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Histoire d'une métamorphose aride
Daratt, de Mahamat-Saleh-Haroun (Tchad, France)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 08/02/2007

Décidément, cette année, le cinéma africain, s'est bien démarqué par un parti pris de fictionnalisation de la réalité, engagé. Bamako, de Abderrahmane Sissako, est sur ce point le plus discursivement prononcé. Après Abouna, le réalisateur tchadien signe une deuxième fiction : Daratt, une oeuvre qui s'annonce, rien qu'à la résonance du titre, dépouillée de toute monstration généreusement dénotative. Devant l'arrière plan d'une guerre intestine qui sévit dans le pays depuis une trentaine d'année maintenant, se tisse une histoire du vécu quotidien. Une destinée dont tout un Tchadien est potentiellement sujet.

Le film installe dès l'ouverture un sentiment d'inquiétude et d'insécurité qui, continûment distillé, ne prendra fin que quand le dernier plan nous en libère. La radio locale ne tardera pas à émettre les résultats de la commission "Justice et vérité" concernant les massacres perpétrés lors de la guerre. Justice sera-t-elle rendue ? Dès lors, accompagnés de la voix off du présentateur, des signes d'une effervescence générale commencent à déferler. Au milieu d'un sol jonché de chaussures se tient Atim, orphelin de son père. L'État a proclamé l'amnistie générale pour tous les criminels de la guerre civile. C'est le motif qui déclenche l'action. À partir de cet instant et à la demande de son grand-père, un vieillard aveugle, l'adolescent est assigné d'une mission : venger son père. Une épreuve qui fera de lui certes, l'adulte que son père aurait aimé voir ? Bien évidement, pour le bourreau, il faut quitter ses proches et faire un long voyage pour le retrouver en tête à tête et l'achever dans un coin retiré des regards du monde.
Seulement, Haroun nous épargne en quelque sorte le schéma classique des histoires de vengeances en choisissant de s'en écarter. Il s'agit ici, d'une caractéristique dont on peut confirmer l'appartenance au modèle du cinéma post-moderne où le personnage figurant le mal est perçu tantôt comme tel tantôt comme un bienfaiteur ou une victime. Le spectateur est dérouté suite à cette infraction de la règle qui participe à l'humanisation des personnages, ce qui d'ailleurs nous rapproche plus de la réalité. Le film nous offre une suite de la même facture. Au bourreau répondant au nom de Nassara, s'est substitué un boulanger offrant chaque jour, en guise d'aumône, son pain aux enfants et un bon musulman qui presse le pas vers la mosquée par peur de manquer la prière du vendredi. À cette indulgence s'oppose la hargne d'Atim constamment logée dans ses yeux. Au lieu d'ôter la vie à l'ancien criminel, l'orphelin tombe sur un repenti n'hésitant pas à l'accueillir dans sa maison, donc à lui donner une possibilité de vie, une vie.
Le point culminant du détournement du schéma traditionnel est la scène où Nassara déclare à Atim sa volonté de faire de lui son fils. Une scène fortement déconcertante qui frôle presque invraisemblablement l'impossibilité d'exister, pour un spectateur non averti. Justement, la force du film est dans cette magie de transformer le rôle de chaque personnage. Sauf que Atim malgré le dilemme qu'il subit - tiraillé entre deux alternatives : céder devant l'affection que Nassara lui prouve chaque jour davantage ou prendre la décision d'en finir en mettant fin à la vie du meurtrier - affiche une résistance inébranlable face à une succession d'événements qui le dépasse. Le plan de la fin en dit long sur la métamorphose des personnages. Tirer en l'air, sûrement sans avoir les mains qui tremblent. Offrir au bourreau une deuxième chance, une chance qu'il mérite peut-être ou qui ne peut que la mériter finalement après tout ce qu'il a donné à cet orphelin en manque d'un père qui le soutient sur cette terre aride, dans un Tchad dénudé de beaucoup sauf, heureusement, du sens de l'humain. Seul l'humain demeure face à l'absence de tout espoir de progrès économique, face à l'invasion des implantations d'un commerce extérieur que représente l'écrasement de la boulangerie de Nassara par une boulangerie moderne qui se vante de sa qualité française. Un commerce inadéquat avec l'indigence sociale qui empêche l'autosatisfaction.
Et à l'évidence, Haroun a plus que jamais réussi à transmettre ce message en déployant un langage cinématographique qui donne corps à cette cause militante. L'absence du dialogue et la sécheresse verbale cèdent la place à une profusion de l'esthétique plastique. La présence des deux corps à proximité l'un de l'autre à l'instar d'un combat entre deux félins se fait une image leitmotiv. Autant dire, le cadrage sculpte l'image pour rendre un effet de plasticité corporelle si expressif que le manque de paroles ne se fait plus ressentir. Le laconisme est compensé par une logorrhée iconoclaste. C'est ici que réside toute l'originalité du style.
En somme, Daratt, consacre la maturité cinématographique du réalisateur en particulier mais aussi du cinéma tchadien et africain en général.

Mériam Azizi

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