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Cozes toujours, tu m'intéresses (vraiment)
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 11/08/2007

En Charente maritime, entre Bordeaux au Sud et La Rochelle au Nord (à égale distance d'Angoulême), le bourg de Cozes accueille depuis huit ans un festival de cinéma sans nul autre pareil. Les grandes villes les plus proches sont Saintes et Royan. De fait, le festival Ciné Sud se déroule à Saint-Georges de Didonne, car Cozes n'a pas de salle de cinéma.
Ici on ne projette que des courts métrages de réalisation africaine. Pourquoi cette nuance ? La nationalité est attribuée à un film non pas à cause de son réalisateur, mais selon le pays où se trouve la maison de production qui porte le film. Ainsi, bien des films africains sont européens, français, car il y a peu de sociétés de productions africaines. Ciné Sud a voulu être pratique et préfère parler de courts métrages de "réalisation africaine", c'est-à-dire le réalisateur doit être africain.

En latin, s'il vous plaît !
Il y a des paroissiens qui s'étouffent avec l'orthodoxie et ne veulent de messes qu'en latin (Mel Gibson a produit un film en araméen sur la vie du Christ). En cinéma aussi, l'orthodoxie pointe vite son nez. À Cozes, la question de la règle à appliquer partage toujours et encore le comité de sélection.
D'abord il y a la durée : faut-il s'arrêter à la définition professionnelle pour les courts métrages : "film qui ne dépasse pas 30 minutes" [NOTE 1]. Cependant cela signifierait se couper des films de durée intermédiaire (52 minutes), souvent produits pour la télévision ; des films (documentaires) qui ne sont pas diffusés dans les festivals. Ciné Sud ne dispose que de huit heures de projection ; accepter des 52 min, c'est aussi avoir moins de place pour les films courts. Cette question n'a pas été tranchée lors de la 8ème édition où sur les 17 films (avec un en hors-compétition) deux films documentaires de 52 minutes étaient en compétition : Raketa mena (Cactus rouge) de Hery A. Rasolo (Madagascar) et L'Algérie, son cinéma et moi de Larbi Benchiha (Algérie/France, 2006). Le réalisateur algérien tisse un portrait émouvant où, partant de son enfance, de son exil, de sa famille, il interroge la colonisation, l'avènement de l'Algérie et la place faite non pas seulement au cinéma national mais aussi à la culture. L'autre film de 52 min (qui parle lui aussi de mémoire) était en hors-compétition : le documentaire Homeland (de Jacqueline Kalimunda, Rwanda, 2006), dont la réalisatrice faisait partie du jury. S'appuyant sur ses recherches universitaires (elle est historienne de formation) Jacqueline Kalimunda dessine par petites touches l'évolution macabre du Rwanda. Silencieuse et grave, elle traverse l'écran quasi fantomatique bouturant ainsi sa tragédie familiale (son père fait partie des disparus du génocide hutu qui a visé Tutsis et Hutus modérés) à l'histoire du Rwanda où la mécanique du conditionnement a conduit à l'abomination.
L'autre règle, inscrite elle aussi dans l'intitulé du festival, c'est la nationalité des réalisateurs. Il ne suffit pas que le film porte sur l'Afrique ou que les acteurs soient Africains. Il faut que les réalisateurs soient eux aussi africains. Alors quand un réalisateur du nom de Laurent Sénéchal se présente sous bannière burkinabée, l'hésitation pointe et le trouble s'installe à cause de la consonance française de ses prénom et nom. Il se révèle bien Burkinabé par sa mère : c'est un Africain-Français, comme on parle d'Africain-Américain et même plus car outre la double culture, il a la double nationalité.


Grands cinéastes pour la ronde des courts
L'édition 2007 de Ciné Sud a révélé ce qui était déjà visible aux dernières éditions des deux grands festivals africains - Carthage 2006 (Tunisie) et FESPACO 2007 (Burkina Faso) : une génération de cinéastes débarrassés de complexes et bourrés de talents est montée en ligne et avec des histoires fortes à faire partager.
L'enfant est souvent le personnage principal dans les dix-huit films retenus.
Par exemple Deweneti (Sénégal/France, Fiction, 2006, 15 min) de la réalisatrice sénégalaise Dyana Gaye qui tourne autour de Ousmane, jeune talibé (élève coranique) qui mendie dans les rues et s'offre le luxe de rêver. La cinéaste traite sur un mode décalé la mendicité et la précarité qui étranglent les petites gens à Dakar.
Quant à Lucky (2006, 20 min) de la Sud-Africaine Avie Luthra, il aborde sur un mode léger et tendre les tensions raciales dans une Afrique du Sud ravagée par le Sida à travers un jeune garçon qui donne son nom au film face à une femme relevant de l'autre minorité, une indienne.
Il y a aussi Safi, la petite mère de Raso Ganemtore (Burkina Faso / Italie / France, 2004, 29 min) où une fille de huit ans est brutalement confrontée à la mort et au combat pour la survie. Si le réalisateur burkinabé cède par moments aux poncifs sur la dichotomie tradition/modernité, il réussit à offrir un beau film très maîtrisé et bien filmé (dans lequel, tel Hitchcock ou Mambéty, il joue le rôle anonyme d'un client du bar où Safi vient chercher de l'aide). Ce film porte les deux thématiques fortes du festival (à l'insu du comité de sélection) : l'enfant et la femme, puisque Safi est obligée d'être la mère de son petit frère à la disparition de sa mère, veuve.
La place de la diaspora s'inscrit aussi dans cette double thématique de la femme et de l'enfant ; le matriarcat majoritaire de la culture africaine impose ici ses marques : ce sont les femmes qui permettent d'interroger la difficulté et la richesse de la transmission aux jeunes.
Ainsi, le documentaire De fil en aiguille de Nassim Jaouen (Djibouti / France, 15 min) est un portrait d'une couturière sénégalaise, Astou, qui vit clandestinement à Paris. Le Franco-Djiboutien réussit à ne pas se laisser enfermer dans un portrait d'une expatriée et interroge la transmission des valeurs aux enfants, avec les enfants d'Astou dont certains vivent avec elle d'autres au Sénégal et surtout les enfants dont elle avait la charge en tant qu'employée dans des familles françaises.
Nyaman'gouaco (Viande de ta mère) de Laurent Sénéchal (Burkina-Faso / France) est une fiction de 16 min sur la crise d'adolescence de Drucille. Elle est Française, sa mère Collette, Congolaise. Le titre est une insulte en lingala (langue des deux Congo) que la mère lance dans un moment d'énervement. Film le plus maîtrisé de Ciné Sud 2007, à mon regard, il atteint une dimension universelle qui a failli lui coûter sa sélection (outre le nom à consonance française du cinéaste franco-burkinabé) comme si un film africain ne devait se dérouler qu'en Afrique, avec des problématiques de communauté. Il reflète la vraie tendance du courant de "La Nouvelle Renaissance" : un regard africain sur le monde, hors du carcan ethnologisant.
La pelote de laine de l'Algérienne Fatma-Zohra Zamoun est l'autre petit grand bijou du festival. Dans un espace clos, deux femmes s'opposent puis collaborent pour défaire le machisme obtus. Film historique (l'action se passe au début des années 70, avec la vogue du regroupement familial en France), la cinéaste pose un regard très contemporain et tendre sur les rapports de couple.
Heureusement de Pierre Yao est un film émouvant et éminemment politique qui dénonce l'ivoirité mais de manière universelle l'exclusion et la diabolisation. Le réalisateur ivoirien qui vient de la publicité utilise une mise en scène efficace qui va au but avec ses moments de tension et d'humour. Il a été ostracisé à Abidjan pour ce film qui critique la lâcheté des politiciens (à travers un chef de village couard et un homme paresseux belliqueux).


Mada… et Sankara en star
Mada (Madagascar) a fait sensation avec quatre films malgaches très différents mais qui posent chacun un regard engagé sur la misère certes mais surtout la dignité.
Mora Mora, qui pourrait se traduire par "mollo mollo", de Jean Heriniaina Rakotoarison est une fiction de 5 minutes 30 où un sans-abri trouve refuge toutes les nuits en bas d'une fenêtre d'une maison bourgeoise. La nuit, on lui jette de l'eau pour le chasser jusqu'à ce qu'il pense au sachet. Un film bien emballé où l'esthétique est malheureusement sacrifiée.
Saphira est un docufiction de dix minutes par Alain Rakotoarisoa autour d'un jeune musicien (et de sa famille) qui joue dans la rue, considérant la musique comme sa richesse, son saphira (prononciation locale du "saphir"). Le film souffre de lacunes techniques et de flottements dans le jeu rattrapés par la dimension documentaire, tout en réussissant à transmettre une réelle émotion. Le soleil se lève... puis se couche est un film d'animation de Jiva Eric Razafindralambo de 8 minutes 30. L'animation est faite par infographie et narre toute la difficulté d'être paysan à Madagascar et les rêves que constitue l'horizon de la ville. L'animation manque de fluidité et le montage n'est pas toujours orthodoxe dans les raccords de mouvements. Le dernier film, Raketa mena (Cactus rouge) de Hery A. Rasolo, parle d'une tragédie qui ravage l'arrière pays malgache qui souffre de disette. Le cactus rouge planté par les colons français suce toute l'eau souterraine, phagocyte toute végétation, fait dépérir hommes et animaux qui le mangent comme seule nourriture disponible. C'est plus qu'une charge anticolonialiste d'arrière garde, c'est une analyse politique d'une grande justesse sur la duplicité et l'irresponsabilité des politiciens. En effet, ces derniers envoient des camions fontaines à quelques jours de leur visite très intéressée, et laissent les salaires impayés des lustres. Malheureusement, l'auteur n'arrive pas à une dimension cinématographique, documentaire, c'est-à-dire avec un point de vue et se perd dans un simple rapport, un reportage qui garde toutefois toute sa force et a mérité sa mention du jury, pour l'urgence qu'il défend. Ces quatre films ont la même faiblesse esthétique (même si Raketa mena est bien plus travaillé avec un montage sonore remarquable) due au fait qu'ils sont portés à bout de bras par leurs auteurs qui sont à l'image (computer animation), au son, au montage et à la musique.
Malgré ses critères, Ciné Sud ne pouvait faire l'impasse sur le film d'un Cozillon (nom des habitants de Cozes), surtout quand il porte sur un homme africain d'une carrure exceptionnelle. Il s'agit de Thomas Sankara, l'homme intègre de Robin Shuffield (France) qui est un portrait du président du Burkina Faso, assassiné par des hommes au service de son successeur, Blaise Compaoré qui parle de "rectification". Le réalisateur, qui a beaucoup vécu en Côte d'Ivoire, réunit des documents et témoins d'exception et permet de cerner le personnage. Le film a été projeté hors festival à Cozodogou (village du festival Plein Sud).


Le talon d'Achille
L'originalité de Ciné Sud ne repose pas seulement sur le choix de diffuser du court métrage de réalisation africaine. L'autre particularité est de s'appuyer sur le festival Plein Sud et sa formidable organisation qui permet aux invités (réalisateurs et jurés) de loger dans les familles des organisateurs, ce qui donne un cachet populaire indéniable apprécié par ces invités.
Il se pose la question de la croissance et du public. Les organisateurs sont pour une bonne part des retraités qui voudraient transmettre le flambeau. Cozes n'ayant pas de salles de cinéma, c'est la ville de Saint-Georges de Didonne qui accueille les projections et les visiteurs de Cozodogou (village du festival) ne semblent pas disposés à parcourir les 30 minutes de trajet vers ce très beau bord de mer qui se loge sur les flancs de la ville de Royan. Le public n'est donc pas aussi présent qu'on pourrait l'espérer, mais la médiatisation grandissante et l'excellente réputation dont jouit le festival auprès des cinéastes laissent penser que la dimension populaire va vite être confortée.
Il faut signaler qu'outre le festival en lui-même, Marc Sauvaget, directeur du festival Ciné Sud, accompagné d'un membre du jury et d'un ou deux réalisateurs (qui restent pour le grand festival Plein Sud) organise avec plusieurs lycées et collèges autour de Cozes (lycée de Pons, …) des projections de films africains. Cela donne aussi une autre idée du travail patient et immense qui se fait à Cozes. Le Festival Plein Sud (FPS) qui a donné naissance à Ciné Sud travaille avec près de 53 lycées, collèges, écoles primaires et instituts scolaires spécialisés (dont pour les handicapés). Michel Amarger, journaliste à RFI (Radio France International) et critique de cinéma membre de la Fédération Africiné animait une formation à l'image en direction des enseignants de la région, avec Jean-Claude RULLIER (responsable du Pôle Régional d'éducaton artistique et de formation au cinéma et à l'audiovisuel de Poitou Charentes Cinéma). Ce dernier était président du Jury 2007.


Palmarès
Dans ce festival, il n'y a pas de perdants tant la sélection a les mailles serrées. Le Ciné Sud de Cozes est un festival original qui est un formidable révélateur de la relève cinématographique.
Le jury a décerné à La pelote de laine de Fatma-Zohra Zamoun (Algérie/France) le Prix du Jury et de la Ville de St-Georges de Didonne. Ce qui lui vaudra d'être distribué dans les salles du réseau CLAP Poitou Charentes.
Saphira de Alain Rakotoarisoa (Madagascar) s'est vu gratifier d'une Mention Spéciale, tout comme Raketa mena de Hery A. Rasolo (Madagascar) qui a eu la Mention Spéciale pour l'urgence.
Le prix du public (doté par le Centre Leclerc de Royan) est allé à Safi, la petite mère de Raso Ganemtoré (Burkina Faso).
Par tradition, les cinéastes primés sont membres de plein droit du jury de l'édition prochaine de Ciné Sud.

Thierno I. DIA

Le Jury 2007

Président :
Jean-Claude RULLIER - Pôle Régional d'éducaton artistique et de formation au cinéma et à l'audiovisuel, Poitou Charentes Cinéma

Membres du Jury :
Jacqueline KALIMUNDA, réalisatrice, productrice
Sylvie ENCREVÉ, réalisatrice, scénariste
As THIAM, réalisateur, formateur
Pascal VIMENET, enseignant, réalisateur, critique
Sokhna AMAR, réalisatrice, Prix du Public Ciné Sud 2006
Thierno Ibrahima DIA, Universitaire, Critique (africine.org)
Luc LAVACHERIE, Exploitant (Cinéma Le Gallia, à Saintes), Réseau CLAP Poitou-Charentes

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