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Une science-fiction à l'africaine bien saignante
Les Saignantes, de Jean-Pierre Békolo (Cameroun)
critique
rédigé par Yacouba Sangaré
publié le 20/03/2007

Le troisième long métrage du Camerounais Jean-Pierre Békolo est décapant et audacieux. Majolie, jeune femme ailée dans une nudité à réveiller le désir de tout septuagénaire, s'accouple avec un dignitaire de la république. Les ébats sont intenses, surréalistes. La caméra glisse sur le corps de la jeune femme et s'offre même un gros plan sur les parties les plus intimes de ce corps. Les Saignantes use volontairement de l'érotisme pour dérouler l'histoire de deux jeunes filles prisonnières de la boulimie sexuelle des dignitaires du pouvoir.

Le film débute en 2025, quelque part au Cameroun, dans une contrée africaine plongée dans l'obscurité. La partie de plaisir entre Majolie et le vieil homme tourne vite au drame. Le coeur du vieil homme lâche. Il meurt en pleine extase… À partir de ce "fait divers", Jean-Pierre Békolo déroule l'histoire de son film dont le récit est d'une subtile complexité qui prend les allures du cinéma fantastique. Le réalisateur enferme Majolie et Chouchou, les deux fameuses Saignantes, dans un labyrinthe d'où elles cherchent à sortir, au prix de leur corps et de leurs fesses. Dans ce dédale, le spectateur est lui aussi piégé. Jean-Pierre Bekolo le taraude par des questions affichées sur un panneau, à la manière du cinéma muet: "Comment faire un film d'anticipation dans un pays d'avenir ?" "Comment faire un film policier dans un pays où on ne peut pas enquêter ?" "Comment faire un film dans une situation impossible ?" À toutes ces questions, Jean-Pierre Békolo laisse la réponse au spectateur. Les Saignantes fait cohabiter humour noir et gravité. Il n'est pas un film foncièrement pessimiste. Même s'il peint par moments, à travers un jeu d'ombre et de lumière, une société sans repère où "les parents se comportent comme s'ils n'avaient pas d'enfants et les enfants comme s'ils n'avaient pas de parents".

Jean-Pierre Bekolo défriche des pistes de réflexion pour une sortie de l'enfer dans une société où aucune perspective, du moins concrète, n'est visible. Le réalisateur innove. Il enchaîne, sous une musique enivrante, de beaux plans dont le montage, constitué de ralentis, rappelle ceux des blockbusters hollywoodiens tel Matrix.

Les Saignantes, est également un film éminemment politique qui accuse de manière habile les gouvernants africains d'être les responsables des dérives d'un continent. Le réalisateur camerounais Jean-Pierre Békolo signe une satire aigre-douce de la société africaine d'aujourd'hui et surtout de demain.

Yacouba Sangaré (Côte d'Ivoire)

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