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Entre virilité et féminisme
Making off, de Nouri Bouzid
critique
rédigé par Moussa Bolly
publié le 15/03/2007

Comment devenir un homme et trouver sa voie dans une société qui fait peu de place à vos aspirations ?
C'est l'équation que doit résoudre Bahta, le personnage principal de Nouri Bouzid dans Making off. Un film très politique, mais que les sociologues auront aussi du plaisir à décortiquer.
Exclu du système éducatif, sevré de la considération d'un père qui ne le voit qu'en paria, escroqué par le passeur vers l'Europe, le bout du tunnel pour lui, et se croyant trahi par Souad, l'amour à laquelle il s'accroche, Bahta voit tous ses projets échouer dans une impasse, à l'image des nombreuses ruelles de sa Médina. Un échec qui fait de lui la proie facile des intégristes musulmans. Et comme lui, des millions de jeunes opprimés et désoeuvrés sont souvent entraînés sur des voies qui ne sont pas forcément les leurs.
Petit à petit, le personnage de Bahta se construit dans la tourmente, la contradiction, la quête et le refus de soi avec un seul objectif : devenir homme ! Mais, quel homme ? Se marier et fonder un foyer comme le souhaite sa vieille mère ? Arrêter la danse, sa passion, et chercher un emploi "respectable" comme le conseille sans cesse Souad, sa copine ? Devenir policier craint et respecté parce que représentant le pouvoir de répression ? Ou devenir un kamikaze pour tuer des victimes innocentes au nom d'un islam intégriste ? Le conflit interne est terrible et accentué par l'endoctrinement religieux.
À la fin, Bahta devient un homme ! Mais, un homme contre ses oppresseurs, contre ceux qui l'ont endoctriné et contre la société qui l'a livré à ces capteurs de conscience. Bahta est devenu un homme, mais pas un martyre ou un kamikaze contrairement au projet de ses endoctrineurs.
Face à cette quête dramatique de virilité incarnée par le personnage de Bahta, Bouzid campe comme à son habitude des femmes positives. Pourtant, c'est une mère délaissée qui voit son fils "dévier du droit chemin". Elle est presque à la même enseigne que sa fille envers qui Bahta et les autres hommes de la famille n'ont aucun respect depuis son divorce.
Souad, la petite copine de Bahta, incarne à elle seule le mal-vivre des Tunisiennes. Elle est d'abord exclue du Boys band qu'elle ne peut pas suivre dans les ruines tout simplement parce qu'elle est une… fille. Une profonde humiliation qu'elle reproche à son copain. Celui-là même qui fait d'elle aussi un souffre-douleur, qui la violente et martyrise sous prétexte d'un adultère jamais prouvé. Pourquoi Bahta s'acharne sur Souad et non sur l'homme avec qui il le trouve ? Pourquoi le réalisateur fait-il en sorte que cette dernière ne trouve pas d'issue pour échapper à l'amant aveuglé par l'amour et les croyances mises dans sa tête ? Est-ce que, comme Souad, la vie des Tunisiennes est une impasse ? Parviennent-elles réellement à échapper au destin imposé par leurs pères, frères ou époux ?
Bouzid soulève malicieusement la question en laissant à chacun la liberté d'y trouver sa propre réponse. Mais, toujours est-il que cette même femme est celle vers qui on se tourne pour retrouver l'amour et l'estime de soi. Et cela à l'image de Bahta qui vient implorer les bénédictions de sa mère dans l'accomplissement de sa mission et qui supplie presque Souad de bien veiller sur cette dernière. Dans le film, les femmes n'ont heureusement pas que ce rôle ingrat. Elles sont toutes opposées au projet intégriste de Bahta et tentent de l'en dissuader. Une façon pour Bouzid de rappeler à l'humanité que si les hommes écoutaient assez les femmes, le monde n'en serait pas aujourd'hui à ce niveau de violence.

Moussa Bolly (Mali)

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