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Droit dans les yeux
Clando, de Jean-Marie TENO (Cameroun)
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 05/04/2007

Le titre du film est le diminutif de "Clandestin", précisément "taxi clandestin"… cette activité qui se développe dans toutes les capitales africaines. Elle consiste à faire le taxi sans signalétique, sans autorisation officielle, donc sans taxes, avec des marges bénéficiaires plus importantes que les "réguliers".

Après quatorze ans dans le documentaire, dont deux longs métrages, le cinéaste camerounais Jean-Marie Teno signe ici son premier long métrage de fiction. Plusieurs intrigues s'y mêlent sans s'entremêler, sauf une regrettable scène de meurtre qui encombre plus le film qu'elle ne l'aide. Le scénario est bien ficelé et la mise en scène d'une qualité irréprochable.

On pourrait reprocher à Teno de parler de beaucoup de choses à la fois. Lutte pour la liberté d'expression, torture, détention illégale, meurtre, expatriation, travail illégal, la vie en Europe, la rencontre des cultures, la nécessaire solidarité, sont autant de sujets abordés. Mais Clando ce n'est pas que ça, c'est plus que ça. C'est à l'image du continent noir qui fait face à plusieurs obstacles (endogènes et exogènes) à la fois. Le cinéaste nous raconte à travers Sobgui – clando avec son break bleu à Douala, informaticien enlevé et torturé par la police pour avoir dupliqué des tracts, dont le couple bat de l'aile, qui émigre en Allemagne – une histoire universelle : il faut parfois très loin pour se (re)trouver.

Et puis il faudrait éviter de mélanger les rôles : les reproches c'est Jean-Marie Teno qui les fait, et ils sont lourds. Le plus lourd c'est la complicité du silence : les dictatures se nourrissent de la peur des populations qui finissent ainsi par porter un uniforme dans leur cerveau. L'uniforme justement ne peut et ne doit être un refuge pour s'empêcher de réfléchir, à l'image des policiers brutaux du film.

Le réalisateur camerounais est connu pour ne pas être un cinéaste de compromis. Dans un pays fort peu démocratique, il a le courage de ses opinions, et qui met nos regards pudiques et tentés par l'hypocrisie (devant la désespérante spirale du mal développement en Afrique) en face des trous. Teno a confié à Fatou Kandé dans une interview parue dans le numéro 9/10 de la revue Écrans d'Afrique / African Screens : "Il est grand temps que l'on accepte que les cinéastes dérangent les gens dans l'espoir de les faire changer." En réussissant à faire un tel film au Cameroun, le cinéaste finit à son insu par servir la dictature au pouvoir : puisque le spectateur lambda pour se dire à un moment ou à un autre que s'il a pu réaliser Clando chez lui, c'est que le régime n'est pas si féroce. Oumar Bongo, président du Gabon, va plus loin puisque si Jean-Marie Teno n'est pas subventionné et diffusé par la télévision nationale, des films gabonais critiques sur la politique sont produits par la CENACI (Centre National de la Cinématographie, Libreville).

Le film nous rappelle qu'il existe en Afrique des démocraties usurpées et des dictatures camouflées ; ainsi dans Afrique je te plumerai ! (1992) déjà, Téno traduisait la dictature qui sévit au Cameroun depuis Ahidjo (dépassé par son élève Paul Biya, président depuis le 06 novembre 1982 et officiellement jusqu'en 2011, après avoir été dès 1961 dans le cercle du pouvoir comme chargé de mission du président Amadou Ahidjo).

Jean-Marie Teno dépasse le clivage entre le cinéma ethnologique et son contraire, en, nous faisant partager la leçon du chasseur (une histoire ancienne qui est toujours actuelle) : "La honte, ce n'est pas de rentrer bredouille de la chasse, mais bien de coucher à la belle étoile sans dignité loin des siens, alors qu'un toit et des cœurs attendent".

La scène où Irène (Caroline Redl) et Sobgui (Paulin Fodouop) dansent et s'apprivoisent, reflète la grande maîtrise de la mise en scène du documentariste camerounais qui ficelle ici une réalisation solide et sensible.

Thierno I. DIA

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