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Du burlesque marocain
Les années de l'exil, de Nabyl LAHLOU (Maroc)
critique
rédigé par M'barek Housni
publié le 24/05/2007
M'Barek Housni
M'Barek Housni

I - Présentation
Le réalisateur signe là sa septième entreprise cinématographique. En effet il a commencé à tâter de la pellicule depuis l'année 1978, celle où il a fait sortir son premier film Al kanfoudi. C'est dire qu'il est l'un des tous premiers à en faire. Et de ce fait il s'est taillé une place bien propre à lui qui n'est guère banale. Au contraire le réalisateur est connu pour être le rebelle, le turbulent et le pourfendeur éloquent, quand il est question de défendre ses choix artistiques, filmiques et esthétiques. À savoir dire via le cinéma son "mot" en optant pour la raillerie comique et engagé, le rire qui dévoile et pique, tendance cinéaste intellectuel avec la singularité qui la sienne. Il l'a toujours été et ce film a été l'occasion de le constater une fois encore.
Mais en opérant cette fois-ci des "déplacements" significatifs, sans toutefois délaisser ses constantes cinématographiques déjà connues.

II -Les innovations
a- Le déplacement originaire : le choix de l'adaptation

Le film est une adaptation libre d'un roman de l'écrivain connu, Driss Chraibi Une enquête au pays. Libre et personnelle comme le ferait tout réalisateur ayant sa propre idée cinéma, en prévilégiant le visuel qui caractérise le septième art. Seuls les personnages dont les profils sont saisissables par le caméra et seuls les mots qui évoquent l'attrait du regard à travers des événements non moins saisissables. Le résultat donne un film qui évoque bien l'atmosphère initiale différé par la "machinerie" de l'imaginaire de N. Lahlou. Celle ci tenue par le caractère qui intègre la recherche a montré le dérisoire à partir de situations sérieuses et avec un cachet plutôt dramatique.
b- Le déplacement géographique : le choix d'un lieu autre
Conséquemment à ce qui précède, l'histoire se déroule dans un espace replacé dans la marge d'une nature inhospitalière, vers la géographie d'une vie reculée, la montagne et l'aridité. Le "pays", le bled en d'autres termes, cet autre espace où la vie est une lutte continuelle contre la disgrâce de la nature, et contre l'indifférence des autorités, souvent étrangères aux occupations des habitants. Le commissaire Mohammed et son sous fifre l'inspecteur Ali en sont une image fidèle. Le lieu à connotation amazighe ne leur sert que de passage pour mener une enquête. Mais c'était l'occasion pour le réalisateur de déplacer les lieux habituels de "filmage" à la marocaine. Un essai d'actualisation et de témoignage sur le non montré. Car cette marge n'a été considérée longtemps que comme tremplin pour exercer le pouvoir sans autre intérêt. Elle n'est que l'exil ! et nos deux héros le ressentent ainsi. En témoigne les imprécations de toutes sortes que profèrent le commissaire interprété par le réalisateur lui même.
c- Le déplacement narratif
Toujours en relation avec l'adaptation, N. Lahlou s'est contenté de narrer, de raconter et de laisser la caméra suivre les péripéties d'un scénario clair, compréhensible et palpable. Il n'y a aucunement cette tendance à la "sortie" extra-narrative ou les surcharges de dialogues, descriptions, de gratuités de plans. Le réalisateur suivant en ça la tendance générale du cinéma national actuel.
En effet les deux officiels viennent là, dans cette bourgade, pour y dénicher un prétendu "terroriste" caché quelque part. Ils suivent un tracé connu et logiquement en rapport avec les aléas et les embûches rencontrés, pour se terminer sur un fait tout aussi logique. Car le film ne cherche nullement à surprendre par les dispositions de chocs ou inattendues mais plutôt de rendre compte d'une situation d'un coin ignoré du pays à une époque donnée, à savoir crier la réalité de la vie et la décrépitude d'une population par le fait de cette vie.

III- Les constantes :
Le comique expressif

Nabyl Lahlou est connu pour être un réalisateur qui prône le rire et la moquerie comme moyens d'expression. L'origine se trouve bien sur dans son double habité par l'art de la scène. La comédie, comme art bien sur, chez lui est un choix dans l'écriture et dans l'interprétation. Les années d'exil est un film truffé de scènes à fortes doses de rire. Elles s'échelonnent le long film, collant par essence à la nature du personnage du commissaire. Que cela soit provoqué par lui ou par ses relations et altercations avec les autres et surtout avec son subalterne d'accompagnateur, lui même conçu sur la mode du souffre-douleur susceptible de faire rire à chaque acte.
L'omniprésence de l'acteur central
Se fondant sur ce qui précède, le réalisateur est acteur dominant, il s'accapare la majeure partie du film. Il est le seul à le faire au sein du cinéma marocain. Mais cette présence se sent comme obligatoire puisque le script l'exige et destiné à la faire valoir. Le résultat est l'existence d'une forte gestuelle, mimique et verbes propre à N. Lahlou. On y sent une fois encore l'influence de son double théâtral. L'homme du théâtre, de la scène, se superpose à l'acteur devant la caméra. Le rôle joué en devient un alliage assez riche et typique. Le rire et les boutades et coups de raillerie et les situations burlesques n'en deviennent que plus piquantes et provoquent l'hilarité collective. Toute autre personne n'en serait pas capable. Il est le seul à les inventer. Exemple : quand il demande au bain, presque nu, à son compagnon d'"infortune" de lui sucer le bobo du derrière ! Cet exemple et bien d'autres illustrent bien ce comique singulier.
Le verbe qui dénonce
De l'ensemble ressort bien sur l'objectif de dénoncer, accuser, exprimer. Le réalisateur faisant par le présent film, être au diapason de l'actualité et parler d'un malaise général. Celui senti contre l'autorité sclérosée, l'indifférence et le laisser aller que vit le pays. Un acte et une prise de position comme il en a l'habitude depuis deux décennies. Son film est un ajout qui fait creuser un peu plus l'intérêt pour le collectif et fructifier la conscience générale pour le changement, l'urgence d'humaniser et les actes et les missions. Rien qu'un bled perdu et un commis de l'état élevé dans la pratique de domination sans scrupules, pour le faire savoir. Tel que le montre Les années d'exil.

Conclusion
Ce long-métrage vient après une absence assez longue. Mais il est intéressant de constater que le réalisateur est resté fidèle à ses engagements de départ, lui qui fait du cinéma depuis maintenant presque trente ans, presque une grande partie de l'age de notre cinéma. Ça mériterait étude car Nabyl Lahlou avait donné (avec les quelques pionniers du départ) le cachet intellectualiste au cinéma marocain selon les dires des critiques de l'époque, tant français au marocains.

M'barek HOUSNI

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