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Variations sur un monde en déshérence
36ième session du Festival international du film de Rotterdam
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 30/04/2007

C'est sur cette question qui ne manque pas de provocation qu'a commencé la 36 ième édition du festival international du film de Rotterdam. Le Daily tiger principal quotidien du festival a consacré la manchette de son numéro zéro à la question de l'utilité aujourd'hui et de la fin possible des festivals de cinéma et à celle annoncée de Rotterdam. Non pas par faute de moyens, le problème ne se posant pas en ces termes, mais en raison de la multiplication de possibilités de voir les films ailleurs que dans des salles. La diffusion des films via le net, le piratage et le privilège dont ont joui 800 élus en recevant chez eux à travers un canal numérique payant une sélection de films programmés à Rotterdam sans avoir à faire le déplacement, interpellent quant à l'avenir des festivals du moins dans leur formule actuelle.
Et c'est non sans humour que le festival a consacré cette année une section où est célébrée sa propre fin. "Happy endings" ("Fins heureuses"), point de films programmés dans des salles dans cette section, mais un tournoi de football opposant des équipes de réalisateurs et de professionnels du cinéma préfigurant un avenir proche (?) où, ayant vu tous les films programmés dans un festival hors festival, on jouera au foot pour meubler le temps libre, une librairie vidéo comprenant 300 films digitalisées et directement accessibles pour les invités du festival, professionnels et critiques qui auront toute la latitude d'opérer des sondes dans le programme du festival à partir de leur poste d'ordinateur, un marché de DVD où les réalisateurs viendront vendre directement leurs films à d'éventuels distributeurs.
Humour noir ou provocation, il n'en demeure pas moins que la formule actuelle des festivals et surtout d'un festival comme Rotterdam censé être une vitrine pour le cinéma "minoritaire", cinéma des sans voix, des sans terre, cinéma des pauvres, cinéma alternatif, underground, expérimental est remise en question.
Pour les puristes, ce devenir catastrophe est de l'ordre de l'impensable, les festivals étant par excellence un lieu de partage, de solitude dans la communauté, de rencontres, d'échanges de découvertes surtout, les tuyaux des dernières minutes glanés au détour d'une conversation avec un collègue ou une collègue dans une file d'attente, la possibilité de rencontrer des réalisateurs, de partager l'amour ou la haine suscités par un film. Tout ceci reste l'apanage d'un festival comme Rotterdam, convivial et sans chichi. Seul un festival peut procurer cette ivresse qui nous prend après dix ou douze heurs par jour, passés à regarder des films dans d'excellentes conditions de projection, à partager ce plaisir avec un public cinéphile et respectueux de la sacralité d'une salle de cinéma. Seul un festival a cette faculté de changer notre manière de percevoir le monde un et multiple, à expérimenter à la fois l'altérité et l'universalité de la condition humaine sous toute les latitudes.
La fin des festivals sonnerait le glas du cinéma, du cinéma tel qu'on l'a connu, tel qu'on l'a aimé : un film une salle, des spectateurs pour lui substituer une consommation solitaire d'images dans le confort domestique du foyer. Triste destinée pour un grand art.
Nous n'en sommes encore qu'au stade d'hypothèses légitimement soulevées par un festival dont le goût pour la provocation constitue une des marques de fabrique. Espérons que le futur apportera un démenti aux prévisions de l'oracle.
Le ciel (très clément cette année, faut-il s'en réjouir ?) de Rotterdam s'est assombri par la nouvelle de coupes sévères effectuées dans le budget du fonds Hubert Bals, un des principaux fonds européens d'aide au cinéma des pays en développement. En 19 ans d'existence, le fonds Hubert Bals (du nom du fondateur du festival de Rotterdam) aura co-produit et contribué à la distribution de 400 films du Sud. Pour l'édition 2007, 20 films aidés par ce fonds étaient programmés. Doté d'un budget de 1,2 millions d'euros, dont 50 % sur fonds publics, il est confronté aujourd'hui à des coupes drastiques dans le budget du ministère des affaires étrangères néerlandais qui en menacent le devenir d'ici deux ans.
Sandra Den Hamer, directrice du festival, n'a pas manqué d'apostropher le ministre néerlandais des affaires étrangères à ce sujet lors de son allocution d'ouverture en soulignant la centralité de ce fonds pour la promotion des expressions culturelles dans le pays du Sud, et su des échanges culturels avec le sud. Cela, pour le contexte plutôt sombre.

Concernant les films proprement dits

Lors de la 36ème édition du festival de Rotterdam une coupe transversale, nécessairement partielle et partiale, confirme certaines tendances qui ont commencé à s'esquisser depuis quelques années :

1- La centralité du cinéma asiatique
Une extension de la carte est en train de redessiner une nouvelle géographie du cinéma. Au Japon et à la Corée du sud désormais grande nation de cinéma, auxquels viendrait s'ajouter la Chine et la Thaïlande aujourd'hui grand pourvoyeur de films pour les festivals, il faudrait aujourd'hui adjoindre des cinématographies jusque là confidentielles et auxquelles Rotterdam fidèle à son rôle de précurseur a rendu hommage ; les cinémas indonésien, malaisien philippin.
La catégorie "cinéma asiatique" est nécessairement réductrice de la complexité, de la diversité, de la richesse de cinématographies inscrites dans de contextes politiques historiques économiques et sociaux radicalement différents. La taxinomie demeure néanmoins utile pour essayer d'esquisser les contours d'une production aussi complexe.
Du côté du cinéma d'auteur, Jia Zhang ke, Tsai ming liang, et Apichatpong Weerasthakul nous ont gratifié de trois grands films (respectivement Still life, I don'want to sleep alone et Syndromes of a century). S'il fallait chercher un dénominateur commun entre ces cinéastes, ce serait dans une esthétique qui rend possible le déploiement de temporalités autres ; les cadres vides, les longs plans séquences, l'économie dans le jeu et dans les dialogues, dans une narration moins linéaires, affranchies des contingences de l'efficacité narrative, qui se remet constamment en question et qui se refuse à toute clôture. Enfin l'universalité d'un propos qui tire paradoxalement sa force de son "hyperlocalisme". Love conquers all (de Tan Chui Mui), film malaisien vainqueur de la compétition "tiger awards" s'inscrit de plein pied dans le sillage de ces grands auteurs.

2- La réhabilitation du cinéma de genre
Mais l'Asie est aussi la terre du cinéma de genre et Rotterdam une tendance observée depuis quelques années dans les grands festivals ; la réhabilitation du cinéma de genre, le genre perverti, travesti, parodié, subverti, le genre prétexte à une réflexion plus ample sur l'homme, la société l'état du monde. Le gros plan consacré à l'œuvre de Johnny To maître de l'action de Hong-Kong et la section "Rotterdammerung" entièrement dédiée à un cinéma qui trahirait le genre tout en y inscrivant en apparence constituent la meilleure preuve de la redécouverte des potentialités du cinéma de genre.






3- La vigueur du documentaire
Le caractère indispensable du documentaire pour témoigner des injustices de ce monde avec une section" images of a région" consacrée à des regards croisés israélo-palestiniens sur l'abjection de l'occupation dans les territoires occupés.

4- Un vent de fraîcheur et de changement
qui souffle sur le cinéma le cinéma maghrébin avec trois jeunes cinéastes, trois regards prometteurs de lendemains meilleurs pour le cinéma de la région.

Ikbel ZALILA

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