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Hand cam ou la nudité de l'être*
critique
rédigé par Mohammed Chouika
publié le 21/07/2007

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De nos jours, plusieurs concepts techniques relatifs au champ visuel ont remonté à la surface du discours quotidien tel Hand cam, Web Cam, et Gsm Cam… et d'autres caméras portables, manuelles, mobiles ou fixes…
En réalité, ce sont "des yeux" artificiels qui ont métamorphosé la caméra en un œil "technico-humain" de l'homme moderne… Sans doute, cette révolution a mis au jour plusieurs problématiques techniques, éthiques et existentielles…

En effet, depuis sa naissance jusqu'à nos jours, la technologie visuelle a parié sur le fait de doter l'homme d'"oeils" supplémentaires à multiples usages de manière à en faciliter l'usage puisque souvent le réglage se fait de façon automatique.

Ce qui est surprenant dans ces outils c'est qu'ils ne se limitent pas à une tranche sociale spécifique ; leurs prix sont presque à la portée de tout le monde. Tout se passe comme si le monde moderne voulait que l'homme moderne voie mieux ou qu'il se rende compte qu'il voyait peu ou qu'il ne parfaisait pas l'usage de son regard.


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Quand un autre oeil s'interpose entre le sujet regardant et l'objet regardé ou quand l'homme met son oeil derrière un oeil artificiel sûrement sa vision ne sera pas identique puisque le cadrage de la vision s'impose ; ce qui le contraint, sans aucun doute, à mettre son expérience visuelle naturelle à l'épreuve de la machine. Cette situation l'oblige à un vacillement entre le positif et le négatif … quelle est donc de la limite de la liberté de l'être à capter ce qu'il désire? Le monde n'est-il pas un studio ouvert au public? Les caméras personnelles filment t-elles seulement ce que vise leur porteur ou bien iront-elles au-delà ? Quel est ici le rôle de l'éthique et quelles sont ses limites? Comment l'homme, en tant un être curieux, pourrait-il réprimer l'instinct de" l'éros de filmer"?


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L'homme d'aujourd'hui se filme et filme le monde. Cette maîtrise personnelle de l'appareil conjuguée aux conditions de la production de l'image ont fait de l'homme un être doté d'une énergie interactive et émotionnelle orientée vers soi et vers le monde. Souvent, on voit dans la rue des gens qui se filment dans diverses positions et avec des techniques différentes, ce qui interpelle notre réflexion: Pourquoi dans telle position et non pas dans telle autre ? Quelles sont les possibilités d'une vision esthétique personnelle? Est-ce que les gens arrivent vraiment à prendre la photo qui satisfait leur désir ou, au contraire, l'opération de l'auto filmer n'est-elle une opération qui change selon les conditions et états d'âmes?
Une caméra manuelle portable, bien que n'ayant pas la qualité technique requise, peut répondre aux attentes de son usager d'autant plus qui lui facilite l'accès à plusieurs espaces, l'accès aux mondes des êtres. Il est vrai que la chose dépasse le simple fait de porter une caméra. En fait, on porte d'autres gens : quand un être est filmé, la caméra capte un instant humain, un état d'âme social et culturel… Filmer un sujet le transforme via cet outil en un plaisir, en un spectacle et en un phénomène ouvert à toutes les interprétations… ainsi, la chose filmique ne devient plus un passe-temps, un moment de jouissance visuelle mais une opération d'insertion. "Le réalisateur" pourrait penser à diffuser son produit dans des espaces et des temps différents qui dépasseraient les limites d'un usage privé comme la diffusion à l'intérieur du cercle familial ou à travers le réseau Internet… et ceci déplace le jeu d'un acte individuel (vision subjective) à un acte collectif (vision intersubjective)… comment s'interfèrent ces deux dimensions?


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Quand des évènements tragiques interviennent (le 11 septembre et le tsunami), le spectacle individuel, la vision personnelle, l'oeil amateur apparaissent et en font une matière visuelle d'une valeur universelle inestimable. Les agences de presses et les chaînes de la télévision rivalisent de l'exclusivité pour avoir l'exclusivité d'un produit d'information rare, sans penser à ses impacts négatifs sur l'homme et ses valeurs éthiques et esthétiques. L'exclusivité et le gain priment dans l'imaginaire de l'industrie de la consumation
La civilisation actuelle tend vers l'industrie de l'auto surveillance avec un désir et un élan purs de la part de l'être humain moderne et ce qui est plus important c'est d'intégrer tout dans un jeu spectaculaire de consumation très complexe.


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Sans doute, l'usage de ces caméras modifie notre position envers les choses et les êtres ; influence, selon ce que nous filmons et ce que nous désirons filmer, notre conception vis- à- vis du cosmos. Pourrions-nous dire que l'homme moderne est en état de métamorphose à cause de cette révolution visuelle en un "grand oeil technique" ouvert sur tout et fermé sur tout en même temps ? Il est vrai que ces technologies ont pu créer l'illusion que toute chose est filmable et que l'acte de cette infraction visuelle des moments les plus heureux et les plus tristes ne pourrait s'expliquer que par le fait que le pouvoir de la civilisation d'aujourd'hui oeuvre à la mise à nu de l'être moderne, le dépossède de son désir ancestral celui d'être soi-même. Et ici je ne fais pas allusion à la nudité dans son sens sexuel (érotique et pornographique) mais je parle de dévoilement, de dépossession de tout sentiment qui pourrait constituer un obstacle à la philosophie où tout est produit, tout est consommation. Cette philosophie de l'industrie et de l'illusion et du fantasme…en plus de cette idéologie de la censure que chaque être exerce sur lui et sur les autres soit consciemment ou inconsciemment.
Si les yeux "officiels" (publics et professionnels) disparaissent alors les yeux "privés" (personnels et amateurs) prendront le relais. Tout le monde est inscrit désormais dans le jeu de la caméra cachée. L'état naturelle continue t- elle donc à agir en profondeur? Où est-ce bien la nature de l'homme qui se fonderait sur le voyeurisme, le striptease et le dévoilement ?


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Quand des évènements tragiques interviennent (les évènements du 11 septembre et de tsunami), le spectacle individuel, la vision personnelle et l'oeil amateur apparaissent et change l'évènement en une matière visuelle d'une valeur universelle inestimable. Les agences de presses et les chaînes de la télévision s'affolent pour chercher l'exclusivité afin de la vendre comme un produit d'information rare sans penser à la crise qu'elle pourrait générer sur le plan des valeurs éthiques et humaines. L'exclusivité et le gain ce sont ce qui prime.
La civilisation actuelle va vers l'industrie; tend avec un désir et un élan purs de l'être humain moderne vers l'autocensure. Ce qui est plus important c'est d'intégrer tout dans un jeu spectaculaire et dans un système de consumation plus complexe.
Dans les pays technologiquement développés, chacun est armé soit d'un appareil photo soit d'une caméra numérique mobile soit d'un portable équipé d'une caméra. Ces objets sont devenus presque des icônes modernes. Ce ne sont plus des appareils censés immortaliser des instants (anniversaires, fêtes, mariages… mais ils sont devenus un élément indispensable de "l'habillage public". En effet, quand on contemple les spots publicitaires destinés à faire connaître ces genres de produits, on constate la visée de ses concepteurs qui désirent ardemment rendre ces objets comme faisant partie du quotidien.
Ce sont des accessoires modernes qui font disparaître les différences entre les deux sexes et entre les classes sociales : tout le monde porte un pendentif autour de son cou ou sur son épaule. Un appareil dans les villas de luxes ou dans les cabanes. La technologie du numérique et de la Webcam est-elle devenue une religion? (Ne serait-elle pas un jeu idéologique visuel pur ?). La Hand Cam n'est elle pas un appareil de surveillance personnel et public ? N'a t-elle pas pour objectif de dévoiler le secret de l'institution familiale qui a été jusqu'à maintenant un espace intime et sacré ? L'homme n'est pas devenu un support de la contradiction discret / indiscret ; porteur de gadgets modernes et un atelier ambulant ?


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Les grandes chaînes de télévision contribuent énormément à la mise à nu de l'être moderne, voyons comment elles créent des émissions qui fêtent ces yeux numériques. Elles façonnent le désir public, l'oriente vers le spectaculaire anodin suscitant le rire de l'intérieur du monde humain et animal (dispute entre deux chats, animal dans une position particulière…). Ceci n'est-il pas une manière de gérer le phénomène ? Ne façonnons nous pas ici une mentalité, des comportements, un système de valeurs particulier ?
L'homme ne met plus ses yeux réels et techniques au cœur des évènements publics. La civilisation moderne a dépossédé l'homme de son "regard" en a fait un être fermé sur lui même.
Paradoxalement, elle a ouvert son foyer au monde via l'Internet et les chaînes paraboliques et tous les moyens de distraction et d'insertion de la "société du spectacle"
C'est en fait ce sentiment que la société de la consommation et du spectacle veut créer et renforcer dans l'homme contemporain. Sentiment d'une "bête de consommation et du spectacle"dépourvue de tout sens critique, de tout sens de méditation (l'être contemporain ne devrait plus penser son destin).
Vraiment, c'est le pire paradoxe. L'usager de la Webcam communique avec tout le monde en même temps, il vit le drame de la solitude. Quelle errance!

Le spectacle moderne se fonde sur un mariage entre le spectaculaire et la consommation surtout le spectacle cinématographique et télévisé à travers le jeu de rechange (les appareils changent, les accessoires changent, les codes des chaînes satellitaires changent. Tout est à mettre à jour. Tout voué à la consommation) et l'homme est obligé de suivre le mouvement de la consommation et du consommable, ce qui rend légitime son idéologie. La valeur de l'appareil peut être dans certains cas supérieur à son prix d'achat.
La chose est vraiment intrigante.
Méditons. Un récepteur numérique qui coûte 500Dh (5 Euro) peut capter plus de 5000 chaînes, gratuitement adapté au flashage à cause de l'industrie du piratage en florescence dans les pays sous-développés.

L'objectif de la civilisation contemporaine n'est-il pas de façonner un homme spectacle ? L'ambition n'est-elle pas de métamorphoser le foyer en un studio ?

Le désir n'est-il pas d'isoler l'homme dans une île; de changer le mode de la communication, d'une communication directe à une communication médiatisée (avec un medium auditif et visuel facile à surveiller et à contrôler)?
Partout dans la planète le slogan est le même. "Reste là où tu es, et tout est entre tes mains"
La civilisation moderne trompe l'homme. Elle lui donne l'illusion qu'il possède tout alors qu'elle ne lui offre que ce qu'elle désire… Il sait mais il ne sait pas.


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Le danger de ces caméras réside malgré leur intelligence artificielle dans le fait qu'elles standardisent l'imagination, réduisent la marge de la liberté des hommes. Ces yeux compagnons de l'homme moderne ont changé le monde en un studio ouvert pour le filmage et pour la surveillance. Les paupières de l'univers ne se ferment plus. La caméra a profondément changé les habitudes et les modes de vie : quand la caméra est là, tout est bouleversé. On organise le décor ; on cherche les positions, les gestes et les mimiques convenables… la photo devrait refléter notre âme et notre intelligence. Dans un jeu du paraître, l'homme perd sa spontanéité. Cette qualité ontologique et fortement humaine disparaît.

On a erré dans le monde de tourisme. On a découvert son secret et ses énigmes. La hand Cam a toujours répondu présente. En revanche, quand ils ont projeté ce qu'ils ont filmé tout s'est transformé en spectacle où La magie de l'instant tue tout désir de la réflexion. La matière filmée au lieu d'être une matière pour penser l'Autre, le Différent ; une matière pour dresser des passerelles de savoir et de communication et pour ajouter un sens à l'existence (cette existence filmée de l'autre) cette matière diaprait dans l'éblouissement de la lumière.

Ces caméras / yeux portables sont véritablement, et il ne faut pas l'oublier, un instrument pour sauvegarder des instants/idées du boulevard tumultueux de la vie.
Cependant, il y a ceux qui réussissent à changer cette matière à un produit commercial pur (et c'est le cas des agences de photages) ; mais il y a également ceux qui arrivent à changer ces mêmes matières en documents anthropologiques et il y a ceux qui préfèrent les changer en des films de spectacles à usage personnel ou collectif faisant de leurs foyers un petit studio pour le montage, le mixage, l'enregistrement, et la projection…


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Par ailleurs, les techniques d'enregistrement ont beaucoup facilité la manipulation et la projection de la matière filmée. Les caméras sont adaptables, les supports sont disponibles transmissibles, les possibilités de visionnages sont multiples … à tel point que nous pourrons s'interroger : l'homme est-il en mesure d'atteindre son objectif qu'il a tracé? Possède t-il une conscience technique et visuelle ou ne fait- il que s'aventurer ? Comment réagit-il avec la matière filmée? La sauvegarde t-elle ou s'en débarrasse dès la fin du visionnage ?
Ce sont là certaines questions torrentueuses, d'autres survolant l'horizon mais toutes en rapport étroit avec le destin de la mémoire individuelle et collective. Ces yeux techniques qui nous envahissent interpellant vraiment l'école qui devrait intégrer dans son curriculum pédagogique le module de l'éducation sur l'audio-visuel puisque la problématique relève aussi bien du savoir, de la pédagogie que de l'ontologie et de l'esthétique.

Mohammed CHOUIKA