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Les mécanismes de la peur et du pouvoir
Karaula (Poste frontière/Border Post), de Rajko Grlic (Croatie)
critique
rédigé par Mehrez Karoui
publié le 01/08/2007

" Un film, pour être réussi, doit exprimer simultanément une idée du monde et une idée du cinéma"
François Truffaut

Karaula (Poste frontière/Border Post) est une fiction qui retrace, une vingtaine d'année après, d'une manière originale et sur un ton à mi-chemin entre la comédie et la tragédie, les derniers jours d'un pays qui s'appelait jadis " La Yougoslavie". Le réalisateur croate Rajko GRLIC porte à l'écran un best-seller de la littérature yougoslave, en essayant de s'interroger autrement sur les causes profondes de l'éclatement d'un pays multi - ethnique qui sera par la suite divisé en plusieurs nations (Serbie - Croatie - Bosnie …). L'histoire qui se situe autour du printemps 1987, raconte la routine quotidienne d'un poste frontière de l'armée dans la région qui sépare l'Albanie de la Yougoslavie non sans un brin de nostalgie envers cette époque à jamais révolue où tous les yougoslaves, toutes ethnies confondues, étaient appelés à servir la nation sous le même drapeau. Mais ceci n'est qu'un prétexte pour aborder des sujets plus profonds et plus universels à savoir les mécanismes de la peur et du pouvoir. Car dans le film comme dans l'Histoire, le véritable ennemi qui guettait le pays n'est pas l'armée albanaise comme le prétendait la hiérarchie militaire mais plutôt l'ultranationalisme exaspéré qui poussera les yougoslaves, quatre ans plus tard à s'entretuer entre eux pendant la guerre que nous connaissons tous. Ainsi, dans un style ironique démystifiant, l'alerte déclarée dans le poste frontière sous le prétexte d'une attaque éminente de l'armée albanaise, s'avère un mensonge qui n'a pour but que de permettre au Lieutenant Safet Pasic (Emir Hadzihafisbegovic), qui se trouve atteint par une maladie sexuellement transmissible (la syphilis), d'avoir une excuse fiable afin d'éviter d'être découvert par sa femme. L'impuissance sexuelle n'est ici que la métaphore de l'impuissance des militaires qui cherchent désespérément une gloire perdue dans les méandres de la dictature communiste. Les soldats qui ne croyaient pas à une attaque des Albanais que d'ailleurs rien ne laisser prévoir, se trouvent ainsi privés de permissions et restent condamnés à la vie isolée et monotone aux frontières. Plus le temps passe, plus la tension monte. Pendant ce temps, le lieutenant fait appelle au seul médecin parmi ses soldats, le jeune Sinisa qui aura une double mission: soigner son supérieur et rendre visite à sa ravissante femme. Sinisa ne peut s'empêcher de tomber amoureux de la jeune épouse tandis que son meilleurs ami le soldat Paunovic (Sergej Trifunovic) tente de déserter l'armée.. la situation devient de plus en plus incontrôlable.
Une histoire qui ne comporte apparemment rien d'extraordinaire mais qui donne lieu à une profonde réflexion sur la peur non justifiée de l'autre et de l'inconnu. Une sorte de paranoïa qui s'empare d'une armée qui voit son pouvoir s'évaporer la veille de la chute du communisme. Les clivages ethniques longtemps négligés et réprimés par la dictature du parti unique surgissent et pousse le pays vers l'abîme. La mise en scène talentueuse de Rajko GRLIC réussie formidablement à entretenir la tension jusqu'à la fin. Sans oublier bien sûr la magnifique prestation des acteurs qui jouent juste. Le réalisateur croate qui a étudié la mise en scène à la FAMU, l'école de cinéma de Prague où il obtient son diplôme en même temps que Markovic, Karanovic, Paskaljevic (Il fait partie de cette génération de cinéastes, qui apparaît au début des années 70), nous offre ici un petit chef d'œuvre qui confirme une fois de plus un talent bien remarqué dans ses films précédents. Le "bain de sang" qui intervient vers la fin clôturant le film sur une note plutôt tragique qui contraste avec le ton humoristique du début, n'est que l'annonce de la sanglante guerre civile qui va déchirer le pays tout au long des années 90.
Reste à noter que ce film en soi est très significatif de par sa production: C'est le premier et unique projet coproduit par les pays de l'ex - Yougoslavie : La Serbie Monténégro - La Croatie - La Slovénie - La Macédoine - La Bosnie-Herzégovine Ainsi le cinéma peut et pourrait réunir de nouveau les "frères ennemis"

Par Mahrez KAROUI

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