AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 004 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Cinéma d'auteur et critique cinématographique. Essai de synthèse
Dossier Africiné N°4 : Cinéma populaire / cinéma d'auteur
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 24/05/2007

"On échoue toujours à parler de ce que l'on aime"
Roland Barthes

La notion d'auteur est l'une des notions les plus problématiques ; davantage encore quand elle est transposée dans le champ théorique du cinéma. Il faut bien préciser, en effet, qu'il s'agit d'un concept "importé", venu de l'extérieur du champ cinématographique. "Auteur" émane d'une autre sphère, celle de la littérature et du théâtre. Le concept a été utilisé/emprunté dans le sillage de la campagne menée à un certain moment de l'histoire du cinéma par des défenseurs du nouveau mode d'expression dans le but de combler ce qui leur semblait relever d'un déficit de légitimité culturelle. En parlant du cinéaste comme auteur, on emprunte le métalangage de la littérature pour permettre au cinéma d'accéder ainsi au statut des formes consacrées par la tradition culturelle : le roman, le théâtre…
La notion d'auteur est certainement aussi l'une des plus opératoires en termes de production de discours. Elle a favorisé des débats et des polémiques ; elle a permis de défendre une façon de faire le cinéma, de parler le cinéma qui a marqué toute une époque.
Opératoire donc pendant longtemps, mais la notion est-elle toujours opérationnelle pour aborder la nouvelle réalité du cinéma dans sa triple dimension géographique, économique et technique ?
Peut-être que l'arrivée des nouvelles technologies de tournage autour et à partir de la révolution numérique va-t-elle donner à la notion d'auteur une nouvelle définition, pratiquement au sens où l'on parle de définition pour les images. L'élasticité sémantique d'origine va connaître avec les caméras DV et les outils de montage à domicile une nouvelle extension allant dans le sens de retrouver la notion d'auteur tomber non seulement dans le domaine publique mais relever pratiquement de la sphère privée puisque quelque part nous serons tous des auteurs de films, à partir du film familial, du caméscope. Déjà la télévision a anticipé cette nouvelle réalité avec les appels d'offre aux images privées dont certaines jouissent d'une nouvelle légitimité en accédant au statut de news dans le cadre du J.T sous le sigle "images d'amateur" : images de catastrophes, de faits divers… "Volées" à partir d'un point de vue, appelons-le faute de mieux, domestique.
Un bouleversement de nature historique qui arrive au moment même où la notion manque de sens définitivement stabilisé. Qui est l'auteur du film ? La question semblerait incongrue du point de vue d'une tradition cinéphilique qui place le réalisateur au coeur du dispositif cinématographique. C'est la tradition de la politique des auteurs consacrée en France par exemple par Les Cahiers du cinéma et qui a constitué l'un des leviers théoriques ayant favorisé l'émergence de La Nouvelle vague.
François Truffaut écrivait déjà que "la question de savoir qui est le véritable auteur d'un film ne se pose pas d'une façon impérieuse : il y a des films de metteurs en scène, des films de scénaristes, des films d'opérateurs, des films de vedettes. Dans l'absolu, on peut considérer que l'auteur d'un film est le metteur en scène, et lui seul, même s'il n'a pas écrit une ligne de scénario, s'il n'a pas dirigé les acteurs et s'il n'a pas choisi les angles de prises de vues ; bon ou mauvais, un film ressemble toujours à celui qui en signe la réalisation". Truffaut revendique le concept de " caméra-stylo " d'Alexandre Astruc. Au même titre qu'un écrivain, le cinéaste se doit d'exprimer un point de vue personnel : "Le film de demain m'apparaît donc plus personnel encore qu'un roman, individuel et autobiographique comme une confession ou comme un journal intime. (…) Le film de demain sera un acte d'amour."
Cela va se traduire par un vrai programme, au sens politique du mot ; puisqu'il s'agira de l'acte de naissance de la politique des auteurs. Quels sont les grands principes qui permettaient de s'inscrire dans cette perspective ? Une rapide rétrospective est utile non seulement pour nous rafraîchir la mémoire en termes de concepts et de pratiques mais aussi pour nous aider à cerner la problématique aujourd'hui et à la circonscrire

1) D'abord dans le sillage de la citation de Truffaut, un cinéma d'auteur revendique l'expression "d'univers personnel". Il s'inscrit dans la logique de dire par les images, de filmer l'univers du moi. En se référant à la théorie du fonction du langage de Jakobson, nous sommes ici au niveau de la fonction expressive, celle qui se situe du côté du "je", à gauche du célèbre axe communicatif. De là à parler du cinéma de l'autobiographie il n'y a qu'un pas que plusieurs cinéastes n'ont pas hésité à franchir. La référence demeure encore une fois Truffaut avec en particulier les 400 coups. Godard filme la femme qu'il aime (Anna Karina) dans Le Petit Soldat, Une femme est une femme, Vivre sa vie, Pierrot le fou… Rivette et Rohmer filment un lieu qu'ils connaissent bien : Paris, respectivement dans Paris nous appartient et Le Signe du Lion. Chabrol s'installe dans le village de son adolescence dans Le Beau Serge, Demy filme Nantes, sa ville natale, dans Lola.
Mais nous disposons déjà d'un critère qui peut nous aider à dégager un auteur du sud, je pense à Chahine dont la dimension autobiographique a déterminé une partie essentielle de sa filmographie (voir Alexandrie - New York son film qui est venu compléter sa trilogie ouverte par Hadouta misrya).

2) Ce retour sur des milieux que l'on connaît bien s'explique par le refus de l'artifice et le souci de l'authenticité. La part documentaire est très forte. D'ailleurs c'est un cinéma qui joue délibérément sur une confusion fiction / documentaire à travers plusieurs niveaux de la réalisation, à commencer par le recours aux décors réels, une nouvelle conception du casting avec une ouverture sur de nouveaux visages voire le recours aux non professionnels et l'utilisation, le cas échéant, en contre emploi des noms confirmés. J.-L. Goddard parle du film comme documentaire sur les comédiens. J'aimerai aussi citer un nom qui a lancé cette voie c'est Jean Rouch (que nous venons de perdre il y a quelques mois). Un autre paramètre mobilisé au service de la quête de l'authenticité par les auteurs, les dialogues : capter des images réels se traduit aussi par le recours au parler des gens. Un film marocain de la fin des années 70 est une illustration pratique de ce programme, je pense en effet à Al Yam, Al Yam (Ô les jours) de Maanouni.

3) Autre aspect important, on n'écrit plus les films de la même manière. Le cinéma d'auteur s'est forgé une dramaturgie spécifique qui dynamite le schéma classique de l'intérieur, le déconstruit à travers une intrigue minimale (il s'agit souvent de sujet relevant de l'intime, ou du micro social…) ; une logique spatio-temporelle neutralisant la transparence du récit canonique : dilatation du plan ; ellipse ; montage intellectuel (la référence aujourd'hui, c'est tout le nouveau cinéma iranien)…

4) Je peux ajouter également que c'est un cinéma qui joue beaucoup sur l'intertextualité : un film d'auteur offre un plaisir au cinéphile, celui de partir à la recherche des clins d'œil et des citations filmiques y compris ce qui relève de l'autocitation. Des cinéastes aiment renvoyer à des images ou à des figures itératives ; on peut parler de figures obsessionnelles…

5) C'est enfin un cinéma de point de vue, qui témoigne sur une réalité, une époque donnée. "Le travelling est affaire de morale", Godard de nouveau.

Je conclurai ce rapide détour théorique par citer un autre grand cinéaste, issu d'une autre tradition cinéphilique, italienne cette fois, qui exprime, à partir de son expérience, cette revendication d'expression personnelle par la caméra : "c'est en voyant Rossellini au travail que j'ai cru découvrir pour la première fois qu'il était possible de faire du cinéma dans le même rapport intime, direct immédiat avec lequel un écrivain écrit ou un peintre peint".


Globalement on peut dire que l'auteur dans la littérature théorique du cinéma est une catégorie historiquement datée : elle relève d'un contexte précis aussi bien politique, économique, sociologique, qu'institutionnel. Elle est portée par une tradition ; favorisée par un environnement : c'est une catégorie qui a émergé par rapport à une autre réalité : le cinéma hollywoodien classique pour les auteurs américains de Lang à Hitchcock en passant par Orson Welles et Ford, le cinéma de la qualité française pour les cinéastes de la Nouvelle vague ; le cinéma des téléphones roses pour le néoréalisme italien ; elle s'est déterminée alors comme une réalité économique et comme un choix esthétique.
La question se présente autrement quand il s'agit d'aborder les cinémas dits du sud. Transposer la notion du cinéma d'auteur ne va pas sans grands risques théoriques. Nous sommes en effet dans une logique de transfert qui en rappelle d'autres : le transfert technologique notamment qui ne cesse de susciter des interrogations culturelles. Parler d'auteur soulève non seulement des questions où se croisent l'économique, le technique mais aussi l'anthropologique et le culturel : comment parler d'auteur, donc de sujet, dans des contextes prohibitifs pour l'éclosion de l'individu. Le "je" est écrasé par le "nous" ; l'individuel est souvent noyé dans le collectif, le communautaire.
Dans le cadre de sociétés traditionnelles, fermées où le sujet, l'individu, la femme, l'enfant sont réduits à des catégories anonymes, je peux dire que le cinéma a joué de catalyseur ; non seulement elle a accompagné le bouleversement des structures ancestrales, figées et dogmatiques mais elle les a favorisées et parfois galvanisés. C'est une figure dynamique de la modernité : le cinéma alors est né comme un cinéma d'auteur. Je parle du Maghreb : les premiers cinéastes, comme les premiers peintres ont réhabilité la création individuelle. L'Égypte offre un autre cas de figure : la littérature, le roman notamment, et le théâtre ont relativement balisé le terrain. Au Maghreb, le désir du cinéma a été en partie l'expression du désir de modernité et d'urbanité.
L'auteur maghrébin a été d'emblée porteur d'un projet : inscrire le cinéma dans une légitimité sociale et culturelle en racontant des histoires locales et nationales et en même temps, en inventant un langage authentique qui ne reproduit pas les canons de l'esthétique dominante, consommés à travers le cinéma de l'autre : américain et égyptien.
C'est ce que je qualifiais, dans le contexte de l'expérience marocaine, par le syntagme l'esthétique des années 70 : le désir d'émancipation par un cinéma émancipé. Le désir artistique et créatif, face au système commercial.
Mais ce projet ambitieux butait sur une réalité l'absence de production. L'ambition des auteurs fut souvent un vœu pieux. Une construction idéologique. L'absence d'une profession structurée transforme en simple velléité les intentions rhétoriques du départ.
L'Égypte offre, une fois encore, un contre-exemple : là, une production florissante a permis l'émergence d'un cinéma d'auteur original ayant forgé sa figure emblématique, et de l'ensemble du cinéma du monde arabe : Youssef Chahine.
Aujourd'hui le Maroc offre un cas typique et original. Il se caractérise par : une dynamique au niveau de la production nationale et une nouvelle rotation des films pratiquement inédite ; une régularité dans la sortie des films nationaux ; ils sont révolus où nous avions une moyenne d'un film et demi par an ! Et aussi une distribution variée et ouverte sur le cinéma international : une nouvelle réalité dopée par l'arrivée des premiers multiplexe (16 écrans dans la banlieue casablancaise et 10 écrans à Marrakech, d'autres projets sont en chantier à Tanger, rabat et Agadir…) avec comme principale conséquence la réception de certains films simultanément avec les grandes capitales européennes : pratiquement toutes les grosses productions américaines et les grandes nouveautés françaises
C'est pour dire que le critique marocain est sortie de sa période de conscience malheureuse quand elle se contentait soit de théoriser sur un hypothétique cinéma national en l'absence d'objets concrets, soit à parler des films des autres qui arrivaient au compte goutte et accentuait son sentiment de frustration. (NOTE 2)
La critique a désormais une raison d'être. Elle est au cœur du débat : comment accompagner la nouvelle réalité économique et sociale du cinéma marocain. D'autant plus que certains films ont institué un véritable mode d'emploi, au niveau thématique et narratif leur assurant un succès commercial indéniable les mettant en tête du box office. Le risque est grand de céder aux sirènes et de voir se reproduire le schéma décrit jadis par feu Christian Metz : Il y a une critique semblable à ces sociologues aliénés qui répètent sans le savoir le propos de leur société ; elle prolonge l'objet, elle l'idéalise au lieu de se retourner sur lui. Elle porte à l'état explicite la rumeur muette du film qui nous dit "Aimez-moi". Je postule pour ma part que la démarche aimante n'est pas prohibée : aimer oui, mais aimer le cinéma dans le film. C'est ce qui donne à notre débat une dimension passionnante : dans chaque film nous partons à la quête de ce qui fait son appartenance au cinéma ; ce qui fait sa singularité : "Un film qui ne présente aucune singularité, c'est-à-dire un film qui se contente de répéter est un film académique, un film qui ne se soutient que d'un système. Car c'est le propre du système de (se) répéter, et le propre de l'art de (se) singulariser". (NOTE 3)

Mohamed BAKRIM

Films liés
Artistes liés