPACO en 1972. Moustapha Alassane, l'aîné, le précurseur du cinéma nigérien reçoit à cette même occasion, le prix de l'OCAM pour son film Femmes, villa, voiture, argent, FVVA.

Toujours témoin de son époque, Oumarou Ganda continue à donner à voir des images de son pays. Son expérience d'enquêteur statisticien a beaucoup influencé son regard sur l'homme.
"Pendant près de dix ans dit-il, je me suis approché de l'homme en lui posant toute sorte de questions, si bien que je ne peux réaliser un film sans être influencé par le côté sociologique. Je continuerai dans ce sens" (NOTE 3).

De 1971 à 1972, Oumarou Ganda s'occupe du tournage de Saïtane. Le film sort en version djerma en 1972. En 55 minutes, Ganda raconte la chronique d'un petit village où fleurissent marabouts et maris trompés. Sur un ton malicieux et humoristique, le marabout est démystifié.

Nous retrouvons à nouveau dans ce film, un Ganda qui interprète le rôle du féticheur, après avoir interprété celui de l'ancien combattant dans Cabascabo. Par le jeu d'acteur Ganda est venu au cinéma ; par le jeu d'acteur mais aussi par la réalisation, il fait le cinéma.

Après Saïtane, Oumarou Ganda se remet à la réalisation de documentaire. Galio, de l'air en 1973, Cock cock cock en 1977, Le Niger au festival de Carthage en 1980.

1980 est aussi l'année de la sortie de son dernier long-métrage : L'Exilé. Sur fond d'événements actuels, un ex-ambassadeur africain en exil, raconte à ses amis une histoire traditionnelle. Dans une île, un roi qui règne en maître absolu surprend la conversation de deux jeunes qui assurent accepter de perdre la vie pour une nuit passée avec la fille du roi. Il les prend au mot, leur donne ses filles en mariage. Un an plus tard, il leur rappelle la parole donnée. L'un des frères se laisse décapiter, l'autre s'enfuit avec sa femme. Bien des aventures les attendent pour avoir failli à la parole donnée.

La parole donnée est une parole sacrée, et la parole est l'outil par excellence du conteur. Ganda le sait, et l'utilise quand il veut attirer l'attention de ses spectateurs sur l'importance de la parole donnée.
"Pour moi, la parole a perdu son importance en Afrique et dans le reste du monde au profit de l'écriture. On dit souvent des choses gratuitement sans se sentir autrement engagé par telle ou telle promesse… Dans l'Afrique traditionnelle, la parole était autrement plus valorisée… la parole donnée est sacrée et l'on va jusqu'au sacrifice suprême pour l'honorer" (NOTE 4).

Durant toute sa carrière cinématographique, Ganda n'a cessé de clamer que chaque nigérien doit avoir la chance de pouvoir voir les films réalisés au Niger. Ces films s'adressent d'abord à eux. Il s'inscrivait dans la logique du cinéma populaire, un cinéma qui a l'assentiment du public et qui trouve sa justification sur le plan national.

Le premier janvier 1981, Oumarou Ganda rendit son âme au créateur. Ganda s'en est allé comme un militaire, l'arme à la main. Il travaillait, la veille de son décès, sur le scénario d'un documentaire. Sa santé était fragile, il souffrait depuis quelque temps d'un malaise cardiaque. Mais sa passion du cinéma l'emporta sur ses soucis de santé.

La fin qui apparaît au générique de la vie de Ganda n'a pas enthousiasmé les foules. Au contraire. Cette fin a creusé un grand fossé dans le milieu cinématographique nigérien. Moustapha Diop, Secrétaire Général de l'Association des cinéastes du Niger, dans un article sur l'état du cinéma au Niger, écrivait :
"Il est indéniable que la disparition prématurée de notre regretté camarade, feu Oumarou Ganda, a porté un rude coup au cinéma nigérien, en ce sens que lui et Moustapha Alassane, étaient les deux locomotives du 7ème art au Niger" (NOTE 5).

Hommage a été rendu à Ganda par son pays, un Centre culturel porte son nom. Depuis 1981, le FESPACO décerne le Prix Oumarou Ganda à la meilleure première œuvre. Son nom ne cesse d'être cité quand il s'agit de parler du cinéma nigérien. Son œuvre restera à jamais dans l'anthologie du cinéma africain. Un de ses amis, Harouna Niandou, journaliste au Sahel aimait bien lui rendre hommage en ces termes :
"Oumarou Ganda a été, toute sa vie, un de ceux qui ont fait de la caméra, disons du cinéma, une arme de combat pour soustraire l'Afrique de l'emprise coloniale et l'engager résolument sur les traces de la quête pour sa propre identité" (NOTE 6).

par Achille Kouawo, Clap Noir

KOUAWO Achille - ""Moi un Noir" : hommage à Oumarou Ganda (Niger)". in Afriques 50 : Singularités d'un cinéma pluriel, sous la direction de Catherine Ruelle, en collaboration avec Clément Tapsoba et Alessandra Speciale. Paris : L'Harmattan, Collection "Images plurielles", 2005, pp. 281-284.

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