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Le travail de vengeance
Daratt (Saison sèche), de Mahamat-Saleh Haroun (Tchad)
critique
rédigé par Dieudonné Motchosso Kodolakina
publié le 16/03/2007

Daratt, le troisième long métrage de Mahamat Saleh Haroun, qui fait suite à Bye bye Africa (1999) et Abouna (2002), illustre la question de la conquête par les pays africains de la stabilité, face aux tensions et querelles qui durent depuis des siècles.

C'est en effet au "devoir de vengeance" que le jeune Atim est convié, sinon confronté : mettre fin à la vie de Nassara, l'assassin de son père. Pourtant, la commission ironiquement nommée "justice et vérité" vient de proclamer l'amnistie générale des exactions commises au Tchad. Nous sommes à une époque moderne, bien postérieure à celle où les incompréhensions intertribales étaient le ferment des conflits. Le désert, autant asséché par la guerre qui se répète depuis 35 ans que par le soleil de plomb, sert de décor plastiquement fécond au réalisateur de Daratt. Son grand père confie à Atim un revolver à son petit-fils pour en finir avec Nassara le tortionnaire. Mission d'autant plus difficile que Nassara, qui embauche Atim dans sa boulangerie, représente peu à peu pour lui une figure paternelle.
Atim est chargé d'appliquer la dure loi du Talion. Comment sortir du cercle infernal de la vengeance ? La force du film est de répondre à cette question en mettant en scène l'ambiguïté et la précarité des sentiments. Si l'œuvre de Haroun taraude la psychologie humaine, c'est bien grâce à ses jeux de miroirs, à ses regards scrutateurs, à la chorégraphie des corps qui se sentent et se cherchent, aux jeux d'ombre et de lumière qui font tourner l'intrigue et contribuent à une tension toujours présente. Ainsi, le choix d'un montage sec, d'un rythme assez lent et du quasi-mutisme du personnage d'Atim n'est-il pas fortuit.
Dans ce Tchad, voire cette Afrique, où la musique des coups de feux est fréquente, où les groupes rebelles sont toujours en désaccord avec les pouvoirs en place, il faudra bien s'interroger sur la place de la justice et la nature du pardon, pour que triomphe la paix stabilisante et que le processus de développement cesse d'être lent. Ici, réalité et fantasme s'alternent. Haroun le montre à travers nombre de scènes où il met sur le même plan narratif passé et présent.
De fait, le réalisateur multiplie les points de vue :
- Au plan religieux, il s'agit d'éviter de tomber dans les facilités des paroles prophétiques qui contraignent les opprimés à s'accommoder de leur sort. La tentative de convertir Atim ne marchera jamais.
- Du point de vue social, le réalisateur met en crise la bonté populaire d'un homme capable des pires exactions, qui détient une flopée d'armes à feu. L'aumône que Nassara offre souvent aux enfants de la rue ne lui épargne pas la sentence. Jugé mais pas tué.
- Et à la jonction des deux, le réalisateur de Bye, bye Africa permet à son héros de transcender la rage qui l'habite.
Autant ce film fait appel aux sentiments, autant il convoque la raison. C'est le travail sur la psychologie d'Atim et notamment sa vengeance stylisée qui constituent l'un des atouts indéniables de ce long métrage. Atim ne cède ni à ses pulsions agressives ni au vouloir de son grand-père dont la cécité est emblématique de son attitude comme des gens de pouvoir. La fulgurante scène finale tourne une page nouvelle et augure d'un besoin de vivre autrement; dans la pleine maîtrise de son devenir. L'Afrique n'a-t-elle pas besoin d'un pardon et d'un oubli tous deux inventifs pour éviter d'être continuellement "l'Afrique des fiers guerriers" ?

Dieudonné Motchosso KODOLAKINA (Togo)

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