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Corps, Corps et Cinéma
critique
rédigé par Besma Tabib
publié le 03/09/2007

Cet article renvoie à plus d'un film présenté lors des dernières JCC. L'article souligne que tous ces films abordent d'une manière ou d'une autre, chacun à sa manière, le thème du corps…Les inter - titres renvoient à une très grande partie des titres des films évoqués dans l'article (Indigènes, Making Of, Daratt, Bab'Aziz,…)

Qui dit que le Tunisien n'aime pas le cinéma !? Et tous ces corps qui se bousculent et se poussent jusqu'à l'étranglement pour voir un film !? Ces corps qui sont propulsés vers l'entrée minuscule et unique du cinéma par un flux ou une vague de désir de vision collective!?
Une fois la porte entrouverte dépassée, chacun vérifie s'il n'a pas perdu un morceau de son corps ou une pièce de son avoir, regarde à travers les portes vitrées le fleuve humain encore à l'extérieur, lui souhaite bonne chance et entre dans la salle de projection.
Je me voyais : Une goutte dans cette vague, un affluent de ce fleuve…
J'ai encore en mémoire des images, des sons, des idées, des sentiments qui vont du plaisir au dégoût et… des corps. Des corps qui vivent depuis que je les ai vus en moi et par moi.

INDIGENES
Corps indigène qui devient étranger dès qu'il quitte son pays natal ou dès que ce dernier ne lui appartient plus. Corps indigène discriminé puisqu'il n'a pas le droit de consommer certains aliments ni d'être aimé par un certain type de femmes. Serait-il possible que les tomates soient mal digérées par le corps africain, ou que l'amour d'une femme européenne soit néfaste pour lui ou pour elle !? Y a-t-il une différence existentielle entre le corps colonisant et le corps colonisé même si le premier déclare que le second lui est identique - précisément avec l'Algérie française ?
Corps indigène sacrifié pour pouvoir localiser les points de tirs des Allemands. Imaginons la scène autrement : le colonel explique aux soldats franco-africains qu'ils doivent escalader la montagne non pas pour combattre mais pour que les Allemands tirent sur eux. Ce qui lui permettra de localiser l'ennemi et de le tuer par la suite. Pensez-vous que ces corps indigènes vont faire un pas vers leur mort certaine ?! Croyez-vous que ces soldats vont accepter le fait qu'ils soient des corps voués à la mort et non pas des combattants, pour la simple raison qu'ils sont indigènes ? Et même s'ils s'obstinent et décident de combattre, ils ne seront jamais - morts ou vivants - ni glorifiés, ni honorés. Leurs corps enterrés ou vivants sont des corps oubliés. Peut-être ! Mais si Rachid Bouchareb s'en est remémoré dans son film Indigènes, d'autres le feront aussi.
Corps métis qui refuse d'être indigène ou plutôt à moitié indigène puisque c'est seulement sa mère qui est d'origine nord-africaine. Corps métis qui décide d'être Français : Pourrait il cacher la vérité de ses origines mélangées sans se condamner par ce fait à la solitude ?
Et le corps désiré, mais inaccessible car arrogant, rebelle ou mutilé ?

ORDURE
La vérité du corps arrogant pourrait résider dans sa souillure. Il suffit de contempler sa poubelle pour le connaître, de goûter le reste de son yaourt pour l'embrasser, de renifler l'odeur de ce qu'il a jeté pour sentir son haleine, de caresser l'ensemble de ses ordures pour s'unir à lui et de toucher l'arme de son crime et le sang de sa victime pour le détester.
Sommes nous capable d'aimer une ordure ? Ou c'est seulement le corps solitaire et misérable qui ne peut communiquer avec le corps aisé que par le biais de la poubelle ? Lotfi Achour nous répond dans son film Ordure… pour nous dire, peut-être, que la poubelle est le meilleur moyen pour nous révéler la vérité horrible et répugnante des beaux corps hautains et arrogant ; mais qu'elle reste le seule moyen pour le corps misérable et solitaire de s'unir avec les corps inaccessibles des belles filles.

DUNIA
Et le corps rebelle de Karmen Geï : un corps désiré par tous, et par la geôlière et par le policier. Mais il leur échappe et court dans les rues sénégalaises en chantant et en dansant. Serait-il le corps de la liberté insoumise et indocile ? Regardons encore une fois le film Karmen Geï de Joseph Gaye Ramaka pour pouvoir comprendre ou plutôt pour faire notre propre lecture du film et donner notre réponse.
Mais si le corps de Karmen Geï enflamme ses spectateurs par la danse, pourquoi la danse de Dunia est aussi froide que la mort ? Jocelyne Saab voulait peut être nous dire dans son film Dunia qu'un corps amputé est un corps froid qui passe toute sa vie à agoniser sans mourir et à quêter son bien être dans les sentiments de la poésie et dans la sensualité de la danse. Mais en vain. Corps froid ! Corps mutilé ! Ton seul salut est un partenaire qui devrait être aveugle pour qu'il puisse te voir avec tout son corps et non pas avec ses yeux. Ainsi son désir ne sera pas orienté vers ta vulve morte mais dispersé sur toute ta peau.
Froid aussi est le corps de l'enfant Erken dans Le Chasseur de Serik Aprymov de Kazakhstan. Froid est le corps d'un enfant qui n'a jamais été chauffé par celui de la femme qui l'a engendré, et n'a jamais senti sa douceur, son amour et son souffle maternel.

BAMAKO
Froid aussi, mais jusqu'à la mort, est le corps de l'Afrique filmé par Abderrahmane Sissako dans son Bamako. Et ni le Dieu des trois religions monothéistes, ni la tribune condamnant la banque mondiale n'ont pu le sauver puisqu'il a fini par se suicider.
Corps désespéré serais tu toujours condamné au suicide, même si tu tenais encore un peu à la vie ?
Chilsu et Mansu, de Park Kwang Su de la Corée du Sud, ne voulaient, après avoir fini la peinture d'un corps publicité, que boire un coup et crier leur peine du haut de l'immeuble sans que personne ne les entende. Mais il suffit que ce corps insignifiant s'élève un jour sur les hauteurs pour que tout le monde le regarde, et sans rien comprendre, l'inculpe et le pousse à se jeter dans l'abîme.

MAKING OF
L'extermination, par le suicide insignifiant et absurde, est aussi le destin que Nouri Bouzid alloue dans son Making of au corps. Lequel ? Le corps égaré, trompé et manipulé par l'esprit théologico-politique ? Privé de la danse, ce corps prie ; privé de l'amour, il se masturbe et privé de soi-même et du pseudo soi-même, il se tue.
Désormais, chaque fois que je passerais devant un cimetière de combattants morts pour l'indépendance de leur pays, je me demanderais si on a tort de les appeler martyrs et s'il n'y a dans ces tombeaux que des masturbés morts en vain ou pour des raisons autres que la dignité de leur pays. Paradise Now de Hany Abu-Assad va dans le même sens avec son héros qui se tue pour racheter son père qui collaborait avec les israéliens.

BAB AZIZ
Mais le corps continue à danser avec Nacer Khmir dans Bab Aziz. C'est vrai qu'il ne danse pas le hip hop mais la danse mystique des soufis, mais il continue à danser. Est-ce parce qu'il est emporté par le souffle de l'amour et non pas par l'aquilon de la révolte de jeunesse !? Peut-être !
Si la seule chose qui compte pour le corps mystique c'est l'amour de Dieu et la recherche de cet amour ; Et si Dieu est partout dans l'Univers, ces corps, tous ces corps qui marchent à la rencontre de Dieu dans le film de Nacer Khmir n'ont d'autre issue que d'aimer cet Univers : l'aimer charnellement, sensuellement et mystiquement jusqu'à l'annihilation [...] dans le Bien Aimé. Et puisque le Bien Aimé est éternel, cette annihilation ne pourrait jamais se manifester par la mort de l'amant mais plutôt par sa pérennisation [...].
Et ce jeune corps dénudé par la haine et le désir de vengeance ne trouvant que les habits du même derviche objet de sa haine pour se couvrir, était-il contraint de les mettre ou c'est Nacer Khmir qui défend ce corps musulman dont l'essence même est amour, et même s'il s'égare parfois dans le chemin de l'hostilité il ne trouve son salut que dans l'amour !?

DARATT
Et le corps de Atim dans Daratt Saison sèche de Mahamet Saleh Haroun ? Un corps tremblant devant le repentant mais fort et serein devant le criminel. Un corps qui pardonne le passé qui veut changer et condamne l'aujourd'hui qui s'obstine dans le mal. Voilà un corps qui n'est ni celui d'un pseudo martyr, ni celui d'un pseudo héros. Serait-il le corps d'un être humain ?
Et le corps du repentant qui ne donne plus la mort au gens mais le pain. Oh ! Combien souffre-t-il ?
Derrière les visages de Ayham Arsan, il y a d'autres visages à dévoiler. Derrière les corps que j'ai repeints il y a d'autres corps à déchiffrer et à méditer…

Besma TABIB

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