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Une séparation douloureuse des inséparables
Les inséparables, de Christiane Chabi Kao (Bénin)
critique
rédigé par Espéra Donouvossi
publié le 05/09/2007

Si la série télévisée (en quatre épisodes) de Christiane Chabi Kao à travers son titre fait croire que Yawa et Abi sont inséparables de leur mère, il n'en demeure pas moins évident que c'est de cette séparation douloureuse qu'il a été question. Aujourd'hui le phénomène de l'enfant placé est connu et puni par la loi dans tous les pays du monde. Pourtant au Bénin, il prend d'ampleur au jour le jour et le vocable "Vidomégon" est répandu dans plusieurs foyers. L'Organisation des Nations Unies pour l'Enfance (Unicef) en fait un combat quotidien. Les réalisations béninoises à travers le savoir-faire de Christiane Chabi Kao projettent des phénomènes sociaux à l'écran pour les dénoncer. Dans cette oeuvre télévisée de la réalisatrice béninoise réalisé en 2007 et qui dure 104 minutes, il y a forcément quelque chose de vraisemblable. Un drame social, un phénomène inhumain dont sont victimes des âmes innocentes : les enfants. Les données spatio-temporelles, les personnages, la logique narrative s'appuyant sur un vraisemblable et sur des règles esthétiques du cinéma sont toutes choses qui emballent le spectateur vers une réalité quotidienne. Monde fictif conçu par Christiane Chabi Kao, c'est curieusement à l'image de notre monde parce qu'il représente le monde d'hier et celui d'aujourd'hui, tout en interpellant la conscience collective. Tout ceci bénéficie à coup sûr d'un effet de réalité qui entraîne la croyance du spectateur et son adhésion à la thématique qu'a développée la réalisatrice.
Un coup de pouce aux actions de l'Unicef ou une contribution personnelle humanitaire ? Dans tous les cas la pierre est jetée dans la mare et le respect du droit de la personne humaine est interpellé. Yawa et Abi sont obligés de quitter leurs parents pour être placés dans des foyers dans la capitale économique du Bénin, Cotonou. Ceci à cause de la décision unilatérale prise par le paternel contre quelques sous de la receleuse d'enfants venue de la ville. L'amour d'une mère ne peut laisser passer facilement une telle vulgarité de l'être humain en quête de gains faciles et animé d'une inconscience joyeuse qui conduit aux enfers sa propre progéniture. Le combat de la mère pour récupérer ses enfants a commencé et cette maman est prête à tout donner pour retrouver ses enfants.

Les inséparables est un véritable combat d'une mère qui veut vivre inséparable de ses chers enfants. Alors quand on sépare les inséparables, cela provoque toute la fougue d'un vrai amour maternel. Une mère fera feu de tout bois pour retrouver ses enfants.
Mais ces enfants retrouvés conservent-ils leurs caractères acquis auprès de leurs parents ? Le problème est posé et plus rien ne pouvait être comme avant. Abi le timide est devenu très imposant et arrogant mais aussi réactionnaire. Son séjour auprès de son patron vulcanisateur, lieu de transition vers le travail de pierre au Nigeria et sa cohabitation avec les enfants de rue lui donneront le goût de la cigarette et des boissons alcoolisés. Il est prêt pour intégrer le club des petits larcins nocturnes de la capitale. De l'autre côté, la jeune Yawa après avoir été maltraitée moralement et sexuellement, est soumise à des travaux domestiques les plus durs et vit dans des conditions à risque de grandes maladies. Elle s'est fait aider pour fuir la maison de ses patrons et se retrouvera sous la tutelle d'une travailleuse du sexe qui vit de ce métier. Pour avoir vécu pendant un long moment avec cette prostituée, la jeune Yawa veut s'essayer à ce sale métier pour aider sa nouvelle tutrice à payer le loyer.
Voilà jusqu'où la traite des enfants conduit une société. La bonne éducation et les bonnes mœurs ont désormais disparu du comportement de ces enfants innocents dont la vie a été gâchée par la cupidité humaine.

En Afrique et plus précisément au Bénin ; une femme n'a le droit de frapper son mari, autrement elle tombe sous le coup de l'énervement des dieux vodous et est obligée de subir des cérémonies pour implorer le pardon du Vodou. La série en faisant voir une cérémonie de purification de la femme qui bat son mari a eu le mérite de projeter à l'écran une réalité culturelle et cultuelle africaine.

Cette série télévisée a servi de gala d'ouverture à la 4ème édition du festival Lagunimages le 9 avril 2007 et n'a pas manqué de donner aux spectateurs le goût accrocheur pour la suite du calendrier du festival. Projetée au cours de la 20ème édition de Fespaco 2007 dans les quartiers populaires de Ouagadougou par le Cinéma Numérique Ambulant, cette série a su montrer au public du Fespaco que la télévision peut aider à combattre des phénomènes sociaux et à former un public pour le cinéma. Les nombreux thèmes développés dans ce chef d'œuvre et la sobriété avec laquelle cela a été fait montrent bien l'expérience ainsi que la maîtrise de la réalisatrice en matière de réalisation.

Les musiques qui accompagnent les propos de l'œuvre sont tellement expressives au point où elles traduisent aux spectateurs l'émotion interne des acteurs. Quand Abi voit sa sœur dans un bar, la musique est vraiment révélatrice et traduit l'émotion interne du jeune homme. La variation de cette musique dans les séquences suivantes montre bien combien cette musique est porteuse de message.
Tout est présent dans cette série pour imposer une qualité du regard et de l'écoute jusqu'à la fin des quatre épisodes. Le jeu des acteurs vient justement très imposant et démontre un professionnalisme dans le casting et une adaptation lucide entre les acteurs et leurs propres personnages. Un casting fait d'élèves et étudiants montre bien que ce qui manque aux réalisations béninoises, ce n'est pas la ressource humaine mais la volonté politique. Même si les acteurs sont en majorité au début de leur carrière, il n'en demeure pas moins évident que la complicité qui se tisse habilement entre les acteurs et leurs personnages trahissent rapidement la vigilance du spectateur et l'emballe dans une fiction qu'il prend inconsciemment comme réalité.
Pour avoir réalisé un document reportage sur la traite des enfants et qui a été diffusé sur la télévision française France2 à travers l'émission la plus suivie en Afrique "Envoyé spécial"et vulgarisé par l'Unicef, la réalisatrice montre bien que ce problème la préoccupe fort. Comme l'a su bien dire la réalisatrice dans l'introduction qui a précédé la projection de sa série "le cinéma doit pouvoir participer à régler certains problèmes sociaux malheureux qui se posent à l'existence humaine. Il doit être interpellateur." Des téléfilms et séries du genre, on en redemande toujours et le public béninois s'est montré attentif jusqu'à la dernière ligne du générique. Christiane prend un raccourci par la télévision pour atteindre le cinéma et en fait un instrument de combat social.
En dépit des découpages bruts des séquences brusquement superposées et quelques images gratuites dont la réalisatrice pouvait en faire grâce (comme la scène qui montre les retrouvailles du répétiteur et de Yawa quand elle était avec sa tutrice prostituée), le film n'a pas manqué d'émerveiller le public qui est resté coi et accroché jusqu'à la dernière ligne du générique.
Les quatre épisodes montrent toute la pertinence du cinéma béninois.

Espéra G. DONOUVOSSI

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