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Moolaadé, de SEMBÈNE Ousmane (Sénégal)
La violence au cinéma pour dénoncer
critique
rédigé par Espéra Donouvossi
publié le 28/10/2007

Le tout dernier film de SEMBÈNE Ousmane a été conçu dans un langage violent. Le spectateur a droit à des scènes de violence sous toutes ses formes. Ousmane SEMBÈNE violente psychologiquement le spectateur pour aborder de façon sérieuse un problème grave qui mine l'Afrique : l'excision. Le langage cinématographique et l'esthétique dans l'expressionnisme pictural de l'œuvre témoignent bien du charisme de son réalisateur qui s'est imposé jusqu'à sa mort et dont ses œuvres (immortelles) lui survivent. Le film aborde la violence dans un langage doux.
Tout est violence à travers l'œuvre. De la décision d'exciser les filles, à la manière de lutter contre cette excision, en passant par la résistance et les réprimandes, SEMBÈNE violente gentiment et accroche le spectateur. Les acteurs de la violence dans ce long métrage se situent à tous les niveaux et cela ne dépend vraiment pas de leurs acteurs.

Sembène s'exprime dans la violence.
La violence est d'abord une option du réalisateur qui a choisi s'exprimer dans un langage. Le mariage de couleurs contraires et surtout la prédominance de la couleur rouge plantent le décor d'une violence. Ensuite les dialogues convulsifs et répulsifs des acteurs du film témoignent fort bien de la présence de la violence à travers l'œuvre du doyen Sembène. Un peu comme pour signifier l'adage "qui veut la paix prépare la guerre", Sembène a choisi organiser une guerre contre l'excision tant décriée et qui est une tradition obsolète dont l'Afrique doit se débarrasser pour un développement social moderne. Le mercenaire qu'il fait jouer montre bien son intention de guerre contre l'excision. Ainsi, la petite histoire sur la vie de ce mercenaire et son expulsion de l'armée du fait de sa lucidité et de son caractère révolutionnaire. SEMBÈNE participe au film et y laisse sa touche particulière de révolutionnaire. Le langage du film est violent chez tous les acteurs.
Collé Ardo SY ne lésine pas sur les expressions violentes pour imposer son refus de l'excision des 4 jeunes filles qui lui ont demandé le "Moolaadé" ("le droit d'asile", en peul). Elle a un discours enragé envers les exciseuses et aussi envers les petites filles en les menaçant de chicote si elles dépassent les limites du "Moolaadé". Envers tous les partisans de l'excision, Collé Ardo dresse sa fougue et toute sa méchanceté. La violence exercée donc par Collé Ardo est révélée dans le film de Sembène par le langage verbal et des menaces. Mais le plus important à retenir et qui constitue une forme de violence extrême est la résistance face aux coups de son mari. Malgré le long supplice qui laisse traces et plaies sur tout le corps de la vaillante, l'assistance et les commanditaires du châtiment se sentent gênés et apeurés devant la résistance de Collé Ardo. Cette scène de châtiment publique constitue la plus capitale pour la lutte contre cette tradition obsolète qu'est l'excision. Une violence vraiment psychologique qui sème la terreur dans le rang même des notables et bastions de l'excision.
Mis à part la violence de Collé Ardo qui est restée psychologue et douce, tous les autres acteurs de la violence dans ce film ont appliqué la barbarie pour exercer leur violence.
Le mari de Collé Ardo exerce une violence physique sur son épouse.
Les exciseuses avec leurs instruments massacrent l'humanité et sacrifient des êtres humains pour faire respecter une tradition qui est dépassée et qui nécessite oubli. Elles fabriquent pour l'humanité des infections sexuelles, des stériles et accroissent le taux de mortalité féminine et infantile.
Collé Ardo étant excisée depuis l'enfance ressent aujourd'hui les séquelles de cette pratique. Et comme nombreuses femmes, cette pratique affecte le physique et le moral.
Quand la tradition doit être imposée de force pour être respectée, c'est toute une communauté qui se divise. Des foyers se déchirent, les notables se contredisent et des parents s'affrontent. C'est le cas due l'expatrié Ibrahima (vivant à Paris) : il s'insurge contre son père lui imposant une femme comme épouse et il reçoit une gifle. Il impose alors à la fin du film un plan qui montre une mosquée couronnée d'un minaret portant à son sommet une antenne de télévision. Symboliquement, Sembène Ousmane pose à la fin le fait que l'Afrique ne peut plus rester repliée sur elle-même. Elle doit s'ouvrir au monde (comme l'indique l'antenne) et permettre aux africains de mener une vie sainte (comme l'indiquent les minarets).
Ibrahima Doucouré, le Parisien, abonde dans le sens de la violence car il bouleverse l'ordre préétabli qui interdisait aux femmes d'écouter les radios.

Nul n'est volontairement méchant !
Que ça soit les exciseuses, les notables et les révolutions, la volonté de violence ne vient pas d'eux.
La tradition impose aux notables de sauvegarder le patrimoine et aux exciseuses la tradition qui aujourd'hui est une forme cruelle de torture.
Réponse du berger à la bergère, Collé Ardo s'insurge contre l'excision. Ayant été dans le pays des Blancs, le petit Parisien veut refuser le mariage forcé et accepte d'épouser une femme non excisée. Collé Ardo est battue parce que les notables l'exigent. Dans ce film nul n'est volontairement violent. Sembène traite d'un sujet grave dans un langage fort et violent. Un film essentiel dont la diffusion est soutenu par l'Organisation Non Gouvernementale Amnesty International. Plusieurs fois primé dans les plus grands festivals du monde, Moolaadé est un chef d'œuvre qui capte l'attention et la bienveillance de tout cinéphile.
La beauté de ce film réside dans son caractère convulsif.

Espéra G. DONOUVOSSI

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