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Attention, cinéaste Africain-Français !
entretien de Laurent Sénéchal, auteur-réalisateur
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 13/08/2007

Cozes, dimanche 09 avril 2007, la huitième édition du Festival Ciné Sud (qui ne sélectionne que les films de réalisateurs africains) a offert une belle palette de la nouvelle crème des cinéastes africains, parmi eux Laurent Sénéchal. De peau très claire (avec quelques tâches de rousseur) il a dû se montrer persuasif avec l'organisation du festival pour prouver qu'il est bien Africain même si son nom fleure bon la France "pure laine" (comme disent les Canadiens). Le cinéaste-acteur-chanteur Richard Bohringer est bien accepté comme Sénégalais, n'est-il pas ? Français par son père et Burkinabé par sa mère, Laurent Sénéchal n'est pas seulement l'image des nouveaux cinémas africains, il est aussi l'image de la nouvelle France : celle qui reconnaît sa diversité, sa richesse plurielle. À l'égal des Africains-Américains qui revendiquent leur part africaine, il faut désormais dire "les Africains-Français". Son film, peu classique, est à cette aune et dénote tant qu'il devient inclassable. Le cinéaste, au-delà de la profondeur de son film, se révèle aussi d'une grande spiritualité.

Africiné : Comment s'est passé le processus d'écriture ?

Laurent Sénéchal : J'avais un projet depuis longtemps de faire un film sur une famille d'origine africaine et d'origine sociale populaire, en France. Et j'avais un peu des difficultés à trouver une histoire concise, pour un court métrage. Je trouvais des envies, mais c'était toujours un peu long, cela demandait beaucoup de concentration et de temps. En discutant avec une amie (congolaise d'ailleurs) qui m'a raconté une anecdote, ça m'a inspiré. Je me suis servi de l'anecdote pour concentrer des éléments que je voulais raconter dans mon projet et cela a permis de construire une histoire sur deux jours. Et cette anecdote (on en retrouve des éléments dans le film), c'était lié au fait qu'une mère africaine ne supportait pas qu'une assistante sociale lui dise comment élever ses enfants en France. L'assistante sociale était beaucoup plus jeune qu'elle et lui faisait la leçon. Cette mère a corrigé sa fille devant l'assistante sociale. C'est vrai que moi dans mon film, je me suis un peu servi de cet élément mais j'ai ensuite construit de manière complètement fictionnel cette relation de famille. Dans les rapports intimes, au début du film, sous forme d'exposition on voit rapidement qui elles sont, quel type de famille c'est. Et puis la fin, la réconciliation, une fois le conflit est consumé, tout ça ce sont des choses complètement inventées. Mais ce qui a permis l'écriture, ce qui m'a facilité la tâche, c'est cette anecdote et je me suis dit "voilà comment je veux organiser mon histoire".


Africiné : Sur le choix des acteurs, est-ce qu'il y a des acteurs qui se sont imposés à vous d'emblée ?

Laurent Sénéchal : Sur le choix des comédiens, moi au départ j'avais une envie : travailler avec des acteurs non professionnels. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé, majoritairement. C'est-à-dire que la plupart des comédiens, notamment les adolescents, sont des non professionnels. J'ai même d'ailleurs trouvé le collège avant. Disons que j'ai trouvé les adolescents, une fois que j'ai trouvé le collège. Je les ai trouvés dans leur propre collège. Ils ont joué leur propre rôle, comme le conseiller d'éducation, dans mon film.
La seule personne qui soit comédienne professionnelle c'est Manga Ndjomo, la mère [Colette, NdR], parce que je voulais faire très attention avec ce personnage là, ce rôle là, car je savais que c'était très délicat. il fallait que je l'aborde avec finesse ; je ne voulais pas que l'on puisse rater le fait de montrer une mère africaine qui est en difficulté. Je ne voulais pas qu'on puisse croire que je dis que les mères africaines ne savent pas s'en sortir avec les enfants, étant donné le contexte en France... Je voulais travailler tout en finesse. Donc c'est assez compliqué. Je voulais pouvoir travailler tout en précision et je savais qu'il me fallait plutôt une comédienne de formation pour pouvoir travailler avec elle la justesse du propos, pour montrer à la fois les difficultés sociales, sa particularité d'être Africaine, mais aussi qu'on puisse sentir avec subtilité les choses et qu'on ne puisse pas facilement la juger, qu'on puisse comprendre ce qui l'amène à se comporter de manière violente avec sa fille. D'ailleurs "de manière violente", il faudrait y réfléchir à deux fois, puisqu'elle corrige juste sa fille et c'est quelque chose qui est fréquent dans l'éducation qu'on soit Africain ou pas. Mais c'est sûr que comme elle le fait dans le cadre du collège, ça crée un peu une rupture avec l'esprit de l'éducation telle qu'elle est pensée dans l'institution de la république qu'est l'École. Donc le conflit s'organise autour de cette différence de sensibilité dans l'éducation et de cette incompréhension. Le travail avec Manga Ndjomo, qui a tout de suite compris la complexité du rôle, a été un véritable régal d'ajustements et de questionnements.

Africiné : C'est une famille d'origine africaine, congolaise, mais la force du film c'est que cela aurait pu être une famille d'origine européenne ou asiatique. On touche à l'universel. Est-ce que ce n'est pas aussi un questionnement de votre propre métissage ?

Laurent Sénéchal : Heu, oui. Complètement. J'ai voulu ce premier film ; cela fait longtemps que je voulais faire un film, mais j'avais toujours des difficultés, car j'avais des idées qui étaient un peu éloignées de moi. Cependant, il n'y a rien de réellement autobiographique dans le film. Je sais que ce qui m'a donné la force de le faire et de le faire jusqu'au bout, c'est que je me suis senti légitime pour parler de gens qui ont une double identité ou qui sont Français avec une origine étrangère et doivent vivre au quotidien, notamment dans des conflits où parfois la vie s'accélère et avec ces deux cultures. Et je me suis senti légitime pour parler de ça, parce que cela constitue mon quotidien. Je me suis dit "là, tu as quelque chose à dire, que toi seul… heu, que tu peux dire toi de manière originale et assumer ce propos jusqu'au bout". Et c'est vrai que c'est la force des gens qui sont métis, même si c'est aussi une difficulté. Mais moi, en tant que jeune auteur, c'est vrai que cela m'a aidé d'être d'une double culture. Je me suis senti à l'aise sur mon terrain privilégié, mon terrain intime, en parlant de ces choses là. Même si le film, ce ne sont pas des Métis, ce sont plutôt des gens qui sont pétris de double identité culturelle, ce qui est mon quotidien. Donc je me suis senti légitime pour parler de ça. Je sentais que j'étais dans mon terrain quoi.


Africiné : Et comment s'est fait le choix de l'actrice qui joue Drucille ? Comment a-t-elle travaillé son rôle ?

Laurent Sénéchal : Alors ça c'est très intéressant car comme je vous ai dit, j'ai d'abord trouvé le collège, j'ai rassemblé les comédiens juste en regardant, en campant dans ce collège. J'avais une approche naturaliste vraiment, pour faire ce film. J'avais envie que cela ressemble à la réalité. Donc c'est pour ça que j'étais attiré par l'idée de travailler avec des comédiens qui étaient dans leur lieu de vie. La fille, c'est une fille qui était en classe au moment où je cherchais des comédiennes pour Drucille. J'en ai sélectionné cinq ou six que je trouvais qui correspondaient a priori au rôle. Et j'ai fait passé des auditions. On a répété une scène, en improvisant pendant une demi-heure et puis Fanta Touré est venue. Tout de suite, elle a tout compris. Tout de suite, c'était évident qu'il y avait quelque chose qu'elle avait compris et elle n'avait pas peur de se prêter au jeu, ce qui est vraiment quelque chose de pas très répandu chez chacun d'entre nous.
Il y a eu une évidence avec Fanta Touré qui a eu le prix d'interprétation à Angers ainsi qu'à Clermont-Ferrand. Et je suis très fier d'avoir su voir chez elle cette grâce naturelle qu'elle a pour le jeu.


Africiné : Dernière question, Nyaman'Gouacou, c'est dans quelle langue ? "Viande de ta mère", cela traduit quoi, quelle viande ?

Laurent Sénéchal : C'est une question qui revient régulièrement. J'ai fait exprès de choisir un titre qui interpelle les gens. En fait le titre exact c'est Nyaman'Gouacou, entre parenthèses Viande de ta mère. Nyaman'Gouacou en lingala, c'est un mélange de lingala et de kikongo. J'ai fait des recherches pour comprendre. J'ai moi-même un peu vécu au Congo. Je me suis inspiré de choses que j'ai vécues. C'est une insulte qui est très courante. J'en ai fait l'origine du personnage, l'origine africaine du personnage. Elle est censée être Congolaise. Et Nyaman'Gouacou, on dit ça très souvent au Congo. C'est une insulte, un peu comme "merde" en France. Cela fait partie du quotidien de tout le monde. Si vous voulez, cela un sens comme "imbécile" ou "tête de linote" ou autre. C'est une insulte qu'une mère peut dire à sa fille. Mais lorsque que l'on prend l'expression mot à mot, c'est "Nya man Gou a cou", cela veut dire "morceau de viande de ta mère" ou "viande de ta mère". Et j'ai trouvé que la traduction littérale était intéressante vu que le sujet de mon film c'est l'histoire d'une mère qui transmet à sa fille sa fierté. Elles sont toutes les deux fières et elles s'opposent parce qu'elles sont dans un tissu social qui n'est pas évident, qui est inconfortable. Et cette fierté, au lieu de les rassembler, les oppose. Donc, j'ai voulu montrer la francophonie qu'il y avait et en mettant dans le film une langue africaine qui est traduite en français. Mais je me suis amusé à mettre la traduction littérale, plutôt qu la traduction réelle, dans le sens où cela avait un sorte de lien avec le sujet, e thème du film. La fille, c'est comme un morceau de sa mère. Voilà la l'histoire du titre.


Africiné : Au-delà de "merde", j'ai cru que c'était "le clitoris de ta mère" (comme on pourrait le dire au Sénégal, même une mère à sa fille ou son fils).

Laurent Sénéchal : En fait non, la traduction réelle c'est "merde" ou "connard". Connard ça vient de "con" qui désigne le sexe de la femme. Pourtant on ne pense pas forcément au sexe féminin quand on dit connard.
Il y a un chemin entre le sens des mots, l'origine de départ et le sens que cette insulte a au Congo. Aujourd'hui quand on dit "Nyaman'Gouacou", c'est un peu "rejeton", "mauvaise fille", mais ça dépend du contexte. Comme beaucoup d'expressions courantes, ça prend des sens un peu différents selon le contexte. Dans mon film, quand la mère dit ça à sa fille, c'est une forme de réprimande et c'est peut-être "mauvaise fille", "imbécile", ou "tête de linote" ; "fille têtue". Moi personnellement ma mère est burkinabée, on a vécu au Congo dans mes jeunes années et elle m'a régulièrement traité de Nyaman'Gouacou. "Viande de la mère", c'est vrai que cela fait un peu bizarre comme traduction française.


Africiné : Et c'est le seul mot d'une langue africaine que l'on entend durant tout le film. Elles ne se parlent qu'en français.

Laurent Sénéchal : Ce que je voulais montrer, c'était que soit la mère est arrivée un peu jeune en France et c'est une immigrée ; elle est devenue française, même si je ne mets pas l'accent là-dessus. Je pense que ce sont des citoyens français qui sont d'origine africaine. Donc pour moi, la langue entre eux, c'est devenu le français. J'ai fait un film de toutes façons sur des Français qui sont d'origine africaine. C'est la diaspora comme on dit. Et je voulais montrer que dans l'énervement, des situations limites où l'on est mal à l'aise, souvent on se réfère à la langue maternelle, à sa propre éducation. Et dans mon film, la seule parole effectivement c'est ça, cette insulte qui donne son titre au film. C'est le moment où la mère est très énervée contre sa fille. Elle ne supporte pas que sa fille ne la respecte pas dans ce cadre scolaire et du coup elle l'insulte comme sa mère à elle l'aurait insultée. C'est-à-dire qu'elle fait revenir sa langue maternelle parce qu'elle est tellement énervée à ce moment là que la ligne droite, le geste le plus simple, c'est de se référer à ses valeurs anciennes, originelles. Quand on a des origines, je pense qu'on y fait référence régulièrement, mais surtout ça remonte à la surface quand on a des difficultés. Je sais que par exemple même moi, je sais que quand je m'énerve (vous voyez que quand je parle je n'ai pas d'accent particulier), je prends un accent qui vient de mon origine qui est un accent africain. Et je voulais parler de ça aussi, même si ce n'est qu'un détail. Le film est fait de petits détails comme ça, pour parler de ce que c'est être un Français d'origine africaine (notamment).


Africiné : Vous avez aussi dit en présentant votre film face au public du festival, qu'il était important pour vous d'être présent ici à Cozes. Pourquoi ?

Laurent Sénéchal : Pourquoi je suis si content d'être là et d'être reconnu comme un cinéaste africain ? Je tiens à assumer (c'est comme ça que je me positionne), le fait d'être Métis, d'être Franco-Burkinabé. Et je suis un cinéaste français. Je suis un cinéaste africain. Je laisse les gens qui veulent me classer, me mettre là où ils veulent, mais moi mon sentiment c'est que je suis constitué de ces deux cultures et je revendique ça : ma double culture. Il y a des endroits (comme tous les Métis) où je suis plus considéré comme un Noir dans certains milieux en France, je suis considéré comme un Blanc dès que je vais en Afrique. Être Métis c'est assumer ça, assumer le fait de devoir (au niveau de son identité) trouver sa place en société. Ce n'est pas pour rien si mon premier film (même si j'ai l'air si français) parle d'Africains en France, de Français d'Afrique. J'essaie d'aller autant que je le peux en Afrique, je suis constitué de cette double culture, je suis toujours très très attentif, même quand il s'agit d'autres peuples, d'autres cultures, par exemple les Asiatiques, à faire attention à ne pas juger les gens. Je suis aguerri au fait que le monde est constitué de diverses vérités comme disait Hampâté Bâ et que personne ne détient la vérité à lui seul. La vérité c'est quelque chose qui n'existe que quand on pense collectif. Et cette façon d'être, de voir est liée à mon histoire. Je veux être autant Africain que Français et je défie quiconque de me prouver que je ne suis pas Africain. Je tenais à avoir ma place à Cozes (si Cozes veut bien me recevoir), vu que c'est un festival destiné aux cinéastes africains. Et comme ça a été le cas, j'ai été invité, je suis très content d'être là, je suis très heureux.

Propos recueillis par
Thierno I. DIA

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