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Métissacana ("Le métissage arrive")
Nyaman'Gouacou (Viande de la mère), de Laurent Sénéchal (Burkina / France)
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 15/08/2007
Scène du film : Drucille Samba
Scène du film : Drucille Samba

Des films sur l'identité, il y en a la tonne et le quintal. Et pourtant Laurent Sénéchal réussit à tresser un film original et détonnant, sans l'air d'y toucher.

Drucille, adolescente un peu bourrue et espiègle, traverse sa crise d'adolescente en funambule. Elle doit trouver sa place face à une mère qui n'en a pas pour elle-même. Partagée entre son travail d'agent d'entretien, la garde de son petit dernier (environ deux ans), les tâches domestiques (lessive, courses, …) Colette n'a pas de temps à accorder à la drague discrète et persévérante de Moussa, encore moins aux conséquences vite dramatiques des blagues scolaires de sa potache de fille.

Le cinéaste nous épargne un ensemble de détails : les raisons de l'absence du père, le rendement scolaire de Drucille. En excisant tout l'arrière-plan ethnologique, le court métrage va à l'essentiel, servi par des acteurs pleins de naturel, majoritairement non professionnels, recrutés sur le lieu du tournage dans le collège de Pierrefitte-sur-Seine, Manga Djomo exceptée qui joue Colette Samba, la maman de Drucille.

L'économie des mots et des gestes est traduit par ce titre énigmatique (en lingala, kikongo) qui veut littéralement dire "Viande de ta mère". Nyaman'Gouacou sont les deux seuls mots (qui ne soient pas en langue indigène) prononcés de tout le film, prononcés par la mère, dans un moment de colère.

"Viande de ta mère" est assurément une insulte ("merde", "mauvaise fille"). Le cinéaste, qui a lui-même grandi entre le Congo, le Tchad, le Bénin et la France, l'a déjà entendu. Par l'impulsion de cette injure, Laurent Sénéchal nous rappelle que la culture n'est qu'un palimpseste de cultures, d'expériences, de vécus, et que son cœur, son fondement ne peut jamais être éteint.

Le cinéaste interroge le métissage de manière subtile et efficace en le mettant à la fois au cœur et à la périphérie de son film ; même s'il n'en constitue pas la problématique principale. Drucille Samba est Française de parents congolais (le personnage est joué par Fanta Touré dont le nom a une consonance sénégalaise sinon malienne). Sa mère l'insulte certes en lingala, mais lui parle en français. Quand l'autorité scolaire (à travers le conseiller d'éducation) lui fait des remontrances, Colette réagit une nouvelle fois par la violence et sa fille en fait encore (injustement) les frais. La violence contre l'être aimé devient une façon de se défendre contre l'autre. Le conseiller principal aurait-il parlé ainsi si Colette avait été Française de souche (ou "pure laine", comme disent les Canadiens) ? Le doute est permis, mais le propos de Laurent Sénéchal n'est pas appuyé sur l'africanité des personnages et c'est là le grand mérite de son film : présenter des Africains sans en faire des êtres étranges, étrangers.

Relation de famille

Outre la question discrète et tenue du métissage, ce film analyse les rapports de famille. En présentant simplement des moments difficiles de la vie de famille, des conflits d'adolescents, Nyaman'Gouacou (Viande de la mère) s'inscrit véritablement dans un universel fort. La famille Samba aurait pu être la famille Mitterrand, Bourguiba, Clinton, Poutine, Mao, Merkel, voire plus exotique encore : Sarkozy. La différence est annulée par la ressemblance : des questions identiques se posent face à l'éducation, qu'importe sa culture.

C'est un rapport qui nous est fait sur la famille et ce qui se joue dans le processus de transmission des valeurs. La fierté de la fille la conduit à s'opposer à son entourage, dont sa mère. L'absence du père est rendue de manière encore plus prégnante que la bouture entre Drucille et sa mère est fécondée par l'intercession d'un homme, Moussa, qui veut se faire inviter à dîner par Colette. C'est le même Moussa qui avait gardé la benjamine de la famille quand Drucille fugue. Colette est certes une femme seule qui élève ses deux filles, mais elle a besoin des hommes pour maintenir sa famille : son collègue qui doit terminer son travail à sa place et Moussa qui garde d'abord la benjamine puis l'aînée.

Ce film illustre que Métissacana ("le métissage arrive", en bambana, anciennement appelé bambara), un métissage qui souligne ce qui nous rassemble. C'est un visage de la diaspora africaine qui vit de la façon la plus normale sa francité. Et le souci du cinéaste de ne pas risquer de renforcer les clichés (en les combattant) est compréhensible, tant les caricatures sont nombreuses et profondes. Le chemin est long et dur comme le montrent les choquants discours du nouveau président français (sur ceux "qui égorgent les moutons dans les baignoires" et les Africains qui ne seraient "pas assez entrés dans l'histoire" selon lui).

Pour un premier film, le réalisateur fait montre d'une grande maîtrise technique. Le plan où "la brebis galeuse" rejoint le bercail est un pur bijou de cinéma. En laissant Drucille cheminer vers la laverie, Laurent Sénéchal pose toute la problématique de l'adolescence et du métissage : il faut du temps et de l'espace pour trouver sa place. L'apaisement, l'enterrement de la hache de guerre, est joliment métaphorisé par la glace que Drucille amène avec elle. Le jeu des acteurs rend les personnages (Collette, Drucile, Yasmine et même le bébé) très convaincants. Laurent Sénéchal, en refusant de s'enfermer dans des schémas ethnologiques étriqués et en mettant en avant une esthétisation exigeante (le label du GREC - son producteur - est un critère solide), s'inscrit dans le mouvement cinématographique de "La Nouvelle Renaissance" qui agrége des auteurs comme Mambéty, Békolo, Sissako, Haroun, entre autres.

Thierno I. DIA

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