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La passion de Père Christopher
Shooting Dogs, de Michael CATON-JONES (Royaume-Uni)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 05/04/2007

Michael Caton-Jones aurait voulu s'ériger en avocat défenseur de l'action de l'Église catholique durant le génocide rwandais de 1994 qu'il n'aurait pas fait mieux ! Son film Shooting Dogs peut être perçu comme un film commandé et commandité par cette Église, tant il ferraille dur pour la dédouaner de ces tristes événements. Pour ce faire, qui plus qu'un prêtre, Christopher, aurait mieux porté cette croix, à l'image de Jésus Christ sacrifié pour la rédemption de l'humanité ?

Parmi les complicités actives et/ou passives du génocide rwandais de 1994, figurent en bonne place, entre autres, l'Organisation des Nations Unies et l'Église catholique présente en cette partie de l'Afrique. Des ecclésiastiques n'ont-ils pas été condamnés à la suite de procès retentissants chargés de faire la lumière sur cette tragédie ?

Après Hôtel Rwanda de Terry George, Shooting Dogs vient en rajouter à la mystification de la vérité historique sur ce drame. N'existe-t-il pas des ressemblances troublantes entre les deux films ? C'est à se demander si les réalisateurs britanniques ne perçoivent pas le drame rwandais par le bout d'une même lorgnette. Certes ce sont deux fictions du réel puisant aux mêmes sources, mais Sometimes in April de Raoul Peck qui puise lui aussi dans ces sources-là n'est-il pas beaucoup plus intelligemment tourné, et surtout plus conforme à la réalité ? L'on nous dira qu'il y a eu des actions isolées positives lors de ces douloureux événements, telle que celle mise en scène ici par Michael Caton-Jones, et que ce sont ces détails-là qui font l'histoire, soit ! Mais l'on ne peut s'empêcher de rétorquer qu'il n'y a de science que du général. Et l'histoire en est une. Tout au moins lorsqu'elle s'intéresse à une partie de la vie des hommes connue par des documents, à des événements ayant marqué une période de la vie de ces hommes, ou tout simplement lorsqu'elle se penche sur le passé.

Comme Terry George, Caton-Jones filme (certainement) l'un des détails du génocide rwandais, comme un grand spectacle. Avec les méthodes oscarisantes dignes du cinéma hollywoodien, il en met plein la vue au spectateur et l'empêche de réfléchir, de prendre du recul par rapport au film. Plus que Hôtel Rwanda cependant, Shooting Dogs frappe davantage l'émotivité du spectateur. Je l'ai regardé avec mes deux filles. L'aînée, 25 ans, tétanisée dès le récit de l'assassinat du bébé qu'on tenait par les pieds et dont on cognait la tête contre un arbre jusqu'à ce que mort s'en suive, n'a dit mot jusqu'à la fin du film. La cadette, 21 ans, ne pouvant plus supporter l'horreur parfois montrée, et souvent suggérée, est sortie pendant la scène de l'assassinat, à la machette, d'Eda et de son bébé. "Je ne peux pas oublier son regard", a-t-elle affirmée, lorsqu'elle est revenue au film. À la fin, les deux avaient les yeux embués de larmes.

Dès l'ouverture du film, l'on peut lire que pendant 30 ans, le gouvernement majoritaire hutu a persécuté la minorité tutsie. Que sous la pression occidentale, le président hutu, Juvénal Habyarimana, a accepté de signer des accords de partage de pouvoir avec les Tutsis. Que les Nations unies ont déployé une petite unité de soldats autour de Kigali pour préserver la relative paix. Rentrant chez lui après ces accords d'Arusha, le président Habyarimana trouve la mort dans l'accident de son avion abattu par un missile. C'est la goutte d'eau qui fera déborder le vase d'une barbarie visiblement programmée de longue date. Barbarie dans laquelle les Tutsis et quelques Hutus modérés vont être systématiquement massacrés à la machette, à la hache ou au fusil par des extrémistes hutus. Le décor ainsi planté, Michael Caton-Jones va en sourdre un individu, Père Christopher, brillamment interprété par John Hurt. N'oublions pas que Christophe (Christopher en anglais), est celui-là même qui, dans la légende, porta Jésus sur ses épaules pour lui faire traverser une rivière. Jésus étant, est-il besoin de le rappeler, celui qui a porté la croix des péchés des hommes, jusqu'au sacrifice suprême. Par transition donc… Aux côtés de Christopher, un certain Joe (prononcé Jo dans le film, et pouvant donc être entendu comme diminutif de Joseph), joué par Hugh Dancy, qui n'est pas totalement indifférent au "béguin" que Marie (Claire-Hope Ashitey), une sympathique Tutsie, a pour lui. Joe et Marie ne nous rapprochent-ils pas ainsi des temps bibliques ? Joe est enseignant à l'école de Christopher où les forces de l'Onu ont établi leur camp. Cette école va très vite devenir une espèce de jardin d'Eden où sont recueillis tous ceux qui fuient la mort. Du moins tant que les forces de l'Onu y séjournent. C'est le lieu que choisit Caton-Jones pour établir les responsabilités entre l'Onu et l'Église catholique concernant ce drame. L'Église apparaissant ici comme le dernier dépositaire d'un humanisme ayant déserté depuis longtemps les rangs de l'organisation mondiale. Homme à tout faire, Christopher accouche les femmes, soigne les malades, dit la messe, baptise les catéchumènes, etc. Au contraire des soldats de l'Onu, dont l'inertie et la mauvaise volonté sont manifestes à suffisance, ce qui a pour conséquence de mettre en exergue l'action essentiellement positive de ce prêtre, et partant celle de l'Église catholique au Rwanda pendant les massacres. Il porte tant et si bien sa croix qu'à l'image du Christ lui-même demandant à son Père pourquoi il l'a abandonné, Christopher, dépassé, dira un moment à Joe : "La seule chose que nous ayons toujours réussi à conserver, c'est l'espérance… Aujourd'hui, je crois que nous l'avons perdue… Je crois qu'il est grand temps de faire nos valises". Puis, se ravisant qu'il doit boire son calice jusqu'à la lie, il accomplit sa mission jusqu'au sacrifice suprême. Après avoir reçu une balle du pharmacien envers qui il n'éprouvait pourtant que de l'amour, il tombe, les bras en croix, face contre terre, démontrant de cette manière son attachement (et partant celui de l'Eglise) à cette terre du Rwanda qu'il a si bien servie. Ce pharmacien, Julius, comme le jardinier François, est devenu un loup pour ses semblables, sous la pulsion de la haine. Comment des êtres normalement constitués peuvent-ils aussi facilement basculer, au point de passer allègrement du stade d'ange à celui de démon, de bêtes, qui d'ailleurs ne tuent que pour se défendre ou pour se nourrir ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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