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Pour une déconstruction par les Africains des regards coloniaux
entretien avec Olivier Barlet, critique de cinéma, membre de la Facc
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 23/07/2007
Olivier Barlet
Olivier Barlet

La critique cinématographique africaine doit aujourd'hui essayer de renouveler son regard afin de définir ce que sera son identité. En cela, il y a nécessité pour les journalistes africains de se doter d'outils devant leur permettre de mener à bien cette entreprise consistant surtout en la déconstruction des clichés coloniaux sur les Noirs et l'Afrique. Une démarche qui s'est inaugurée avec l'atelier de formation des formateurs à la lecture de l'image et la critique cinématographique, tenu à Ouagadougou du 19 février au 4 mars 2007 sur initiative de la Fédération Africaine de Critique Cinématographique (Facc). Lequel a réuni des journalistes de Côte d'Ivoire, du Bénin, du Togo, du Niger, de la Guinée Conakry, du Sénégal et du Burkina-Faso. L'un des facilitateurs, M. Olivier Barlet, critique reconnu, auteur de nombreux articles et ouvrages sur le cinéma, en parle avec nous.

Africiné : Monsieur Barlet, pourquoi la nécessité de tenir un atelier de formation des formateurs à la lecture de l'image et la critique cinématographique ?
Olivier Barlet : Le prétexte, si prétexte il y a, c'était le sentiment d'un besoin. Que les choses se structurent mieux au niveau des pays. Il fallait donc identifier et ensuite soutenir des personnes qui soient potentiellement dynamisantes et structurantes dans leur propres pays ; les réunir ensemble, leur donner les outils d'une formation solide, les outils pour continuer à se former eux-mêmes pour qu'ils puissent intervenir sur leur propre milieu. C'était ça la réflexion de la Facc qui a débouché sur cette formation des formateurs qui, jusqu'à présent n'avait jamais eu lieu, puisqu'on ne l'appelait pas formation mais atelier d'échanges critiques. Cela, dans la mesure où l'on part de l'idée qu'il n'y a pas un savoir absolu en termes de critique. Mais ce qu'il faut, c'est la mobilisation d'une culture. Et que ça se passe dans un échange.

Est-ce que cette initiative ne traduit pas la volonté de la Facc d'orienter la critique africaine dans un sens nouveau ?
C'est un exercice dangereux auquel on est très attentif. C'est-à-dire qu'il ne s'agit certainement pas pour les personnes qui organisent cet atelier de formation d'arriver en ayant une décision absolue sur ce que doivent être les choses. La critique africaine aujourd'hui, a essayé de se structurer, de s'organiser, de trouver ses marques aussi. C'est certainement cette critique africaine elle-même qui définira ce qu'elle sera, si spécificité il y a. Je ne sais pas s'il y a une spécificité de la critique française, de la critique allemande. Il y a des écoles critiques et peut être qu'il y en aura qui vont se former en Afrique comme il y a des écoles de cinéma éventuellement. En tous les cas, le but, c'est de mettre en place les structures qui permettent l'échange, la réflexion commune, et à travers les associations critiques nationales d'avoir une émulation entre elles et de définir les choses par elles-mêmes. Je serais très intéressé de savoir ce qui émergerait de tout cela. Parce qu'il y a un enjeu quand même. C'est que pour l'Afrique, aussi bien en parallèle avec l'appropriation de son héritage et de sa pensée qu'il peut y avoir, par exemple, à travers les archives cinématographiques, l'enjeu est quand même au niveau de la critique. C'est-à-dire que les journalistes africains, peu à peu, se définissent leur propre espace critique, leur propre débat, leur propre point d'attention qui permettra peut être de mettre en place, si ce n'est des spécificités parce que ça fait toujours un peu figer les choses, mais en tous cas, des stratégies, des points d'attention qui peuvent être spécifiques à cette critique.
Je crois qu'il y a une chose de fondamental, et là je réagis en tant qu'Occidental, c'est que j'ai vu beaucoup de films qui sont tournés en Afrique par des Occidentaux, qui ont quand même des contenus extrêmement marqués. J'ai vu un film et je trouve épouvantable l'image qu'il donne du Noir et de l'Afrique. Je ne souhaite de tous mes vœux qu'une écriture africaine sur ces films. C'est-à-dire une déconstruction par les Africains eux-mêmes des regards coloniaux qui persistent encore et notamment par le biais du cinéma.

Au sortir de cet atelier de formation, quelles seront les perspectives pour la Facc ?
Les perspectives pour la Facc, c'est d'abord de faire un bon bilan. On a fait avec vous (le samedi 03 mars 2007 à Ouagadougou) ce matin un bilan assez sérieux. On va encore faire un bilan ensemble, tirer les conclusions, voir ce qu'il faut modifier pour l'organisation d'autres ateliers. C'est le premier d'une série parce qu'il n'y a pas raison pour que ça soit seulement l'Afrique de l'Ouest qui en bénéficie. On va en faire en Afrique Centrale, on va essayer d'en faire en zone anglophone, en Afrique Australe sans doute, mais aussi avec le Nigéria, le Ghana, et en zone lusophone. Au Maghreb, il y a déjà des associations structurées. Si le Maghreb aime faire quelque chose, ils en discutent d'ailleurs, c'est possible aussi. On va, en tous cas, essayer d'équilibrer entre les différentes régions de l'Afrique pour que cette même démarche se structure.
Je crois que ce qui sort de très clair, c'est qu'il nous manque encore les moyens pédagogiques adaptés qui pourraient servir non seulement à cette formation, mais à l'ensemble des formations sur le cinéma. C'est-à-dire pour les critiques eux-mêmes dans leurs interventions en milieu scolaire, universitaire etc. Ils manquent de films d'analyse, de documents audiovisuels qui soient à partir d'images de films, qui structurent un peu les choses en termes d'analyse de l'image, en termes d'histoire du cinéma etc. Je crois qu'il y a là un gros boulot à faire. Ça demande beaucoup de sérieux, beaucoup de moyens. On va essayer de mettre cela en place.

Entretien réalisé par
Bassirou NIANG
(Sénégal)

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