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Une communion différente
entretien avec SANVI PANOU, cinéaste et exploitant
critique
rédigé par Espéra Donouvossi
publié le 24/10/2007

En tant que cinéaste et quelqu'un qui exerce dans le domaine du cinéma africain, que pensez-vous de ce cinéma ?

Depuis une dizaine d'années, une nouvelle génération de cinéastes émerge avec une certaine volonté de s'accaparer de l'outil cinématographique en s'appuyant sur les matériels numériques qui constituent un atout en terme de production, de réalisation. À partir de l'avènement de cette technologie, nous constatons qu'il y a une nouvelle école cinématographique qui se crée avec une volonté d'innover en terme technique à savoir qu'aujourd'hui, l'apprentissage de la caméra est une chose à la portée de tous.
Avec les ateliers d'audiovisuel qui s'ouvrent par-ci par-là dans plusieurs villes africaines, cela permet aux jeunes d'avoir une approche moins complexée du monde cinématographique et de pouvoir s'exercer avec plus de facilité que dans le passé. Donc ces nouvelles opportunités techniques entraînent nécessairement un nouveau regard sur l'écriture cinématographique, sur la conception de l'image et du son, aussi sur une volonté de capturer notre quotidienneté avec plus de facilité et qui nous permet de constituer un cinéma qui soit représentatif de notre société. Cela explique naturellement cette arrivée sur le marche des produits conçus en DVD ; ce qui est une révolution à l'époque où nous avons connu le cinéma et où le 35 mm étant quelque chose d'entièrement onéreux et difficile d'accès.
Cependant cette révolution technologique ne nous amène pas nécessairement à faire de très bons films, parce que n'importe qui peut faire n'importe quoi, car tout est à portée de main. On peut acheter un pinceau de peinture facilement au marché ou dans une boutique et on ne devient pas grand peintre.

Vous abordez là, la qualité du cinéma fait en Afrique. Quelle est personnellement votre appréciation ?

Il faut d'abord rappeler que cette démystification du regard cinématographique a permis à beaucoup de sensibilités de pouvoir s'adonner au 7ème art. Tout cela contribue à la visibilité du cinéma africain qui a aujourd'hui une audience à travers le monde entier.
Néanmoins pour ce qui concerne le contenu de ce que nous filmons, il y a plusieurs réflexions à faire. Le cinéma est un espace extrêmement différent de la vidéo qui est un autre genre de diffusion à espace réduit qui n'a pas la même philosophie, ni les mêmes approches en terre de réflexions et qui ne constitue pas les mêmes publics puisque la vidéo ne filme ni ne montre dans les mêmes conditions. Ce sont deux genres de conceptions audiovisuelles assez paradoxaux. La vidéo a cette facilité de nous permettre de saisir en terme documentaire les choses avec plus de spontanéité, plus d'instincts et nous donne suffisamment de souplesse pour pénétrer en profondeur notre sujet. Ce que le dispositif cinématographique ne nous permet pas, car il est plus complexe et plus lourd. Mais aujourd'hui les gens confondent tout. Ceux qui utilisent la vidéo aujourd'hui pensent se saisir de l'actualité et faire les films en si peu de temps. Retenons que ces films qui sont tournés grâce à cette flexibilité en vidéo qu'on peut voir en DVD, ce sont des films qui accusent beaucoup d'insuffisances techniques et d'approches amateurs par rapport à l'exigence et la rigueur qu'il faut mettre dans une œuvre cinématographique pour qu'elle reste intemporelle. Néanmoins cela nous permet d'avoir un regard de proximité sur notre quotidienneté sur notre vécu ; ce qui est assez révolutionnaire. Mais on ne peut pas prétendre faire du cinéma parce que les jeunes font des films avec la vidéo et qu'avec une petite boite de production, on peut tirer des DVD à des centaines de milliers avec peu de sous et les mettre sur le marché, puis dire que nous sommes en train de faire évoluer notre cinéma. Ce sont des opportunités liées à une certaine technologie qui n'ont rien à voir avec le cinéma, car le cinéma c'est un autre regard qui est porté sur la création, l'imaginaire, sur une capacité de raconter des histoires à un public en état de recueillement. Nous assistons toujours devant un écran de cinéma à une messe, une communion avec des approches et écoutes différentes par rapport à la vidéo. Je suis d'accord qu'il faut se saisir de ces petites opportunités de notre temps pour fabriquer des images qui parlent de notre culture, de notre proximité et de notre quotidienneté. Mais il ne faut pas que nous nous mettions en tête que nous sommes en train de faire du cinéma. Le cinéma est un instrument magique qui est à la hauteur de grandes disciplines artistiques comme la littérature, la peinture, la musique, la poésie ; c'est le 7ème art.

Mais qu'est ce qu'il faut faire pour revenir au cinéma ?

Moi je suis beaucoup pour le cinéma et c'est pour cela que j'ai créé une salle de cinéma à Paris. L'écoute du cinéma donne une autre dimension à la réflexion par rapport à ce que nous assistons dans les salons ou salles où on projette des films en DVD où ça hurle, ça crie. Au cinéma le moindre silence compte beaucoup. Le silence fait partie de l'écriture, le son aussi fait partie de l'écriture. Pour pouvoir saisir la subtilité et la richesse d'un film, il faut le regarder dans les conditions du cinéma, c'est pour cela que je suis d'accord que les jeunes se donnent mais qu'on oublie pas que le cinéma, c'est une autre école, une autre vision et une autre conception. Faire du cinéma nécessite une vraie démarche méthodologique et il faut s'y initier. Même si l'Afrique ne dispose pas d'écoles de cinéma, il y a au moins des cinéastes qui animent des ateliers de formation lors des festivals. C'est des opportunités à saisir. Quand je vois des étudiants débarquer tous les ans dans les ateliers des festivals de Ouidah de Jean Odoutan, c'est important pour le cinéma. Aller aussi au cinéma, c'est rencontrer un auteur, un réalisateur et s'entretenir avec lui pour comprendre des démarches qui ont abouti à une œuvre. Tout ceci contribue à améliorer la qualité du cinéma. C'est en cela que j'encourage l'initiative des étudiants béninois qui ont créé un ciné-club. Les discussions et débats après des projections sont des meilleures manières de renforcer le cinéma. Le cinéma français a émergé qualitativement grâce aux ciné-clubs qui étaient créés et animés dans les villes françaises. Le travail qui se fait au niveau de AFRICINÉ avec la Fédération Africaine des Critiques Cinématographiques est très louable pour la promotion d'un cinéma de qualité en Afrique.

Espéra G. DONOUVOSSI

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