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Une histoire d'enfant soldat
Ezra, de Newton Aduaka (Nigéria)
critique
rédigé par Ludovic O. Kibora
publié le 07/05/2007

Le film du Nigérian Newton Aduaka est l'histoire d'Ezra comme son titre l'indique, happé dès le jeune âge par une horde de rebelles sierra léonais. Il a subi les affres de l'endoctrinement à outrance et a vécu la guerre dans son expression la plus cruelle. Sous l'emprise d'hallucinogènes, Ezra et sa bande de soldats fous, attaquent trois villages dont le sien, pour couper les mains des pauvres habitants, qui doivent voter lors de élections organisées par le pouvoir que ces rebelles combattent. Ezra s'acharne contre les siens et est surpris par un témoin pour la vie, qui n'est autre que sa propre sœur. Difficile sera le réveil et la réconciliation quand reviendra l'accalmie. La vérité peut-elle être une source expiatoire de la douleur subie ? La confession du bourreau devant ses victimes suffit-elle à allumer la flamme de la paix et de la tolérance sociale. La renaissance du criminel (fut-il inconscient au moment de l'acte) est-elle possible après l'aveu accepté par la société ? Ce sont là autant de difficiles interrogations qui se bousculent dans la conscience, à la vue de ce long métrage, auxquelles tentent de répondre le réalisateur Nigérian.
Newton Aduaka, qui s'était déjà signalé positivement dans les arènes de nombreux festivals avec le film Rage, peint à travers l'histoire d'un enfant soldat malgré lui, le tableau d'une commission vérité et réconciliation, chemin indispensable pour renouer avec le pardon de la reconstruction. De façon méthodique, sa camera pénètre dans la psychologie d'un Ezra au regard très expressif. Ce bonhomme qui vacille entre crise psychologique et passion amoureuse, nous entraîne dans la jungle de la transformation de jeunes gens, obligés d'être adultes avant l'âge, pour assouvir la folie des hommes. Trafic d'armes, de diamants et de drogue, intervention tardive de l'ONU, l'univers des guerres de fractions en Afrique est mis à nu, par le regard perspicace d'une caméra qui amène le spectateur à prendre place dans l'intrigue. Une lumière tamisée qui présente les séquences fréquentes de nuit sans en dénaturer l'atmosphère oppressante, amène le spectateur à partager l'angoisse de la jungle.
La réconciliation avec soi-même et surtout avec sa sœur, nécessite beaucoup de sacrifices. Difficile chemin de croix que le personnage de Newton doit emprunter avec le soutien d'une communauté partagée entre le désir de vengeance et celui de tourner une page qui n'a été que trop ensanglantée. Le réalisateur ne manque pas toutefois de présenter le Nigeria en pays d'espoir et l'ECOMOG en libérateur propre. La réalité n'a pas été aussi simple que cela dans cet imbroglio sierra léonais ou la sortie du bourbier est devenue une question d'honneur pour ce géant d'Afrique de l'Ouest et un ECOMOG qui a assisté pendant longtemps impuissant aux ballets de seigneurs de guerre. Univers d'influences extérieurs divers, le film raconte une histoire dans l'autre (Ezra amnésique et Ezra réel) avec un montage parfait des séquences, propre à tromper même les plus futés cinéphiles. La vie contée de Ezra et celle qui se vit sous la caméra se confondent intelligemment par endroits grâce à des techniques de montage et de succession de séquences bien maîtrisées. Et puis, à l'issue de l'expression de la parole libératrice, le réalisateur arrête avec justesse sa narration, sans affirmer que la direction indiquée est la meilleure. Après que les chemins de Ezra et de sa sœur se soient croisés, la possible rédemption sociale des êtres tourmentés par des années de guerre est montrée, sous un autre angle. Toutes choses qui animent la méditation sur le sort des enfants devenus adultes trop tôt et qui n'ont eu pour tout jouets que de véritables engins de mort.
Newton Aduaka, jeune réalisateur nigérian de 40 ans, vivant à Paris, a connu la guerre civile biafraise qui a marqué sa tendre enfance. Ce sont autant de marques de sa vie qui l'ont conduit à réaliser une œuvre qui est un condensé de rigueur, en partant du casting des acteurs, aux moyens techniques mobilisés. En lui décernant l'étalon d'or de Yennenga, le jury du FESPACO 2007 récompense un talent et attire les regards sur un problème très actuel.

Ludovic Kibora

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