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De l'absence du film africain sur son propre marché : des solutions endogènes s'imposent
Afriques 50 : Singularités d'un cinéma pluriel (L'Harmattan, 2005)
critique
rédigé par Emmanuel Sama
publié le 08/01/2007

À l'aide de bouts de "peloches", les pionniers du cinéma africains ont "artisanalement" confectionné les premiers films, dans l'optique de faire exister les images porteuses des identités culturelles africaines et des aspirations des peuples. Ils se sont dotés de boussoles que sont la "Charte d'Alger" et le "Manifeste de Niamey" pour guider les États en vue de la "décolonisation des écrans" qui a toujours été au cœur de leur combat.
Quelques États ont tenté d'être maîtres de la distribution et de l'exploitation de leurs salles nationalisées. Au moment où l'on célèbre le cinquantenaire du cinéma de l'Afrique noire l'on constate amèrement que la plupart ont fini par lâcher la poignée des portes et que les maîtres d'hier, les majors occidentaux, se sont de nouveaux engouffrés comme des "tsumanis", rasant toute velléité d'indépendance cinématographique.
Au niveau continental l'expérience du CIDC mérite qu'on s'y attarde, pour juger le long chemin qui reste à parcourir pour reconquérir le marché cinématographique dans l'optique de parvenir à la décolonisation des écrans du continent monopolisés par les compagnies occidentales, notamment COMACICO - SECMA en Afrique francophone.
Un premier pas décisif est posé par les États de l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM) avec la mise en place en 1979, à Ouagadougou, du Consortium interafricain de distribution cinématographique (CIDC) et du CIPROFILM Consortium interafricain pour la production et la formation professionnelle. L'ambition du CIDC était noble : il s'agissait d'assurer l'exclusivité de l'importation et de l'exportation ainsi que la distribution des films pour l'ensemble des 14 pays membres (NOTE 1). Le CIDC devait permettre le développement de la production cinématographique par l'affectation d'un pourcentage de ses bénéfices au CIPROFILM. Le CIDC fonctionnait comme une centrale d'achat, une coopération qui a permis grâce au contrôle des achats et de la distribution, de sélectionner les films et de glisser dans le package, les films africains pour leur diffusion en salle. La trouvaille était géniale. En 1980 l'ancienne détentrice de ce marché, l'Union générale du cinéma (UGC) rétrocède, malgré elle, ses salles et son portefeuille au CIDC tout en restant membre du bureau d'achat établi à Paris. Par un jeu subtil, elle est demeurée gérante du bureau. (NOTE 2) Dans ces conditions, le vers étant déjà dans le fruit, la faillite du CIDC était prononcée d'autant plus que les États n'ont jamais honoré leurs engagements vis-à-vis du CIDC dont le capital était de 70 millions de francs CFA. En effet L'UGC avait cédé son fonds de commerce pour 550 millions de FCFA sous forme de crédits aux fournisseurs. Les États s'étaient engagés pour un emprunt de 600 millions qu'ils n'ont jamais contracté. Dans un contexte de paralysie au sommet de la FEPACI, les responsables du CIDC, sourds aux injonctions des professionnels africains s'enfonçaient dans une gestion peu orthodoxe et entretenaient des relations coupables avec le "deuxième bureau" de CIDC France qui finit par avaler le consortium

La fermeture du bureau d'achat de Paris en 1985 décidée par les ministres africains chargé du cinéma n'a pas suffi à sauver la situation. Jusqu'en 1986, le CIDC a relativement bien fonctionné et permettait, quoique difficilement, la circulation des films nationaux d'un État membre à un autre. Il a été possible, durant cette période, de voir par exemple des films camerounais au Sénégal, et vice versa. Mais la crise s'était durablement installée et la faillite du CIDC ne pouvait qu'être prononcée en 1988. La boîte de pandore sera de nouveau ouverte pour les flibustiers du marché du cinéma et entraînera la situation que l'on connaît aujourd'hui.
Que retenir comme leçon de l'expérience du CIDC ? Celle-ci a révélé que la bataille pour le contrôle du marché du cinéma sur le continent est possible grâce à un combat commun. La faillite du CIDC est en partie imputable à certains professionnels du cinéma africain qui ont été les complices intéressés des anciennes structures occidentales du marché cinématographique, elle en incombe en particulier aux gouvernements africains qui n'ont pas réellement intégré le contrôle du marché dans leurs priorités
Des initiatives multiples

Après la renaissance de la FEPACI marquée par la tenue de son troisième congrès en 1985 à Ouagadougou, l'on ne compte plus les tables rondes, colloques et séminaires qui ont été organisés un peu partout sur le continent pour poser l'épineuse question du contrôle du marché et de la circulation du film africain. Question d'autant plus épineuse que les mutations socio-économiques et politiques des années quatre-vingt-dix, marquées par les mesures du Programme d'ajustement structurel (PAS) imposées aux États n'ont pas été des plus favorables au secteur de la distribution et de l'exploitation en Afrique. La crise du secteur s'est manifestée par la fermeture des salles de cinéma ou par leur transformation - au mieux en épiceries - et aussi par la prolifération des vidéos clubs…
Le colloque-atelier "Cinéma et circuits de diffusion en Afrique" qui s'est déroulé en 1999 sur l'initiative de la FEPACI, à l'occasion du FESPACO, a eu le mérite de regrouper pour une fois, un échantillon représentatif de tous les corps de métiers, notamment les distributeurs, les exploitants et les traditionnels partenaires du cinéma africain. De leur côté des institutions telles que l'Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF) ont pris l'initiative d'organiser en 2001 un atelier professionnel "pour la distribution du film africain en Afrique". Ces travaux ont abouti à des actions immédiates à entreprendre à travers un plan dénommé "Plan d'action de Ouagadougou".
Les distributeurs présents se sont constitués en un Groupement d'intérêt économique (GIE). L'objectif affiché de ce GIE est d'acquérir à des coûts plus raisonnables et de distribuer plus efficacement les films africains et francophones. Au plan de l'exploitation, les acteurs du domaine ont convenu de la mise en réseau de leurs salles en vue d'élargir les possibilités de diffusion. Les priorités dégagées sont : l'amélioration des salles et des conditions de projection, l'équipement vidéographique des salles de cinéma, etc.
L'avènement, en juillet 2003, d'Africa Cinéma, constitue une autre étape non négligeable dans cette même démarche. Africa Cinéma est un programme commun de soutien à la distribution et à l'exploitation des films africains en Afrique mis en place par l'AIF, le ministère français des Affaires étrangères et l'Union européenne.
Le programme rejoint dans ses grandes lignes celles tracées par le colloque de Ouagadougou et le plan d'action de Ouagadougou. On retiendra surtout la volonté de ce programme de contribuer à la structuration du secteur de la distribution et de l'exploitation, et de développer les compétences des professionnels africains en les associant à des réseaux internationaux. Des mécanismes de soutien au profit des sociétés de distribution et d'exploitation d'Afrique subsaharienne ont été mis en place et concernent : la programmation et l'équipement des salles ; le renforcement des compétences professionnelles et le soutien aux sociétés de distribution.
L'espoir suscité par les actions de Africa Cinéma semblait en fin d'année 2004 remis en question avec la crise survenue au sein de l'équipe dirigeante (le producteur Burkinabé Toussaint Tiendrébéogo était le directeur délégué jusqu'à sa récente décision de démissionner de Africa Cinéma), en raison des divergences d'orientation des objectifs de la structure et du manque apparent de liberté de champ d'action.
En effet, Africa Cinéma n'est pas une structure opérationnelle sur le terrain mais un simple programme coiffé par Europa Cinéma, dont l'essentiel des missions est d'encaisser les subventions européennes pour les redistribuer selon ses critères. D'une grande compétence dans l'appui aux salles en Europe et en Méditerranée, son équipe dirigeante méconnaît les besoins réels des cinémas africains qu'elle a mission d'aider.
Sur le terrain, l'intervention de Africa Cinéma s'est limitée à l'équipement technique des salles et ne prend pas en compte leur rénovation physique. Faut-il voir une coïncidence entre les orientations imposées par Europa Cinéma et Africa Cinéma, avec l'offensive récemment constatée de la Compagnie française de l'Afrique occidentale (CFAO), une vieille firme du temps de la colonisation, travaillant dans le secteur de l'exploitation et de la diffusion du film en Afrique ? Filiale du groupe Pinault-Printemps-Redoute, leader dans la distribution automobile et ayant repris la société "Les films 26", principale pourvoyeuse dans ces territoires de films américains et français elle s'est investie dans un important programme de rénovation de salles en Afrique (Mali, Gabon, Sénégal notamment).
CFAO boit du petit-lait, a son beurre et soutire l'argent du beurre.
Une conclusion toute évidente s'impose, quelles que soient les bonnes intentions des partenaires, la solution à la réorganisation du marché cinématographique en Afrique, voire de son contrôle ne peut que résulter d'une mobilisation commune des Africains eux-mêmes et des États en particulier, comme l'atteste l'expérience du CIDC. Les initiatives prisent par l'Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) ces derniers temps augurent d'une prise en main du secteur de la distribution et de l'exploitation, du moins dans cette zone économique qui réunit huit pays : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Un programme d'action commun a été adopté en juin 2004 à Bamako au Mali pour dynamiser la production, favoriser la circulation des images et leur conservation au sein des États membres. Des actions prioritaires et des mesures d'accompagnement ont été déterminées. Il s'agit d'établir et de dresser les principes directeurs d'un cadre réglementaire harmonisé, de mettre en place des mécanismes financiers destinés à soutenir la création, la diffusion, la circulation et la conservation des images, d'adopter des mesures fiscales et douanières. Les actions les plus prioritaires nous semblent la création d'un fonds régional de développement de l'image et celle d'un fonds de garantie pour faciliter l'accès des entreprises de l'image au crédit bancaire.
Le programme UEMOA souligne la nécessité de renforcer les bases structurelles et financières des télévisions publiques nationales par la formulation de cahiers de charges, la modernisation des régies publicitaires et la généralisation à tous les États de la redevance télévisuelle. Les réflexions se poursuivent quant aux mesures à prendre en vue de favoriser la formation professionnelle et la promotion des nouvelles technologies qui révolutionnent très rapidement tous les secteurs et singulièrement ceux du cinéma et de l'audiovisuel.
À ces nombreuses recettes et initiatives pour une meilleure diffusion du film, il convient d'insister sur la profonde remise en question des manières de concevoir les films. L'accoutumance des spectateurs et téléspectateurs aux produits occidentaux a modelé leurs goûts. Les cinéastes sont contraints d'adapter certains nouveaux ingrédients à leurs vieilles recettes. Les sitcoms et téléfilms qu'ils réalisent de plus en plus, vont dans ce sens, au regard de la forte audience rencontrée auprès des publics nationaux.

par Emmanuel Sama