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Les mots de la violence
Bulletin Africiné n°06 (FESPACO 2007), du Jeudi 1er mars 2007
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 16/03/2007

Quand on raconte les horreurs de la guerre, les mots ne sont pas simples. On les dit avec des mots douloureux, des mots accompagnés de larmes et parfois de rictus, des mots mal exprimés.
"Les rebelles ont mis sept pneus sur mon père et l'ont brûlé. Ensuite, ils m'ont enlevée et m'ont emmené à Monrovia puis à Mano River". C'est Mahade Pako, jeune fille ex-enfant soldat, qui raconte son calvaire dans le documentaire Trois filles dans la guerre de Meira Asher. Elle emprunte le chemin du souvenir pour dire à sa façon la guerre. Marquée par la violence, les mots dont elle use semblent être le fil tendu entre l'horreur et le sentiment d'impuissance. La signification de son nom "Mahade" ("la femme qui connaît et voit beaucoup de choses") semble servir de métaphore, en guise d'exutoire, à une "douloureuse parturition", pour prendre le mot de Césaire.
Dans Ezra, une religieuse témoigne : "Je me souviens seulement du sang et des cris. Tout était confus." Il n'est pas facile de parler d'une chose aussi cruelle et inhumaine qui met en deuil le cœur de l'humanité. Ezra en colère traite de "cafards" les soldats qui ont attaqué le village de ses parents. Ce sont des mots muets qu'Onitsha tente de rendre audibles en les inscrivant au sol ou sur un bloc-notes. Chris Conteh (une des Trois filles dans la guerre) a elle aussi tant de choses à raconter. Elle dompte difficilement sa désolation : "Je me souviens de l'odeur de sang". Mais aussi de ces ventres de femmes enceintes qu'on déchire pour en sortir le bébé dans un sourire de gloire faussement sublimé par des bravos fusant de partout une fois de retour au camp. Chez les rebelles, l'acte ignoble ne porte pas son nom : c'est un fait guerrier qui grandit l'homme. En remontant le fil de sa vie, Chris Conteh raconte comment elle a été enlevée à 11 ans en compagnie d'une dizaine de filles sur le chemin de l'école, puis "violée en même temps" par deux de ses ravisseurs. Elle sera engrossée par un soldat surnommé "S.S.", ce qui veut dire "tueur de serpent".
Mahade Pako, nommée par ses frères et sœurs d'armes "Lieutenant je vous emmerde", se souvient : dirigeant une escouade de 11 soldats, elle arrache le cœur d'une de ses victimes sous les ordres de son chef, lequel, tel un vampire, lui lance : "je veux les yeux…" Les odeurs du cannibalisme ne sont pas loin. Filles dans la guerre revient voir sa mère qui la rejette : "On dit que tu éventres les gens avec une scie électrique". "C'est le fruit des mauvaises langues", répond-t-elle à cette accusation qui pourtant prolonge et augmente l'épaisseur de la violence. Les mots sont nécessaires. Sans eux, la violence reste dans les tripes et bloque l'âme.

Bassirou Niang (Sénégal)

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