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"Personnellement, je filme les corps comme objet d'art"
Trois questions à Moussa Sène Absa, cinéaste
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 30/10/2007

Le corps pourrait user d'une plus grande liberté d'expression dans le cinéma africain d'ici 2025. L'évolution des sociétés humaines peut mener à cela. Même s'il existera toujours des conceptions traditionnelles qui tiennent à sa "sacralité". Cependant, cette liberté restera liée à la manière dont nous posons notre propre regard sur nous-mêmes.

Cela devient aujourd'hui une réalité dans le cinéma africain de voir les corps de femme mis à nu. Une réalité qui risque de se heurter à vision traditionnelle qu'on a de celui-ci. Quelle est votre appréciation de cette vision nouvelle du cinéma africain ?

Moi, personnellement, je suis quelqu'un de très pudique, même si la liberté du cinéma est une liberté totale, je dirais. Mais vous savez, un sujet est toujours complexe par rapport à l'auteur, et par rapport à la vision qu'en a celui-ci. Personnellement, je ne filme pas les corps comme matière brute. Je filme le corps comme objet d'art ; comme je le vois toujours. Mon regard d'enfance sur le corps est toujours le même. J'ai un regard marqué par la retenue. On est trop différents par rapport à d'autres. Nous avons des valeurs sénégalaises ne sont pas de l'ordre paganiste où le corps devient un objet avec lequel on peut faire ce que l'on veut. Cela dépend aussi des sujets. Quand on parle de la prostitution, évidemment, les corps sont présents. Et je pense que son prétexte (celui de Jean-Pierre Bekolo dans Les Saignantes) est bien. Il y a aussi d'autres films dans lesquels on voit la sexualité nue. Et cela, ce n'est pas d'ailleurs du cinéma. Ce n'est pas ce que les Africains veulent voir. Le corps de l'Africain est à la limite sacralisé. Il y a quelque part dans notre pensée une certaine distance par rapport au corps, et le regard s'arrête à un certain niveau.
Je reviens toujours à cette notion de "kersa" et de "sutura". Comment est-ce que je peux traduire ces mots wolofs ? Ce n'est pas lapidaire. En tous cas, c'est entre la pudeur, le respect, la considération, une certaine timidité… Peut-être qu'en 2025, on en sera à ce stade où les corps seraient mis à nu. Prendre comme prétexte un futur, c'est peut-être prendre en compte une Afrique qui connaîtra l'essor qui fera que la nudité ne sera plus un sujet tabou.

Ne pensez-vous pas que cette liberté qui s'affirme dans le cinéma africain ne reflète une conception née des visions d'une génération de cinéastes relativement jeunes qui viennent après vous ?

Je pense que le corps est d'abord un objet d'art. Le corps est la matière première d'un film. Je me rappelle, quand j'avais 20 ans, voir une jeune fille en mini jupe, devenait difficile. C'est à peine si l'on en croisait une à Dakar. Aujourd'hui, toutes les filles sont en mini jupes avec leurs corps complètement désacralisés, libérés. Elles portent des morceaux de trucs qui font de leurs corps sont enguenillés, exposés. Comme si le corps n'est plus important. Je pense qu'il y a une évolution des consciences qui fait que peut-être qu'en 2025, on en sera à ce stade. Mais toujours est-il que l'Africain reste quand même une personne respectueuse de son corps. Ce sera toujours ainsi. Ce qui se passe dans les villes, c'est 20% de la population. Ce n'est pas la majorité. Le cinéma aussi aime les particularités.

Que pense Moussa Sène Absa de ce cinéma africain qui de plus en plus s'affirme ? Et quel devra être son contenu dans le futur ?

Le cinéma africain, au vu de tous les films présents à ce XXè Fespaco, a une forte évolution.
Je pense qu'il y a un cinéma très revendicatif. On ne pleure plus sur notre sort. Nous jouons plutôt notre sort. Ce n'est plus ce cinéma où l'on se demande comment les autres me regardent, mais c'est plutôt celui consistant à se demander comment je me vois. Mais il y a toujours ce que j'appelle des dérapages de marketing : la présence de l'homosexualité, d'un peu de sexe… C'est aussi une façon de se positionner par rapport aux autres. En tous cas, nous, en Afrique, nous avons quelque chose de fondamental qui est que nous avons nos manières de raconter ; nous avons notre œil.
Pour ce qui est du cinéma sénégalais que je connais le plus, je sais qu'il ne copie pas. C'est un cinéma qui invente tout le temps. Dans tous les films sénégalais, il y a ce côté visionnaire, ce côté d'inventivité qui est le ciment de notre cinéma. On le voit dans les films de Djibril Diop Mambéty principalement. Mais aussi dans les autres formes cinématographiques comme le documentaire. De plus, il y a une véritable écriture du cinéma qui est en train de se développer. Seulement aujourd'hui, avec les outils nouveaux comme le numérique (d'ailleurs formidable) - qui permet de démarrer dans le cinéma - les jeunes doivent nous raconter leurs histoires. J'ai envie de d'écouter les histoires des jeunes de 20-25 ans. C'est possible de le faire aujourd'hui.

Entretien réalisé par
Bassirou NIANG
(Sénégal)

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