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Le cinéma marocain, un cinéma émergent*
critique
rédigé par Ahmed El Ftouh
publié le 05/08/2007

Avec un total de 140 films de long métrage réalisés depuis l'indépendance du Maroc en 1956 et dont plus de 80 films ont été produits durant seulement les quinze dernières années (à partir de 1990), le cinéma marocain est considéré comme un cinéma émergent. Certains critiques arabes n'hésitent pas à le placer en deuxième position du classement du cinéma arabe, juste après son grand aîné, le cinéma égyptien.

L'apparition du cinéma, comme spectacle magique, au Maroc remonte à l'aube du XX° siècle. Les premières séances de représentations cinématographiques au grand public ont eu lieu le 29 avril 1900 dans la ville de Tanger au théâtre le Liceo Rafael Calvo. Mais suite à son occupation (sous triple protectorat en 1912) entre les puissances coloniales de l'époque, le Maroc sera divisé en plusieurs parties. Le Nord, le Sud et le Sahara occupés par les Espagnols, le reste du territoire par les Français et la Zone de Tanger sous statut international. Le cinéma va, de ce fait, servir comme outil de propagande de guerre, comme moyen d'expression de la force et de la magie de l'occupant et comme média de culture, d'échange, "d'éducation" et de pacification.

C'est dans ce contexte que le premier long métrage sera tourné au Maroc en 1919. Il porte comme titre évocateur Mektoub. Substantif arabe utilisé comme tel et traduit littéralement par "écrit". Il signifie "destin". Tel fut le destin ou la destinée du pays. Réalisé par deux Français, Jean Pinchon et Daniel Quintin, dans trois anciennes villes, Tanger, Marrakech et Casablanca, cette fiction se déroule dans un décor et une nature vierge et exotique. Les habitants du pays sont montrés comme des "barbares et des sauvages sans âme". Ce film, et bien d'autres, sont considérés, par des critiques, comme un moyen de justifier l'occupation et de domestiquer les habitants.

C'est ce qui va caractériser le cinéma colonial de cette époque. Le Maroc est un "plateau à ciel ouvert". C'est aussi et surtout un décor où des êtres primitifs circulent sans forme ni identité propres. Le héros de ces films est un "Blanc", un étranger venu au pays. C'est un aventurier bien civilisé qui mène un combat et la gagne à tous les coups contre une nature sauvage et hostile et contre des forces du mal, omniprésentes et invisibles à la fois, et qui se camouflent parmi les habitants indigènes. Ces films entrent dans la catégorie de la littérature et de l'art au service de la culture coloniale, très florissante à l'époque.

Certains films, rares en l'occurrence, tournés au Maroc ou en studio à Hollywood s'écartent nettement de cette tendance. On peut citer comme exemple le film américain Casablanca de Michael Curtiz (1944). Il s'agit d'une histoire romantique, tournée exclusivement dans un décor de studio représentant la ville de Casablanca où se rencontrent deux amoureux, merveilleusement interprétés par Humphrey Bogart et Ingrid Bergman.
À citer aussi, le film d'Orson Wells, Othello, tourné dans la petite ville marocaine Essaouira en 1949. Ce film va participer au festival de Cannes au nom du Maroc et va remporter la Palme d'or en 1952.

Pour mieux organiser, structurer et gérer la production et l'exploitation cinématographique, la France va créer le Centre Cinématographique Marocain (CCM) en 1944 qui existe toujours et qui porte encore le même nom. L'objectif étant la création d'un "cinéma marocain". Un cinéma local fait pour les autochtones et qui limiterait la grande diffusion des films égyptiens très appréciés par les spectateurs marocains et, de ce fait, limiterait la prise de conscience nationaliste et arabe.

C'est dans ce contexte culturel et sociopolitique que les premiers cinéastes marocains vont être initiés à la passion et aux métiers du cinéma. L'influence du cinéma occidental, égyptien, soviétique ou autre, ainsi que la formation spécifiques aux métiers de cinéma, vont avoir un impact non négligeable sur le cinéma marocain en gestation à cette époque et auront aussi des incidences sur le devenir de ce cinéma et sur ses perspectives d'avenir. À ce contexte, il faut ajouter des spécificités inhérentes au Maroc, pays à la culture millénaire et aux diversités culturelles, historiques, linguistiques (l'arabe, l'amazigh, le français, l'espagnol…), géographiques, régionales et au mode de vie partagé entre le traditionnel et le moderne, entre le rural et l'urbain, entre le pauvre et le riche, l'intellectuel et l'analphabète. C'est cette même diversité qui va caractériser et se refléter dans les films marocains tant au niveau de leur thématique que dans leur choix esthétique et plastique.

Traiter dans cet article de toutes les tendances serait trop prétentieux, mais on pourrait en présenter les plus évidentes.

Certains cinéastes, comme Mohamed Ousfour, vétéran du cinéma marocain, sont des autodidactes. C'est en bricolant du matériel cinématographique pour passer des films à des jeunes de son quartier que ce dernier va tourner des courts métrages avec les moyens de bord. Son film Le Fils maudit (1958) est considéré comme le premier film marocain de long métrage.
Les professionnels du cinéma, ceux qui ont été formés dans des écoles de cinéma, soit en France, soit dans des pays socialistes, soit en Égypte, vont entrer en scène à partir de 1968.
Avec le film Vaincre pour vivre (1968) de Mohamed Tazi et de Ahmed Mesnaoui et le film Quand mûrissent les dattes (1968) de Abdelaziz Ramadani et Larbi Bennani, va s'ouvrir la voie à des films visant le grand public et reproduisant la structure narrative des films égyptiens en vogue dans tous les pays arabes. Mais sans beaucoup de succès. D'autres films vont aller dans ce même sens, Silence, sens interdit (1973) de Abdellah Mesbahi, Les larmes du regret (1982) de Hassan El Moufti, avec comme rôle principal le chanteur marocain Mohamed El Hayani. Plus récemment, des films de même tendance, mais du genre plutôt comique, vont drainer un grand public et réaliser d'importantes recettes. Il s'agit, entre autres, du film Le Pote (2002) de Hassan Benjelloun et Les Bandits (2004) réalisé par le comédien Said Naciri qui tient le rôle principal.

Quant au cinéma qualifié d'intellectuel, il sera l'oeuvre de cinéastes-intellectuels ayant participé, pour certains, à la mouvance et à l'orientation de la culture engagée à gauche durant les années soixante dix. Le premier film déclencheur de cette tendance est Wechma (1970) de Hamid Bennani ; film auquel va contribuer une équipe composée de techniciens marocains professionnels dont certains vont devenir des réalisateurs célèbres. Citons M. A. Tazi, réalisateur de À la recherche du mari de ma femme (1993) et de Badis (1988), à la direction de la photo et Ahmed Bouanani, réalisateur de Mirage (1979), au montage. Ce film, en rupture totale avec le modèle égyptien, traite de problèmes sociaux au sein de la famille marocaine confrontée à l'autorité du père et aux pratiques éducatives révolues et traditionnelles contre lesquelles les jeunes (le fils dans le film et ses amis) manifestent un désir de liberté et d'autonomie. Ce film qui va remporter plusieurs prix dans des festivals (Carthage, Damas) est salué par les critiques et les cinéphiles comme un film d'auteur, riche de signes et de symboles visuels (emprunts et clins d'oeil à certaines théories sémiotiques ainsi qu'au domaine de la psychologie et de la sociologie).

Wechma est le modèle du film marocain réussi et où l'esthétique filmique est en harmonie avec la thématique du film. Il va sans dire que le film, considéré comme difficile à lire, n'a pas eu de succès commercial. C'est le cas pour la plupart des films dits d'auteur, comme celui de Moumen Smihi Chergui ou le silence violent (1975) et ceux de Mustapha Derkaoui De quelques évènements sans significations (1974), Les beaux jours de Schéhrazade (1982), Titre provisoire (1984).
Ce cinéaste professionnel (formé en Pologne) et cet intellectuel respecté va changer de fusil d'épaule en cherchant, suite à des conseils d'amis et de critiques, la conciliation avec le public marocain qui boudait ce type de films. Il va rompre avec son propre modèle pour réaliser trois films qui ne vont pas plaire à certains critiques mais dont le succès auprès du public marocain est certain. Ces films à succès sont Les amours de Hadj Mokhtar Soldi (2001), Casablanca by night (2003) et Casablanca day light (2004).

Cette recherche du public n'est pas sans risque de tomber dans le populisme ou dans l'imitation d'un modèle de cinéma ayant nourri l'imaginaire et la culture filmique de ce même public. Cette culture bon marché, servie par un cinéma commercialisé à l'échelle mondiale, se contente de clichés, de stéréotypes et de canevas prêts à consommer. Le public en raffole. Ce défi de concilier le cinématographique et le commercial, de gagner le public sans perdre ni la qualité de l'esthétique, ni la rigueur du traitement de la thématique, va être gagné par certains réalisateurs marocains. Le premier film à citer dans cette dynamique est Un Amour à Casablanca (1991) de Abdelkader Lagtaa.
Ce film est une sorte de satire sociale qui relate, avec humour et critique, la question des relations sociales à travers des relations sexuelles légales et illégales. Considéré comme trop osé - il l'était à l'époque - le film va susciter beaucoup de réactions qui vont être partagées entre le favorable et le défavorable. Certains vont exprimer leur colère vis-à-vis de cette relation amoureuse illégale et ce corps féminin apparaissant presque nu, dans un plan très court, d'ailleurs. Il va, de ce fait, drainer un grand public et sera parfois suivi par un débat assez houleux. Le film ayant réussi à attirer le public, celui-ci va faire preuve d'une disposition à voir des films plus osés, esthétiquement bien faits et qui traitent de sujets plus proches de la réalité sociale et du vécu quotidien. D'où le succès de ce film sur tous les plans.
Ce film, qui aborde aussi la problématique de la condition de la femme, sera suivi par un grand nombre de films qui traitent de la condition féminine selon une vision nouvelle, vision qui s'éloigne des stéréotypes et du déjà vu. Il sera question des relations familiales, de la femme au foyer, de la violence conjugale, de la polygamie, des droits de la femme, de son travail, de son éducation. Cette thématique va prendre le devant des films réalisés durant la décennie quatre-vingt-dix, pour devenir le thème central du cinéma marocain de cette période. Plusieurs films sont à classer dans cette catégorie. Parmi les plus représentatifs, citons le film Hadda (1984) de Mohamed Aboulouakar qui traite du viol et de ses conséquences physiques et psychiques. Ce cinéaste- peintre va réaliser un film d'une esthétique inégalée. Les plans larges et les gros plans sur Hadda, perdue dans le désert, renforcent l'isolement de la jeune fille et expriment fortement sa souffrance que nous partageons tout en condamnant le viol dont elle est victime.

Certains films vont afficher le thème de la femme comme sujet directement dans les titres de leurs films. C'est le cas de À la recherche du mari de ma femme, déjà cité et qui traite de la polygamie dans un registre comique et satirique. Femmes et femmes (1998) de Saad Chraibi, traite de la violence conjugale. Destin d'une femme (1998) de Hakim Noury et Jugement d'une femme (2001) de Hassan Benjelloun posent la question du respect du droit de la femme et le problème du divorce.

Mais la thématique de la femme sera traitée aussi par des femmes cinéastes. Elles sont actuellement une douzaine au Maroc. Ce chiffre est significatif, surtout dans un métier qui reste encore masculin dans certains pays. Certaines réalisatrices ont à leur actif plusieurs films. C'est le cas de Farida Benlyazid et de Farida Bourquia qui n'a réalisé pour le cinéma qu'un seul long métrage La braise (1982) et qui travaille surtout comme réalisatrice de télévision.
Quant à la cinéaste et scénariste, Farida Benlyazid, en plus de ses quatre longs métrages, à savoir : Les portes du ciel sont ouvertes (1987), Ruses de femmes (1999), Casablanca, Casablanca (2002), Juanita de Tanger, elle va écrire des scénarios pour des films marocains comme Poupées de roseau (1981) de Jilali Ferhati, Badis (1988) et À la recherche du mari de ma femme (1993) de M.A. Tazi. Son film Ruses de femmes s'éloigne de l'affrontement violent entre l'homme et la femme pour revendiquer plus de compréhension mutuelle, plus de contact, de communication, de savoir faire et de savoir être. En réadaptant un ancien conte populaire à visée éducative au cinéma, Farida prône la réconciliation avec les valeurs et les traditions millénaires du pays qui sera à même de mener à une vraie réconciliation et à une harmonie au sein de l'éternelle Fatalité Homme /Femme. À la place de la violence, elle interpelle la tolérance.
Parmi les réalisatrices qui sont à leur premier long métrage, signalons Narjiss Nejjar et son film Les yeux secs (2002) dont le sujet est une fiction qui traite de la vie très controversée et très particulière d'un groupe de femmes organisées en clan structuré et vivant de prostitution dans un village de l'Atlas. Menée par une femme-chef de clan qui découvre le vrai amour, elles finissent par prendre conscience de leur situation.

Retour aux sources et vision des cinéastes marocains issus de l'immigration

Le thème du retour aux sources et la redécouverte des traditions et des habitudes ancestrales est un sujet qui revient en force dans le cinéma marocain des deux dernières années. Il est traité par de jeunes cinéastes issus de l'immigration et qui reviennent au pays pour y faire du cinéma avec le concours de producteurs et de techniciens étrangers pour certains.
Ce cinéma réalisé par de jeunes cinéastes immigrés à l'étranger pour des besoins d'études ou issus de la deuxième ou troisième génération de l'immigration, est considéré par certains observateurs comme une force motrice qui va dynamiser le cinéma marocain, lui donner une nouvelle énergie et un nouvel élan. Surtout que ces derniers évoluent dans des milieux, des cultures, des langues et des expériences multiples.

Des États Unis d'Amérique où il exerce le métier de professeur de cinéma, Hakim Belabass a réalisé un très beau film de fiction documentaire Les fibres de l'âm (2003), sur la redécouverte de sa ville natale Abi Jaad et sur ses traditions ancestrales. Mohamed Zineddaine, revient de Boulogne (Italie), après s'être spécialisé dans le cinéma anthropologique, pour reconstituer, dans son premier long métrage, Réveil (2005), l'itinéraire du retour de l'étranger d'un écrivain marocain, pris d'un sursaut de conscience, en mal d'inspiration et au bord de ses limites intellectuelles et psychologiques. Narré à la première personne, ce film a la particularité d'être un film intellectuel, singulier et d'un genre tout à fait nouveau au Maroc.
De la France, deux cinéastes ont refait, chacun de son côté, un pèlerinage de redécouverte et de réconciliation avec les sources spirituelles, Le grand voyage (2004) de Smail Faroukhi, d'une part, et de l'autre, avec les origines familiales, Tenja (2004) de Mohamed Lagzouli.
Mais cette vision du cinéaste rajoute-elle- une plus value à la connaissance du Maroc, de ses traditions et de sa culture ? ou se limite-t-elle à reproduire des clichés et des stéréotypes forgés par l'usage et la reproduction médiatique ?

L'image du Maroc, reconstituée par les films marocains réalisés par les jeunes issus de l'immigration, peut aider l'Autre à mieux nous connaître quand la vision du cinéaste par rapport au monde, au Maroc, à ses habitants et à leur culture, est une vision personnelle, originale, juste et proche de la réalité. Quand ce n'est pas celle d'un étranger qui vit dans la peau d'un originaire du pays.

Par Ahmed EL FTOUH
Critique d'Art et de Cinéma

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