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Kélibia ou la passion du cinéma
critique
rédigé par Kamel Ben Ouanès
publié le 03/09/2007

Deux questions lancinantes se posent constamment à tout habitué du Festival de Kélibia : qu'est-ce qu'un film amateur ? et quel est le sens de l'acte de filmer pour un jeune qui agit en dehors de pressions de production et de distribution ?
La réponse à cette question n'est pas inamovible ? Tantôt, c'est le message (idéologique) qui confère au film sa valeur. Tantôt, c'est l'aspect formel ou esthétique qui prime quand les idéologiques s'effondrent. Tantôt aussi, c'est une tentative de livrer une réponse filmique aux inquiétudes et aux angoisses de notre époque. À chaque époque son cinéma. À chaque festival sa vocation. À Kélibia, un film amateur ne serait pas autre chose qu'une œuvre essentiellement expérimentale, un exercice qui vise à façonner le langage audiovisuel au gré des exigences d'une idée personnelle ou d'une vision subjective, avec des moyens simples, dérisoires et dépouillés. Et c'est précisément cette foi dans l'image et dans son pouvoir de dire le monde avec toute la liberté requise qui donne au festival sa spécificité.
Qu'est-ce qu'un film amateur ? C'est la liberté de dire le moi et le monde, en dehors de toute pression socio-économique et loin de toute règle formelle imposée, qui confère au cinéma amateur son identité et sa vocation.
Si nous nous posons cette question aujourd'hui, c'est surtout parce que la dernière session nous a donné l'occasion d'assister à une confusion des genres. En effet, plusieurs films programmés, notamment dans la compétition internationale, ne répondaient pas à cette règle. Les films iraniens sont la production d'une institution éducative publique. D'autres titres comme IDSH66 ou Matricule d'identité (faucon d'or du festival), programmés d'ailleurs dans d'autres festivals non amateurs, sont acceptés sans vérification aucune. Résultat : tout laisse à penser que le festival de Kélibia n'est plus une manifestation consacrée au film amateur, mais plutôt un festival du court-métrage. Cette option n'est pas interdite en soi, mais alors il fallait changer d'emblème, de vocation et aussi de critères de sélection.
Ceci dit, la dernière session nous a donné l'occasion de découvrir plusieurs films, notamment tunisiens, pleins de fraîcheur et de sensibilité. Bien sûr, les choix de différents jurys forcent le respect et ne suscitent en nous aucun sentiment de surprise, mais le public avait ses préférences qu'il n'a pas cachées. Dans ce sens, le film Aéroport Hammam-lif de Slim Ben Cheikh (1er prix de la compétition nationale) nous conduit à une descente infernale et troublante dans le milieu des candidats à l'émigration clandestine. Le sujet n'est pas nouveau certes. Mais l'approche de Slim Ben Cheick va au delà des stéréotypes et s'applique à cerner de plus prés l'identité des émigrés potentiels, leurs racines sociales, leurs conditions de vie, leurs rêves, leurs angoisses, ainsi que le dispositif stratégique et ingénieux qu'ils utilisent pour pouvoir s'embarquer sur des navires de marchandises pour une traversée périlleuse vers l'Europe. Et tout cela est dit avec humour, légèreté et désinvolture. Ce film aurait largement mérité, comme l'a mentionné notre confrère Samira Dami, sa place dans la compétition internationale.
Un autre film a attiré notre attention : Le Vide de Atef Gares (club de Kélibia). Avec un rythme délibérément lent, le film s'articule autour de cette rencontre entre deux êtres que tout sépare (l'enfance et la vieillesse, l'indigence et l'aisance), mais que le destin rapproche. La petite fille est arrachée à ses parents pour s'occuper d'une femme affectée de sénilité et réduite à la solitude. Se gardant de céder au moindre pathos ou à un quelconque manichéisme, le film explore la conscience intime de ses personnages avec la seule force de l'image et la composition étudiée des plans. Nous trouvons cette même vitalité de composition dans un film d'école Or et Os du duo Aymen Yahia et Kamel Ben Toumi, (Isamm). Bien que les références culturelles soient chrétiennes, et donc extérieures à l'univers du jeune tunisien, le film a réussi à toucher le public, d'abord par son matériau narratif fondé sur l'étrange et le suspens, ensuite par la maîtrise d'un montage qui joue sur l'alternance de gestes sinistres et d'élans de tendresse. Le film libanais Jeu de cordes de Racha El Taki commence comme un film réaliste avant de se transformer en une allégorie de la rivalité meurtrière. Deux sœurs se lancent de défis, se chamaillent, se rivalisent et se tissent ainsi des liens de promiscuité menaçante qui sera couronnée par le fatal jeu de cordes où la sœur assiste à la mort de la sienne. Bien sûr, le renvoi à la crise libanaise, ou peut-être encore aux conflits fratricides dans le monde arabe s'imposent dans la conscience du public.

Kélibia 2007 a offert au court-métrage égyptien l'opportunité d'exhiber sa vitalité. Raflant pas moins de trois prix, le cinéma égyptien a obtenu le faucon d'or avec Matricule d'identité de Mohamed Mohsen, le Prix spécial du jury à Un point sur la carte de Yafa Gwuilly et Médaille d'argent à Marazik de Amal Fawzi. En effet les deux seconds films épousent la verve militante, par le biais d'un cinéma direct et de témoignage. En allant à la rencontre de ces couches populaires et de ces laissés pour compte, respectivement à Issmaïlia et à Marazik, la caméra Y. Gwuilly et A. Fawzi recueille les confessions des uns, les aveux des autres et leurs propos de révolte ou d'acquiescement au nouvel ordre du monde. En revanche, film de Mohamed Mohsen Matricule d'identité, en se démarquant du genre documentaire, n'opte pas seulement pour la fiction, mais cultive surtout le fantastique. Adapté d'une nouvelle de l'écrivain Youssef Idriss, le film raconte l'histoire d'un homme qui sans cause apparente devient parfaitement invisible et sans aucune consistance physique. Il est là, mais personne ne se rend compte de sa présence. On comprend là tout l'enjeu symbolique de cette nouvelle : que sommes-nous sans les signes extérieurs de notre identité ? Mais le traitement filmique de M. Mohsen ne s'écarte pas des clichés du film égyptien commercial : le bavardage des agents de l'administration, les gestes uniformes de l'épouse vaquant à ses tâches domestiques, puis les supputations de la police et des médias après le suicide ou la mort accidentelle de l'homme invisible versent tous dans le même modèle formaté du cinéma égyptien. Voilà un film qui ne répond, à notre avis, ni par sa forme, ni par ses parti pris formels, aux règles supposées du cinéma amateur, car il s'inscrit, sans jugement de valeur de notre part, dans une écriture codifiée par un modèle cairote consacré.
Notons qu'au cours de la cérémonie de clôture, deux autres prix ont été décernés à des films tunisiens. Le prix de la critique a été offert par l'Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique à 1,2,3 de Rabâa Skik, un film qui s'ingénue à créer de nouvelles modalités d'expression. Une scène de danse est mimée par des doigts qui exécutent une fiction synchronisée. Ainsi la figure rhétorique "la synecdoque" est promue au rang d'un actant enveloppé dans une harmonieux élan chorégraphique. L'autre prix, celui de Habib Masrouki, initié par son ami et compagnon de route, le cinéaste Ridha El Bahi, a été décerné à Achraf Laamar pour son film Nuit de l'Aïd, un film étrange sur la fatalité de la mort et la lâcheté des vivants. Le film de Laamar compose une vaste métaphore pour évoquer l'exécution de Saddam Hussein qui a coïncidé avec le jour de la fête du sacrifice. Ce matin là, le geste d'Abraham ne pouvait croiser l'agneau sacré pour sauver le fils chéri. Tout l'enjeu du film réside dans cet impossible transfert, comme l'illustre bien le huis clos terrible que compose la caméra d'Achraf Laamar.

Kamel Ben Ouanès

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