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Faux polar pour vraie enquête
Morituri, de Okacha Touita (Algérie)
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 01/08/2007

Les cinéastes d'Algérie se risquent peu à adapter des romans. Comme si la réalité suffisait directement à alimenter leurs scénarios. Même si Mahmoud Zemmouri a porté à l'écran L'honneur de la tribu (1993) de Rachid Mimouni, si Abderrahmane Boughermouh a filmé La colline oublié (1996) de Mouloud Mameri, avant que Kamal Dehane adapte Les vigiles pour tourner Les suspects, 2004. Aujourd'hui, c'est Okacha Touita, connu pour avoir imaginé de France, Les sacrifiés, 1982, Le rescapé, 1986, Le cri des hommes, 1990, qui revient vers l'Algérie pour y filmer Morituri.
Le scénario est basé sur le roman de Yasmina Khadra, du même nom, étoffé par deux autres récits, Double blanc et L'automne des chimères. Yasmina Khadra est un auteur algérien habile, caché sous un pseudonyme pour éditer avec plus de liberté des polars sociopolitiques. De son vrai nom Mohamed Moulessehoul, cet officier de l'armée algérienne s'est servi de ses observations pour développer des récits réalistes à partir de 1984. Il a participé à la lutte contre le terrorisme dans les années 1990, et depuis 2000, a quitté l'armée pour se consacrer à la littérature.
Dans Morituri, paru en 1998, il imagine le personnage du commissaire Llob pour mieux poser un regard caustique sur la société algérienne en crise. Accroché par cette approche et le style de l'écrivain, Okacha Touita décide d'y puiser la matière d'un film. Quelques fonds débloqués par le Ministère de la Culture et la coproduction de la télévision algérienne complètent une modeste production française.

Le comédien Miloud Khetib campe la silhouette fatiguée du commissaire Llob après avoir figuré dans les films principaux de Okacha Touita. L'acteur, installé en France où il mène une carrière exigeante au théâtre, affiche une cinquantaine grisonnante, un ventre relâché et une moustache épaisse dans le costume fripé du commissaire.
En 1990, ce héros désabusé traque les extrémistes dans un pays plongé dans le terrorisme. Quand on le charge de retrouver la fille d'un ancien responsable du régime, il s'aperçoit vite que les terroristes éliminent avec méthode des intellectuels. Il pénètre alors au cœur d'un scandale de la Banque Nationale et découvre qu'il est manipulé par des intérêts supérieurs, en liaison avec la mafia politique et financière. Devenu gênant pour tous, le commissaire est poussé à la retraite.
Sur cette trame policière, Okacha Touita bâtit un scénario sans nuances pour dénoncer les compromis du pouvoir. La souplesse du style du roman de Yasmina Khadra ne se retrouve pas sur l'écran. "Certes le film souffre d'une certaine maladresse, due essentiellement au peu de moyens investis dans le projet", reconnaît l'écrivain, "mais les Algériens d'Algérie ont retrouvé des repères probants, des situations familières, et le souvenir de cette décennie tragique, qui a souvent émietté nos rêves et nos prières, s'est découvert un sens et une âme."
Motivé par la volonté d'éclairer autrement la période noire de l'Algérie, entre 1990 et 1995, tout en alimentant son cinéma, Morituri n'apporte pas de révélations lisibles sur le contexte politique. Son intérêt repose surtout sur le personnage du commissaire fatigué, désillusionné sur l'état du pays, à l'image de sa génération. Désabusé mais obstiné, Llob sert de conducteur à la mise en scène parfois laborieuse de Okacha Touita. Mais le cinéaste prend un plaisir visible à filmer Alger en tous sens. Comme si après toutes ces années d'immobilisme, parcourir la ville pour y mettre en scène une fiction était déjà une revanche sur le mauvais sort de l'Algérie.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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