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Les tueurs de l'ombre
Les silences du cœur, de Narcisse Mbarga (Cameroun)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 07/05/2007

Narcisse Mbarga a certainement voulu choquer le spectateur par une séquence d'avortement interminablement filmée ! Sa dernière réalisation, Les silences du cœur, est un film qui touche au… cœur, tant il est poignant.

L'avortement est un crime passible d'une peine d'emprisonnement ferme au Cameroun. Malgré cela, la rubrique des faits divers des journaux écrits, parlés et télévisés ne tarit pas, de jour en jour, de révélations de cas de fœtus ou de nouveau-nés morts et jetés dans des bacs à ordures ou dans des fosses d'aisance. Et le phénomène prend de l'ampleur, sans que les autorités politiques ou gouvernementales s'en émeuvent outre mesure. Des silences complices entourent donc cette espèce de crime organisé, silences couvant au passage des responsabilités situées à divers niveaux. C'est pour briser ces silences que Mbarga, usant de sensationnalisme et de sentimentalisme juvénile, vient introduire sa caméra dans ce sujet vraisemblablement tabou. Pour attirer l'attention. Pour créer l'émotion.

À partir "des fragments de témoignages des habitants du quartier Nsimeyong à Yaoundé", Narcisse Mbarga retrace la trajectoire de l'un de ces assassinats. "Pour la seule année 2004, 23 nouveau-nés ont été tués au Cameroun", peut-on lire sur la pochette de son CD vidéo vendu en promotion avant la sortie du film en salle. Comment en arrive-t-on là ?

Julie (Suzanne Ayuck) sur qui s'ouvre ce moyen métrage, est une adolescente en pleine découverte de son corps. Voulant visiblement s'identifier à un mannequin posant pour des dessous féminins, elle vit dans une chambre où règne un désordre propre aux jeunes de son âge, signe manifeste de leur insouciance. Ce désordre-là ou cette insouciance se répercuteront sur sa relation amoureuse avec une sorte de gigolo, Bolingo (Valéry Ndongo), à qui elle obéit au doigt et à l'œil. Ne se donne-t-elle pas alors à lui sans préservatif et sans respect de son calendrier menstruel ? La conséquence en pareil cas est inéluctable.

Si les deux adolescents, Julie et Bolingo, sont les premiers responsables de cette inconduite, ils ne sont pas les seuls. Pour la mère, c'est la faute aux loisirs de sa fille, loisirs constitués de romans-photos, de films pornographiques, etc. Le réalisateur ne voudrait-il pas par-là attirer l'attention des parents sur les lectures de leurs enfants ? Pourtant, elle-même a démissionné de ses responsabilités, tout simplement parce que sa fille lui reprochait de la couver comme une mère poule. Il faut donc peut-être un peu plus de présence des parents autour de leurs enfants. Ce qui n'est pas l'apanage du père, dont le comportement agressif et brutal n'ouvre la voie à aucune possibilité de dialogue. Outré, il jettera sa fille dehors comme une malpropre, simplement parce qu'elle est enceinte. Cet acte d'intolérance aura pour conséquence de la livrer aux mains (au propre comme au figuré) d'une amie, Emilie (Sharone Mbarga), dont l'aide et la solidarité n'auront pour unique but que de la débarrasser de ce "truc", de cette "petite chose".

À six mois de grossesse, elle la conduira d'abord chez un médecin de fortune cupide, vicieux et avide de chair, à défaut de cash. Puis, chez une avorteuse traditionnelle, dont les usages sont à rapprocher de ceux d'un boucher de campagne. Il y a donc en amont de cette trajectoire, des responsabilités morales, criminelles et civiles. Mais, celles situées en aval paraissent les plus décisives. Combinées, elles ont pour résultantes la peur, la honte, l'incapacité à assumer, toutes choses qui font le lit de l'irréparable.

Le film de Narcisse Mbarga est un cri du cœur. Est-ce en tant que tel qu'il ne s'embarrasse pas de fioritures, encore moins de fantaisies tant sur le plan de la forme que du fond, pour traiter d'un sujet aussi grave ? C'est certainement l'une de ses plus grandes faiblesses. Mieux travaillé que ses précédentes réalisations, il comporte encore cependant le formatage d'un apprentissage acquis à l'école. Le réalisateur devrait s'en détacher, pour imprimer sa marque à ses œuvres. Par ailleurs, le jeu des acteurs est puéril, et certaines séquences, à l'image de celle de la tentative de séduction d'une enfant par le père de Julie (Joseph Mouetcho), semblent de trop, parce que n'apportant presque rien à l'évolution dramatique du film. Mais, comme tout cri du cœur, Les silences du cœur se laisse écouter. Son plus grand mérite étant de secouer le spectateur.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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