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L'ivresse de féminisme
Sisters in law, de Kim LONGINOTTO et Florence AYISI (GB / Cameroun)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 20/07/2007

Sisters in law, le film de l'Anglaise Kim Longinotto et de la Camerounaise de Kumba, Florence Ayisi, depuis sa sortie en 2005, a été sélectionné dans plus de 90 festivals. Il a notamment obtenu la Mention spéciale Europe Cinémas au festival de Cannes en 2005, le Prix du public au festival du film d'Amsterdam la même année, et le prix CICAE. Et il m'arrive de m'interroger parfois sur la motivation réelle des récompenses des festivals occidentaux attribuées à bon nombre de films africains. La plupart du temps, les films primés sont des films d'intervention sociale stigmatisant les pratiques ou les comportements jugés déviants, archaïques ou inhumains. Il se cacherait donc derrière ces récompenses quelque chose comme de l'idéologie, ou à tout le moins une satisfaction morbide de certains Occidentaux par rapport aux clichés qu'ils se sont faits sur l'Afrique. À l'observation, Sisters in law ne dérogerait pas à la règle.

Le film s'ouvre sur une maîtrise approximative de l'éclairage. L'image apparaît floue, et l'on se croirait à l'aube ou au crépuscule d'une journée de saison de pluie. Pourtant, c'est l'ouverture des bureaux au tribunal de Kumba, ville du sud-ouest située dans la partie anglophone du Cameroun, où réside une minorité de musulmans. Certes l'éclairage s'améliore au fur et à mesure qu'on s'enfonce dans le film, mais cette méprise du début du film est révélatrice de la sobriété technique de cette œuvre. Sisters in law n'est ni un chef-d'œuvre esthétique, ni une référence technique, et brille encore moins par son traitement thématique, du simple fait que celui-ci n'est en rien original. Par ailleurs, la caméra, par moments, balaie furtivement le cadre, comme pour rechercher l'image, là où le montage aurait dû intervenir.

Traduit par Sœurs de loi dans le film, l'œuvre de Kim Longinotto et de Florence Ayisi, écrite par Arezki Hamouche, est présentée comme un documentaire, autrement appelé cinéma du réel. Mais ici, la réalité camerounaise captée ou explorée par le regard des deux réalisatrices peut être sujette à caution. L'exemple de la juge qui rend visite à ses prisonnières ou qui fait soigner et acheter des vêtements aux justiciables, fussent-ils des enfants, fait rêver. C'est certainement ce qui doit se faire, mais à ce niveau, ne serait-ce pas un montage ? De plus, le corps des avocats serait frustré, au regard des prestations cavalières de l'un des leurs prétendant défendre un client, et restant souvent caricatural dans son propos et dans son comportement. C'est le choix des réalisateurs. Un choix à dessein, car il s'agit de faire la part belle aux femmes dans ce film. Dès lors, comment ne pas comprendre le rôle de Vera Ngassa, sorte d'assistante sociale outrepassant allègrement ses compétences, et se positionnant résolument comme une féministe anti-macho ? Dans son combat, elle bénéficie du soutien de Béatrice Ntuba, présidente du tribunal et juge sans pitié, qui rend la justice de façon féroce, là où celle-ci doit simplement être juste. Pourtant, elle fait paradoxalement montre de beaucoup d'humanisme vis-à-vis de son petit Moïse. Est-ce une manière de montrer l'ambiguïté du comportement des magistrats ?

Certes les actes qui lui sont soumis sont d'une extrême gravité, et donc répréhensibles. Des femmes sont battues par leurs époux ; d'autres sont contraintes à l'acte sexuel ; une petite fille est violée par son voisin ; une autre est maltraitée par sa tante, etc. Il faut faire quelque chose pour que cela cesse. Les réalisatrices choisissent alors la voie du réalisme (les cicatrices de la petite Manka sont montrées et remontrées ; la petite fille violée raconte à plusieurs reprises son malheur, etc.) pour choquer et attirer l'attention sur ces phénomènes récurrents.

La société dans laquelle le spectateur est plongé est une société patriarcale. De plus, c'est une société analphabète refermée sur elle-même, et qui a donc besoin de formation, d'instruction et d'éducation. Dans les prises de position de la juge ou de l'assistante sociale, l'aspect pédagogique de la sanction n'est pas du tout pris en compte. Seuls sont considérés les sévices infligés aux femmes. Pourtant, dans cet espace, elles ont autant besoin de formation et d'éducation que les hommes.

Sisters in law, au-delà de l'exploration de la question des violences faites aux femmes, apparaît comme un réquisitoire teinté de féminisme primaire, où la femme doit s'opposer à l'homme pour conquérir sa liberté ou pour avoir l'illusion de bonheur. Ce qui constitue sa plus grande faiblesse. Cependant, c'est un film utile parce qu'il permet de ne pas oublier que malgré les différentes campagnes de sensibilisation menées sur ce thème, il existe encore des poches de résistance, à l'exemple de celle de la communauté musulmane de Kumba. Et on ne saurait les éradiquer par une ivresse de féminisme.

Jean-Marie MOLLO OLINGA
Cameroun.

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